Les Echos - 14.10.2019

(Ron) #1

Les Echos Lundi 14 octobre 2019 ENTREPRISES// 19


contradictoire avec la nécessité de
réduire les émissions de gaz à effet
de serre, et donc nocive pour le cli-
mat », a estimé Clément Séné-
chal de Greenpeace France.
Total espère encore que le
Parlement reviendra sur la
mesure cet automne lors des
débats sur la loi de finances pour


  1. « Total fait un lobbying
    d’enfer au Parlement », témoi-
    gne Bruno Millienne. Mais ses
    chances d’obtenir gain de cause
    sont désormais faibles : le gou-
    vernement s’est bien gardé
    d’aborder ce sujet explosif dans
    le projet de loi de finances et la
    décision du Conseil constitu-
    tionnel ne devrait pas l’inciter à
    agir lors de l’examen du texte en
    séance. Officiellement toutefois,
    l’exécutif n’a pas encore pris de
    décision et prend le temps d’exa-
    miner la décision, assure-t-on à
    Bercy.


La profitabilité de
La Mède sera affectée
Le PDG de Total, Patrick Pou-
yanné, a un temps menacé de
fermer La Mède, assurant que la
raffinerie ne serait « pas viable »
si la nouvelle législation entrait
en vigueur. Il n’est plus question
d’aller aussi loin aujourd’hui
(250 emplois directs seraient
touchés et Total a investi
275 millions d’euros pour con-
vertir le site en bioraffinerie).
Mais la profitabilité de La Mède
sera affectée. Total estime que sa
marge serait réduite de 70 à
80 millions d’euros avec la perte
de l’avantage fiscal.
La production de biodiesel à
base d’huile de palme sera pour-
suivie mais elle sera donc expor-
tée si la législation est mainte-
nue, a annoncé Patrick
Pouyanné devant les députés
qui l’auditionnaient le mois der-
nier. Et la France continuera
d’importer des biocarburants à
base d’huile de palme comme
elle le fait aujourd’hui au lieu de
les produire localement, a
dénoncé le PDG.
Total s’était engagé auprès du
gouvernement à limiter les volu-
mes d’huile importée (à 50 %
des capacités de la raffinerie) et à
utiliser au moins 50.000 tonnes
par an de colza cultivé en
France. « Bien entendu, si tout
reste en l’état, avec cet amende-
ment, nous ne pourrons pas tenir
les engagements que nous avons
pris », a déclaré Patrick Pou-
yanné lors de son audition à
l’Assemblée.
—V. C.

Total a perdu une bataille, et le
pétrolier français est peut-être
en passe de perdre la guerre de
l’huile de palme en France. Le
Conseil constitutionnel a
débouté la major vendredi dans
une décision qui aura des consé-
quences pour la bioraffinerie de
La Mède, dans les Bouches-du-
Rhône. Il a validé la suppression
de l’avantage fiscal dont bénéfi-
cient les biocarburants lors-
qu’ils sont à base d’huile de
palme.
Un amendement à la loi de
finances déposé par le député
Modem Bruno Millienne,
adopté contre l’avis du gouver-
nement à l’Assemblée en
décembre 2018, exclut ces pro-
duits de la liste des biocarbu-
rants ouvrant droit à une réduc-
tion de taxe, à partir du 1er j anvier


  1. « Il n’est pas admissible
    qu’un produit qui contribue à la
    déforestation dans des pays
    comme l’Indonésie ou la Malaisie
    bénéficie d’un avantage fiscal »,
    explique l’élu qui se félicite de la
    décision du Conseil constitu-
    tionnel.


« Nocive pour le climat »
Total estime que cette mesure va
à l’encontre de l’intention du
législateur de développer
l’usage des biocarburants afin
de lutter contre les émissions de
gaz à effet de serre. Le groupe
s’est engagé à importer de l’huile
de palme bénéficiant de labels
certifiant qu’elle ne contribue
pas à la déforestation. Il soutient
aussi que la législation française
est discriminante par rapport à
d’autres producteurs comme
l’italien ENI ou le finlandais
Neste, soumis à une réglemen-
tation européenne moins défa-
vorable. Les arguments de Total
ont été rejetés, ouvrant la voie à
l’entrée en vigueur de la mesure
le 1er janvier.
A la grande satisfaction des
associations de défense de l’envi-
ronnement. « Le Conseil consti-
tutionnel confirme que l’incorpo-
ration de l’huile de palme dans les
agrocarburants est bel et bien

ÉNERGIE


Le Conseil constitu-
tionnel a validé
la suppression
de l’avantage fiscal
pour les biocarbu-
rants à base d’huile
de palme.

