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DIMANCHE 20 LUNDI 21 OCTOBRE 2019 culture| 23
glants opposent étudiants et for
ces de l’ordre ; en 1980, un atten
tat perpétré par l’extrême droite
tue 85 personnes. L’heure est au
dessin réaliste, ou alors aux
échappatoires de la BD de genre
- horreur, érotisme, satire ou
aventures, portés par les maîtres
Hugo Pratt, Guido Crepax, Milo
Manara ou Benito Jacovitti.
Attablés à l’Osteria dell’Orsa ou
affalés sur les sofas de l’apparte
ment d’Igort, les jeunes loups de
Valvoline opposent des salves
d’inconscience à la morosité et au
conformisme ambiants. « Quand
j’ai rencontré Lorenzo, il n’écoutait
que de la musique mélancolique,
Nick Drake, Robert Wyatt, se marre
Igort. Moi, je carburais au punk et
à la new wave, les Devo étaient mes
héros. On a fini par s’accorder sur
Brian Eno et Franco Battiato! Et
nos dessins furent au diapason de
cette musiquelà, à la fois expéri
mentale et accessible, hybride,
toujours surprenante. » Mattotti
confie volontiers combien Valvo
line l’a incité à dévoiler « la part la
plus intime de son art », tout en
l’allégeant d’une salutaire dose
d’ironie. « Lorenzo était déjà un
peu ours, très réflexif et appliqué. Je
rendais mes dessins toujours en
dernier, lui en premier, ça l’agaçait
beaucoup! » taquine Igort. Lui est
plutôt le « Tristan Tzara » de la
bande. De squats en lieux bran
chés, il organise fêtes et perfor
mances, où il s’improvise maître
de cérémonie, invitant magiciens,
comédiens et autres musiciens.
Tous très azimutés. « On se sentait
proches des graphistes et des
photographes du collectif Ba
zooka, en France, qui repoussaient
les limites de leurs disciplines. » Les
Valvoline réalisent des pochettes
de disques pour le prestigieux la
bel de rock anglais Factory ; des ta
pis pour les designers milanais
d’Alchimia, proches d’Ettore Sott
sass ; des montres pour l’horloger
suisse Swatch...
« Un tremplin incomparable »
« Nous étions des personnalités
trop fortes pour que l’aventure
dure plus de cinq ou six ans, juge
Mattotti. Avec Igort, nous avons
émigré en France, où l’industrie
culturelle est bien plus structurée
qu’en Italie. Paris est un tremplin
incomparable vers l’internatio
nal. » Mais ne lui dites surtout pas
qu’il se serait francisé avec les an
nées : non sans un brin de matoi
serie, Mattotti vous assurera qu’il
est resté rital jusqu’au bout des
VersaillesChantiers, îlot
urbain percé de jardins
La ville a mené la transformation de ce quartier
et privilégié au maximum la verdure sur le béton
ARCHITECTURE
C’
est l’aboutissement
d’une longue aven
ture », a dit François
de Mazières, maire
(DVD) de Versailles (Yvelines), le
1 er octobre, en présentant le nou
veau quartier de la gare des Chan
tiers. Ce projet, placé au cœur de
la campagne qui le vit triompher,
en 2008, de son prédécesseur
Etienne Pinte (UMP à l’époque),
l’a conduit à tordre le bras à deux
puissants promoteurs et témoi
gne de la marge de manœuvre
dont dispose aujourd’hui le pou
voir politique pour influer sur les
formes de nos villes.
En 2008, la transformation du
quartier était déjà sur les rails,
mais aiguillée dans une tout autre
direction. L’extension de la gare,
prévue pour répondre à un ac
croissement prévisionnel du trafic
(passé de 64 000 à 90 000 voya
geurs par jour entre 2010 et
aujourd’hui), s’accompagnait d’un
programme immobilier confié à
Nexity (Unibail lui était associé
pour une partie de la réalisation),
qui comprenait notamment un
centre commercial et un multi
plexe. Une dalle de béton devait
être coulée sur la butte séparant la
gare de l’avenue de Sceaux, qui file
jusqu’au château, pour offrir un
passage aux bus, désenclaver et
désengorger le quartier. Elle aurait
recouvert les anciens bassins qui
alimentaient les fontaines du jar
din du roi. Beaucoup trop cher
pour François de Mazières, qui a
promis qu’on pouvait faire mieux
en dépensant moins.
