Pascaline lePeltier,
la sommelière
J’ai décidé de mettrelaphilo decôté et de tra-
vailler dans larestauration.»
Lesdébuts ne sontpas faciles, leslycé es hôteliers
refusentcette surdiplômée. Elle serabatsur des
mastersenrestauration, enfait deuxàlafois.
Demandeàtrav aillerchez le traiteurPotelet
Chabot qui,àl’époque, ne prendpasdefille en
cave et la placemaîtresse d’hôtel.Réussit enfin à
intégrer une mentioncomplémentaireensom-
mellerie grâceaucavistePatrickRigourd, qui
deviendrason prof et mentor:«Elle avaittout le
bagage intellectuel,mais il fallait qu’elle crotte ses
chaussures. Elle s’est miseàdéguster et, très vite, a
acquis une grande finesse et ungoût pour les vins
respec tueuxdelanature.»Elle nourrit unepas-
sionpour les vins bio, biodynamiques ou sans
soufre.«Enunmois, j’aifait la différenceentre les
vignes dégueulasses etcelles en bio. J’ai lachance
de biengoûter etça criait dans le verre. Ilfallait
que je sois aveccesvins-là,ave cles vignerons qui
les font.»Depuis, le cavistedel’épicerie Des halles
et des gourmets ne cachepassafierté envers son
élève :«Pascaline est un très beaucadeau.Pour les
vignerons qu’ellereprésente,pour moi,égoïste-
ment, pour les professionnels,reprendPatrick
Rigourd.Elle est une portequi s’ouvresur autre
chose dans l’image du vin mondial.Comme l’inven-
tion d’un nouveau moteur écologique.»
Mais, àl’époque, les vins nature sontméprisés
desrestaurants étoilés et de leurssommeliers.
Philosophie, sommellerie, vin écolo et sexe
féminin, le mélange effraie ou suscitel’incom-
préhension, et la jeunefemme essuie plusieurs
Il yad’abord son débIt deparoles.
Comme animé d’unecertaine urgence.Le cer-
veau dePascalineLepeltier semblefonctionner
troprapidementpour que savoix puisse suivre.
Alorselle parlevite, très vite.Même ce matin-là,
au réveil, lescordes vocales cassées d’avoir trop
racont élevin laveille aurestaurantnew-yorkais
où elle travaille.«Une in telligencesupérieure.»
Voilà la phrase quirevientdanstoutes les
bouches, ducopain de khâgneàNantesaux
sommeliersetcavistes qu’elleacôtoyés, quand
il s’agitde décrirePascalineLepeltier.En2018,
elle aaccompli un doublé historique:remporter
la même année leconcoursdumeilleur somme-
lier deFranceetduMeilleurOuvrier deFrance
en section sommellerie. Depuis la création du
premier,aucunefemmen’avait accédé àcetitre.
La vidéo de la finale du second, disponible sur
YouTube, montresaperformancedesportive. La
sommelière enchaîne les épreuves, tendueparla
concentration. Depuis,cetteAngevine de 38 ans
est devenue le modèle de nombreux étudiants
de cettediscipline. Ils admirentson curieuxpar-
cours, oucommentune diplômée de philoso-
phie, amoureuse des vins nature,petiteentaille
mais auverbehaut, estparvenueàgagner leres-
pect de la sommellerieclassiqueàlafrançaise.
Alorsque, classique, elle ne l’estpasdutout.
Depuis sept ans, elle habiteavecson épouse un
appartementdeHarlem,«enbordel parce qu’on
bossecomme destarées».Unetoile de sacom-
pagne trône au-dessus du canapé.Pascaline est
sommelièreaurestaurantRacinesNY,ausud de
Manhattan, où les vins en biodynamie et sans
soufreont la part belle. Mais c’estàAngers
qu’elleagrandi, avec une mèreprofesseurede
physiologievégétale et unpère ingénieur auto-
mobile. Excellenteélève,déjà trèscompétitive
(grâceautennis). Son professeur de philosophie
de terminalebouscule sa vie :«Ilm’a fait décou-
vrir Alain.Révélation. J’ai trouvéexceptionnel
d’avoir une pensée si claireetbrillante,etdepou-
voir larendreaccessibleàtous. Cettevisionm’a
beaucoup influencée.»Un dramefamilial lui
donne larage de vivre.Mais aussi laresponsabi-
litédefaire fructifier sachance:«Quand on a
une facilitéouuntalent, c’est unefautemorale
de ne pas l’exploiter ni d’enfaireprofiter les
autres. C’est très aristotélicien de direça, mais
cettepenséeaguidé l’intégralit édemavie.Jedois
faireceque je saisfairelemieux possible et le
transmettreàtous.»