Biocarburants : un


revers pour Total


dans la bataille


de l’huile de palme


sée Seveso « seuil haut ». A ce titre,
le site est doté d’un système de ges-
tion de la sécurité. La quasi-totalité
des lieux de p roduction sont classés
« Atex », leur atmosphère est explo-
sive. Dans ces zones, aucun appa-
reil photo ou téléphone non sécu-
risé n’est toléré. L’usine ne produit
que 230 tonnes par an, des molécu-
les à très haute valeur ajoutée
dont la fabrication nécessite des
solvants et des réacteurs – ce qui
réclame une montée en tempéra-
ture contrôlée et continue.
Ici, être capable de neutraliser
sans tarder le « triangle du feu »
constitué par une source d’énergie,
un combustible et un comburant est
un impératif absolu. Minakem subs-
titue donc un gaz inerte à l’oxygène
dans ses procédés. Néanmoins, la
vigilance reste permanente, le per-
sonnel reçoit une formation ad hoc
et une habilitation aux différents
process. Chaque année, Minakem
consacre d’ailleurs 20 % de ses inves-
tissements à la sécurité, s oit
300.000 euros cette année.
« La sécurité est la base même de

notre métier, c’est la principale préoc-
cupation », souligne Laurent
Leclercq, le directeur du site. Pas une
salle sans de multiples triangles rou-
ges interdisant ici le stockage devant
les clapets coupe-feu, mettant en
garde, là, contre une « réaction vio-
lente à l’eau », le « risque d e projection
chimique » ou de « pression rési-
duelle ».

Un incendie circonscrit
Partout, d es dispositifs de flashs cou-
leurs, assortis de sirènes, permettent
de lancer des alertes auprès des
230 salariés du site, pour les réunir
dans des points de recensement,
voire d’évacuation en cas d’incident.
Les fumeurs sont évidemment pros-
crits dans l’enceinte.
Dans ce décor, les incidents sont
rarissimes, mais ils existent. Si la
plupart des accidents du travail sont
dûs à des chutes, un incendie s’est
quand même déclaré en juillet sur
une pompe. Le premier incident du
genre depuis 2013. Les détecteurs, le
réseau d’extincteurs et l’interven-
tion du personnel ont permis de

Olivier Ducoing
—A Dunkerque


Le risque zéro n’existe pas. Mais sur
les bords de la mer du Nord, Mina-
kem veut s’en approcher au maxi-
mum. Dans la grande zone Seveso
de Dunkerque, ce groupe nordiste
fabrique des matières actives pour
les grands de la pharmacie ou de la
cosmétique, un métier où les matiè-
res premières et les réactions chimi-
ques sont hautement dangereuses.
En clair, c’est le genre d’endroit qui
peut vivre la même mésaventure
que l’usine Lubrizol de Rouen, vic-
time d’un gigantesque incendie le
26 septembre.
Comme 22 autres usines voisi-
nes, Minakem Dunkerque est clas-


L’usine Seveso « seuil haut »
de Minakem, groupe
indépendant de chimie fine,
produit des principes actifs,
notamment pour la
pharmacie, à Dunkerque.
Sur place, le niveau de
protection est extrême.


Propos recueillis par
Vincent Collen
et Julien Dupont-Calbo


Au regard de la catastrophe
de Rouen, les règles de sécurité
qui régissent l’industrie chimi-
que française ne sont-elles pas
insuffisantes?
Nous sommes conscients des
inquiétudes que suscite cette crise.
La sécurité est la priorité absolue de
la chimie, elle est dans l’ADN de
l’industrie. Le secteur consacre cha-
que année 20 % de ses investisse-
ments à la sécurité et à l’environne-
ment, soit 600 millions d’euros. Un
tiers des heures de formation des
salariés est dédié à la sécurité, ce qui
est crucial car les accidents sont
souvent liés à des facteurs humains
ou organisationnels. Et nous allons
au-delà de la réglementation e n pre-
nant des engagements volontaires :
le partage des bonnes pratiques au
sein du secteur est largement
répandu et nous labellisons


Selon le président de France Chimie, Luc Benoit-Cattin, « à Rouen, ce qui est en cause n’est pas
la production, mais le stockage des produits. » Photo Philippe Lopez/AFP


4.000 sous-traitants qui doivent
appliquer les mêmes standards de
sécurité que les 3.000 entreprises de
la chimie. Le risque zéro n’existe pas
mais nous sommes mobilisés pour
le limiter au maximum et contenir
les conséquences en cas d’incident.

Qu’êtes-vous prêts à changer
alors, pour éviter que ce genre
d’accident ne se reproduise?
Il faut tirer des enseignements de
chaque événement. A Rouen, ce qui
est en cause n’est pas la production
mais le stockage des produits. Le
stockage dans les 400 sites chimi-
ques classés Seveso est strictement
réglementé mais il faudra certaine-
ment ouvrir une réflexion sur la
surveillance et la gestion des stocks.
L’autre question concerne la traça-

bilité des produits. Nous devons
nous mettre en capacité de produire
un état des lieux au jour le jour pour
pouvoir transmettre ces données
immédiatement en cas d’incident.
C’est possible aujourd’hui grâce à la
généralisation des systèmes d’infor-
mation. Cela permettra d ’en
déduire la façon dont les produits se
dégradent (en brûlant, par exemple)
et d’en évaluer les dangers.