Six ans de contentieux
Il s’y est attelé une fois élu, enga
geant un bras de fer avec les pro
moteurs. Celuici s’est dénoué à
l’amiable, après six ans de conten
tieux, par une opération qui a
conduit la ville à s’attribuer la
maîtrise d’ouvrage des infrastruc
tures routières et la responsabi
lité de l’aménagement du terrain.
Tout en divisant par deux le coût
de l’opération, qui serait passé de
44 à moins de 20 millions d’euros.
Nexity et Unibail ont dû se
contenter d’un vaste programme
de bureaux et de logements dont
les réalisations ont été respective
ment confiées à Christian et Eliza
beth de Portzamparc. L’enseigne
Nature et Découvertes s’est enti
chée de la halle Sernam désaffec
tée, qui trônait entre les parcelles
destinées à ces deux ensembles,
et a mandaté Patrick Bouchain,
grand manitou de la réversibilité
des usages et du réemploi, pour y
insérer son nouveau siège social.
Pendant que se construisait, par
tranches successives, l’extension
de la gare, l’architecte JeanMarie
Duthilleul, fondateur d’Arep, la fi
liale d’architecture de la SNCF, et le
paysagiste Michel Desvignes ont
élaboré un projet (livré en 2013)
permettant de relier l’avenue de
Sceaux au nouvel emplacement
de la gare routière, désormais si
tuée entre la nouvelle extension
de la gare et le siège de Nature et
Découvertes, tout en valorisant ce
« poumon vert » du quartier et
son patrimoine historique. Plutôt
que de couler une dalle sur la
butte, ils ont pris le parti de percer
le monticule entre les deux bas
sins historiques, dans le prolonge
ment de l’avenue de Sceaux, et d’y
installer le jardin des étangs
Gobert, qui ouvre de nouvelles
perspectives sur la ville et de nou
veaux chemins la reliant à la gare.
On peut regretter que ce travail
de suture n’ait pas été conduit
avec le même soin de l’autre côté
de la gare routière. Pour rejoindre
le quartier des Chantiers, les bus
passent sous le parvis de la gare
dans un tunnel inhospitalier, et
les piétons doivent faire un grand
détour pour gagner le parvis.
Difficile de se réjouir, égale
ment, du surgissement, devant la
façade années 1930 de la gare des
Chantiers, de la grande arche de
brique blanche, enchâssée dans
une structure de verre, de béton
et d’acier, à dominante grise, qui
enveloppe le programme de bu
reaux. Mais l’impression change
lorsqu’on passe la porte. La façade
intérieure, tout en verre, laisse
s’engouffrer une douce lumière
naturelle, révélant, comme un
trésor caché, un luxuriant jardin.
On circule dans un savant jeu de
volumes, de dénivelés, de doubles
niveaux que l’architecte a négo
ciés avec le terrain en pente. Une
manière gracieuse de réinterpré
ter la figure typiquement ver
saillaise de l’îlot urbain percé
d’un jardin, à partir d’un pro
gramme hyperdense qui explique
pour partie l’impression de mas
sivité ressentie depuis l’extérieur
- deux immeubles qui se font face
de part et d’autre du jardin,
15 000 m^2 de bureaux privés et
850 m^2 de commerces dans le pre
mier, 6 500 m^2 de bureaux dans
le second, réservés à la Caisse des
allocations familiales.
Le programme de logements
privés et sociaux (21 000 m^2 ) réa
lisé par Elizabeth de Portzamparc
reprend cette spécificité locale. Le
chantier a pris un peu de retard,
mais il est suffisamment avancé
pour révéler la chaleur et la sen
sualité qui émanent du jardin
partagé, des angles incurvés des
façades, autant que des contrastes
entre les couleurs des briques
qui les composent : les aplats de
rouge qui rappellent le lycée Poin
caré voisin sont rehaussés de
splendides camaïeux de gris.