Hypokhâgne et khâgne s’enchaînent, puis une
maîtrise de philosophie.Mais, à22ans, soncer-
veau craque.«Ilest devenuboulimique, je lisais
compulsivement.Une crised’angoissem’apara-
lysée, six mois durant.Je ne pouvais plus sortir
dans la rue.»C’estàcestade, seulement, que le
vin surgit dans sa vie.«Ilm’a sauvée.Je ne vou-
lais pas mefairesoigner,donc j’ai décidé d’arrê-
terdepenser.J’ai fait des stages partout où on
voulait de moi,chez un fleuriste, uncaviste... et
le vin était là.Cetuniversm’a parlé, j’ai adoré.
refus.«Sij’avais eu 19 ans,cela m’aurait sûre-
mentdécouragée. Mais j’enavais 25, j’étais trop
déterminée.»C’est finalementl’étoilé Jacques
Thorel qui l’accueille.«Jen’avais pas besoin
d’elle, mais elle étaittellementmotivée,racont e-
t-il.J’avoue que, entreson CVàfairetrembler la
terreets on côté brut de décoffrage, j’appréhen-
dais un peu.D’ailleurs, ellem’amené la vie dure!
Elle me questionnait sans arrêt, jecourais de
livr eenlivre pourtenir lesconversations, sur
lesquelles ellerevenait parfoishuit joursaprès.
Je n’ai jamais vucela.»Tous deux gardent
encoreune affection profonde l’un envers
l’autre.«Jevous assurequ’on n’apas fini de la
voir.Jelui sens un potentiel de meilleur somme-
lier du monde»,reprend lechef.
PascalineLepeltiern’est pasdupedeses diffé-
rences. Elle essaiepourtant de coller àl’image
standarddelasommelièrediscrèteetdans lerang.
Se fait violence.Puis se résoutàunconstat :ilf aut
partir pour êtremieux acceptée. Elle est alors
embauchéeparRougeTomate,àBruxelles, puis
part pour NewYork.Là-bas, on accueille son
amourpour les vins bioàbrasouverts. Elle en pro-
fite. Et s’adoucit :«Audébut,on veut se battremais,
finalement, embrasser permet detoucher plus.»
D’autantque NewYork la prendtelle qu’elle est :
«Quelle estcetteville oùtu pe ux êtresommelière,
femme,gay, aimer les vins quetu veux et où,situ
es compétent,ça marche?Aujourd’hui,laFrance, y
arrive.Mais, àl’épo que, elle était enretard.»Elle
gardepourtant un amour de la sommellerie fran-
çaise, de«cet art de vie superbe, qui prône une
cultureenracinée dans le mondeagricole et le trans-
met dans unrestaurant».Alorsellerevient ypré-
parerles concours. Lareconnaissance. Enfin.
Le concoursdumeilleur sommelier du monde?
Pourquoipas. PhilippeFaure-Brac, quiforme les
candidats aux compétitions nationales et interna-
tionales,confie qu’il ne seraitpasétonné de la
revoir.Elle reconnaît qu’elle adoreréviser,creu-
ser sonexpert ise, s’obligeràgoûtertout ce qu’elle
ne connaîtpasencor e. Si ellese portait candi-
date,ceneseraitpastantpour le titreque pour
la plateforme qu’il lui offrirait. De quoi mettreen
avantcequ’ellereprésenteetles valeursqu’elle
défend. Car sa vision de la sommellerie devient
de plus en pluspolitique.«L’alimentation, parfois
débilitante,decertaines personnesfait mal au
cœur et constitue l’une des grandes problématiques
sociétales. Ilfaut réexpliquer legoût. C’est un acti-
visme.Mais que je veux œcuménique,comme
Alain. Expliquer plutôt qu’imposer.»
Et puis,bien sûr,ilyason statut defemme.Même
si elleveut d’abordêtrereconnuecomme une
grande professionnelle.ÀNew York,lemouve-
ment#metoo adéjà gagné larestauration. Mais
l’ancrage desfemmes s’apparente encoreàdes
«radicelles».«Deminusculesracines qui poussent,
pas un systèmeracinairesolide.Si demain ilya
une crise majeure, je suis sûreque tout ce qu’on a
mis en place voleraenéclats.»Elle comptepour-
Alice tant bienfairesouche. O. N.
Prenat