Etes-vous prêts à accepter
un renforcement
de la réglementation?
La réglementation française est
l’une des plus exigeantes au monde.
Nous considérons qu’elle est suffi-
sante et qu’e lle comporte tous les
leviers nécessaires pour tirer les
enseignements du type de situation
qui s’est présentée à Rouen. Pour
chaque site, chaque entreprise doit
soumettre au préfet plusieurs cen-
taines de scénarios (incendie, explo-
sion, nuage toxique...) et démontrer
qu’elle a pris les mesures adéquates

stopper très vite le feu avec les res-
sources propres de Minakem, sans
attendre l’arrivée des sapeurs-pom-
piers arrivés peu après.
L’usine dispose d’ailleurs de deux
réserves d’eau stockant 2.000 m^3 à
elles deux, auxquelles peuvent
s’agréger les moyens de l’unité voi-
sine d’AstraZeneca. Quelque 3 4 sala-
riés sont qualifiés comme équipiers
de seconde intervention (des pom-
piers internes), tandis que la totalité
des effectifs sont formés à l’utilisa-
tion des extincteurs. A cela s’ajou-
tent des systèmes de « mousse à haut
foisonnement » capables de noyer la
zone de stockage en moins de trois
minutes, explique le directeur.
Le dispositif de Minakem est con-
trôlé plusieurs fois par an par la
Dreal – 3 fois en 2019 déjà. La direc-
tion doit aussi produire régulière-
ment une étude de danger identi-
fiant l’intégralité des risques. Si les
risques d’incendie ne suffisaient pas,
le site est aussi sensible face au terro-
risme et relève donc de Vigipirate.
Gardiennage renforcé, vidéosur-
veillance et barrière périmétrique.n

Dans la zone Seveso de Dunkerque,


la quête impossible du risque zéro


L’ industrie chimique prête


à « tirer les leçons » de Rouen


pour en réduire l’impact si le risque
se matérialisait. Ces scénarios doi-
vent modéliser les conséquences de
chaque type d’accident sur la santé
et l’environnement. Pour les sites
Seveso à seuil haut, la loi Bachelot d e
2003 interdit en plus toute nouvelle
construction aux alentours. Les
industriels ont, par ailleurs, investi
500 millions pour réduire encore
les risques des installations et isoler,
renforcer et protéger les logements
et les activités à proximité, avec la
contribution de l’Etat et des collecti-
vités territoriales.

Pour plus de transparence,
pourquoi ne pas rendre publi-
ques les données sur les produits
de façon permanente?
Cela poserait un vrai problème de
propriété industrielle et il serait dif-
ficile pour les riverains d’exploiter
une telle masse de données. Mais
nous devons, en cas d’accident, être
en mesure de transmettre rapide-
ment au préfet et aux parties pre-
nantes les données les plus précises
possible.

Faut-il éloigner les sites Seveso
proches des zones peuplées?
Il est aujourd’hui interdit de cons-
truire à proximité des sites Seveso!
C’est, par ailleurs, souvent l’urbani-
sation qui est venue vers les sites,
pas le contraire. Appliquons donc
jusqu’au bout la loi Bachelot pour
les 16.000 logements riverains, et
continuons à améliorer la sécurité
et la prévention des risques. Déloca-
liser serait coûteux : il faudrait
compter plusieurs centaines de mil-
lions d’euros pour un site Seveso. Et
ce serait surtout très compliqué
pour son écosystème local qui com-
prend les salariés, les fournisseurs,
les infrastructures de transport...

Peut-on encore construire
des usines chimiques en France?
C’est tout à fait possible sur l’une des
17 plates-formes industrielles du
secteur. Ces plates-formes auxquel-
les la loi Pacte vient de donner un
statut réunissent, sur un même site,
plusieurs industriels de la chimie
qui mettent en commun leurs utili-
tés (eau, énergie, déchets...) et qui
partagent une même culture de ges-
tion des risques.n

lLa fédération de l’industrie chimique française s’exprime pour la première


fois depuis la catastrophe de Rouen.


lSon président juge la réglementation actuelle suffisante mais se dit prêt


à améliorer la surveillance et la gestion du stockage des produits dangereux.


LUC BENOIT-CATTIN
Président de France
Chimie

« Dieselgate » : Daimler doit rappeler
des centaines de milliers de Mercedes

AUTOMOBILE L’agence allemande de l’automobile (KBA) a
ordonné à Daimler de rappeler des centaines de milliers de Mer-
cedes Benz supplémentaires, soupçonnées d’être équipées d’un
logiciel t ruqueur, a annoncé vendredi le constructeur. A u moins
260.000 fourgons du type « Sprinter » sont concernés par ce
rappel européen, selon Daimler qui précise faire appel de la
décision tout en « coopérant avec les autorités ».

Bic révise à la baisse ses prévisions
annuelles

BIENS DE CONSOMMATION Bic a révisé, vendredi, à la baisse
ses prévisions annuelles, en raison d’un marché des briquets
perturbé aux Etats-Unis e t des faibles résultats de la papeterie.
Le groupe français s’attend désormais à un chiffre d’affaires
annuel à périmètre constant stable ou en recule de –2,0 %,
contre une légère croissance jusqu’à présent. Sa marge
d’exploitation, elle, se situerait dans le bas de la fourchette ini-
tiale de 16,5 % à 18 %.

à suivre

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