Jardin en permaculture
On doit le phare du quartier à
Patrick Bouchain : le bâtiment
construit pour Nature et Décou
vertes conserve la structure mé
tallique d’origine, en utilisant,
pour la façade comme pour l’inté
rieur, du bois de récupération et
de l’aluminium blanc pour son
toit hérissé d’une haie de cornet
tes. Doté d’un bilan carbone quasi
nul selon ses concepteurs, ce
grand vaisseau aux airs de bouti
quesouvenirs propose à l’inté
rieur un espace confiné et chaleu
reux, déstructuré par les tronçons
d’un drôle d’escalier sans cage,
ménageant des espaces de travail
et de détente ouverts sur des ter
rasses et égayés par les filtres co
lorés des fenêtres triangulaires.
Avec le jardin en permaculture
que l’enseigne a fait planter sur
le site des étangs Gobert, on a là
une image parfaite de cette « ville
verte du XXIe siècle » que François
de Mazières promeut (il en a fait,
en juin, à Versailles, le sujet de la
première édition de la biennale
d’architecture et du paysage d’Ile
deFrance). Soit une ville amie
de la nature, dans les limites des
impératifs de la libre entreprise et
d’une gestion des deniers publics
en bon père de famille.
isabelle regnier
Passé la grande
arche de brique
blanche devant
la gare, on circule
dans un savant
jeu de volumes,
de dénivelés, de
doubles niveaux
pattes. « Plus qu’en France, les ar
tistes et intellectuels italiens se
sont toujours intéressés au fu
metto, considèretil. A Bologne,
Umberto Eco a cofondé la revue
Linus, dont Alter Alter était une
émanation! Les Italiens ont long
temps publié en feuilleton, un
rythme qui induit davantage de li
berté qu’en France, où le format al
bum est roi. On privilégie l’expres
sion des sentiments à la ligne
claire, plus froide et distante. En ce
qui concerne Valvoline, cet expres
sionnisme s’est autant nourri des
toiles de Max Beckmann et des bâ
timents d’Erich Mendelsohn que
de l’école argentine, d’Alberto Brec
cia à José Muñoz, Carlos Sampayo
ou Jorge Zentner. Autant de dessi
nateurs et scénaristes qui ont
beaucoup collaboré avec nous
autres Italiens. Mais cette histoire,
hélas, reste méconnue. »
En 2008, la compagne de Mat
totti, Rina Zavagli, a ouvert la gale
rie Martel, à Paris, pour mieux
mettre en perspective l’histoire
proliférante des arts graphiques,
justement. L’un de leurs enfants
est libraire, à Bologne. Une cas
quette de passeur qu’Igort enfile
tout aussi volontiers : éditeur
chez Coconino Press, puis Oblo
mov, il dirige depuis 2018 Linus,
la revue où Valvoline a effectué
ses premiers vrombissements. En
2014, le collectif au quasi complet
s’est retrouvé lors d’une ample
exposition que lui consacrait la
Fondazione del Monte, dans leur
fief bolonais. Parmi le public, très
juvénile, point de robot ni de
sumo mangeur : on se contentait
de dévorer les volumes de Valvo
line à pleines dents.
aureliano tonet
À VOIR ET À LIRE
FILMS
La Fameuse Invasion des ours
en Sicile, un film de Lorenzo
Mattotti, sorti le 9 octobre.
5 est le numéro parfait, un film
d’Igort, sorti le 23 octobre.
EXPOSITIONS
« Mattotti et la fameuse invasion
des ours », exposition de dessins
originaux et de croquis prépara-
toires au film de Lorenzo Mat-
totti, à l’Institut culturel italien,
Paris 7e. Jusqu’au 25 octobre.
LIVRES
La Fameuse Invasion des ours
en Sicile, le roman du film
et l’album du film, de Lorenzo
Mattotti et Nathalie Kuperman,
64 pages et 44 pages
(Gallimard jeunesse, 5,90 euros
et 13,90 euros).
5 est le numéro parfait, d’Igort,
avec des photographies de Gior-
gio Marturana et Edoardo Tran-
chese, 184 pages (Casterman,
réédition 2019, 35 euros).
A gauche :
croquis
préparatoire
du film
« La Fameuse
Invasion des
ours en Sicile »,
de Lorenzo
Mattotti.
PRIMA LINEA
A droite :
planche extraite
de la bande
dessinée
« 5 est le numéro
parfait »,
d’Igort.
IIGORT/CASTERMAN
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