Le Monde - 26.10.2019

(Wang) #1

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CULTURE


SAMEDI 26 OCTOBRE 2019

0123


DANSE


D


eux festivals pluridis­
ciplinaires autour de
l’Afrique et de sa dias­
pora s’affichent actuel­
lement. Centré sur l’Ile­de­France,
présent aussi en région jusqu’aux
Antilles et la Guyane, Le Mois
Kréyol fête sa troisième édition
jusqu’au 9 novembre, pilotée par
Chantal Loïal. Implanté à Toulouse
depuis sa création en 1998, Dan­
ses et Continents noirs, dirigé par
James Carlès, se resserre du 26 oc­
tobre au 8 novembre.
Les deux maîtres d’œuvre sont
danseurs, chorégraphes et péda­
gogues, combattants d’abord, qui
ne désarment pas pour montrer
une autre face de la réalité histori­
que et artistique en France, celle
des afro­descendants. A la tête de­
puis 1995 de la compagnie Difé
Kako (« ça va chauffer », en créole),
enracinée dans les traditions de la
Guadeloupe où elle est née, mais
tournée vers le contemporain,
Chantal Loïal, interprète de José
Montalvo de 1997 à 2007, plante
son geste au carrefour du triangle
Afrique­Caraïbe­France : « J’ai créé

Le Mois Kréyol parce qu’on ne voit
pas les artistes de la Caraïbe dans
les lieux de premier plan comme
les scènes nationales, les centres
dramatiques nationaux ou les
centres chorégraphiques natio­
naux. Alors que mon festival itiné­
rant se pose partout, dans les MJC,
les médiathèques, les théâtres, il
n’est pas suffisamment représenté
dans les institutions. »
Même ton offensif chez James
Carlès. Né au Cameroun, formé
aux danses traditionnelles d’Afri­
que centrale jusqu’à l’âge de
12 ans, il est passé par l’école Alvin
Ailey et José Limon, à New York, et
au Laban Center, à Londres. Il di­
rige le Centre chorégraphique Ja­
mes Carlès, à Toulouse, qui re­
groupe sa compagnie, créée
en 1989, et un pôle de transmis­
sion où il enseigne et est aussi
chercheur. « Nous ne sommes pas
conformes à la ligne esthétique à
dominante blanche que l’on recon­
naît ici comme contemporaine par
manque de connaissances, de la
part de ceux qui nous jugent, d’une
autre histoire de la danse que celle
occidentale, explique­t­il. Son récit
officiel passe par Isadora Duncan,

Martha Graham, Merce Cunnin­
gham... Mais d’autres points de vue
sont possibles qui permettent de
dire aujourd’hui le monde dans
sa globalité. Nous n’avons pas en­
core en France déconstruit notre
vision coloniale. On reste à la
même lecture de la métropole et
des outre­mer, du centre et de la pé­
riphérie. Bien sûr, je programme
des projets afro­descendants mais
aussi Carolyn Carlson. Je ne vais
pas enfermer le festival et repro­
duire ce que je critique. »

« Une colonne vertébrale mobile »
Le corps noir dansant est au cœur
de ces deux événements. Radica­
lement autre que celui du ballet,
de la danse moderne et contem­
poraine, il porte une identité
complexe. Pour la 21e édition de
son festival, James Carlès pour­
suit, en collaboration avec le
consortium Erasmus Mundus
EuroPhilosophie, une réflexion
sur le « Corpus africana ». L’affiche
de la manifestation met en avant
une femme guerrière aux poings
serrés, « une provocation pour
questionner le public avec l’image
de cette amazone quasi dénudée ».

L’« Odyssée photo» de Rockin’Squat


Le membre du groupe de rap Assassin partage ses archives dans un livre


MUSIQUE


R


ockin’Squat fait partie des
figures historiques du rap
français au même titre
que JoeyStarr et Akhenaton, mais
le grand public le connaît moins.
Pendant plus de vingt ans, le rap­
peur originaire du 18e arrondis­
sement de Paris, membre du
groupe Assassin, a refusé de
montrer son visage et exigé de re­
lire ses interviews. Aujourd’hui,
Mathias Cassel, fils de Jean­Pierre
et frère de Vincent, se raconte
dans un livre où il a compilé tou­
tes ses archives photographiques
et ses réflexions sur les trente der­
nières années, qui l’ont vu passer
de tagueur frénétique dans le mé­
tro à rappeur engagé et organisa­
teur du festival socioculturel
Planeta Ginga, dans les favelas de
Rio de Janeiro. Rockin’Squat, chro­
nique d’une formule annoncée
(publié chez Livin’Astro, SDLB Pu­
blishing) est aussi un formidable
témoignage sur une époque dont
les bouleversements technologi­
ques ont modifié la manière
d’écouter la musique, de la pro­
duire et de la médiatiser.
Avec son groupe, qui a posé les
bases du rap en France avec des ti­

tres comme La Formule secrète ou
Note mon nom sur ta liste, il vit les
débuts difficiles du genre à la télé­
vision : « Assassin a commencé au
milieu des années 1980 et on s’est
donc beaucoup montré pendant
cinq ou six ans à visage découvert.
Moi, je fais le choix de ne plus me
montrer à partir d’une émission
avec Christine Ockrent, “Direct”
[magazine bimensuel diffusé sur
France 2 en 1992], qui avait pour
thème la banlieue. La façon dont
on nous a traités à l’antenne était
déplorable. On a quitté le plateau
en plein milieu de l’émission. »

Un festival au Brésil
Mathias Cassel, qui a travaillé
pendant près de trois ans sur
l’ouvrage, se défend d’avoir écrit
un livre sur Assassin ou même
une autobiographie : « C’est une
odyssée photographique. J’archive
beaucoup, sans être maladif. Dès
le début d’Assassin, j’ai gardé les
coupures de presse, les photos de
concerts. Quand je me suis plongé
dans le bouquin, on a bien utilisé
70 % de ce que j’avais en ma pos­
session. Le reste vient de mon frère,
Vincent, et de ma mère, Sabine. »
Dans la dernière partie, ses fans
peuvent aussi découvrir son tra­

Les deux maîtres
d’œuvre sont
danseurs,
chorégraphes
et pédagogues,
combattants
d’abord

vail au Brésil, où il vit depuis dix­
huit ans, à travers son festival
Planeta Ginga. Le rappeur fran­
çais y invite des confrères fran­
çais comme Booba ou Abd al
Malik à donner des concerts,
mais aussi à participer à des ate­
liers avec des jeunes des quar­
tiers, qui vivent au milieu d’ar­
mes à feu. « La prochaine édition
aura lieu à Morro da Providência,
une favela assez dure, explique­
t­il. On l’organise cette année
avec le photographe JR. Moi, je me
suis habitué à voir des armes par­
tout, un AK­47 ou un M­16, c’est
comme un portable, raison de plus
pour amener un festival culturel
dans ces endroits. »
En septembre, Rockin’Squat a
voulu décliner son festival dans le
16 e arrondissement de Paris mais,
après l’intervention d’une asso­
ciation de riverains, il a dû le re­
porter à juin 2020 : « C’est plus fa­
cile d’organiser un festival dans les
favelas au milieu des mitraillettes
que dans le 16e », conclut­il.
stéphanie binet

Rockin’Squat, chronique d’une
formule annoncée, de Mathias
Cassel, Livin’Astro, SDLB
Publishing, 290 p., 49,90 €.

Corps noirs, danses créoles


Les festivals de Chantal Loïal et de James Carlès montrent la créativité contemporaine des afro­descendants


Chantal Loïal, qui a collaboré
avec des orchestres africains


  • dont celui du Congolais Kanda
    Bongo Man –, a longtemps souf­
    fert de sa différence physique.
    Pas pour rien qu’elle s’est mise en
    scène dans le solo On t’appelle Vé­
    nus (2011), en hommage à la « Vé­
    nus hottentote », Saartjie Baart­
    man (1789­1815) : « Ce sont les col­
    laborations avec des chorégraphes
    africains comme Assaï Samba ou
    Lolita Babindamana qui m’ont
    aidée à accepter mon corps qui n’a
    rien à voir avec les codes de la
    beauté blanche occidentale. » Ja­
    mes Carlès ajoute : « Chorégraphi­
    quement aussi, les fondamentaux
    d’un corps africain qui danse s’ap­
    puient sur une colonne vertébrale
    mobile. C’est un corps libre qui
    peut s’articuler et se déployer dans
    toutes les directions. Il est poly­
    rythmique et tridimensionnel.
    Politiquement, c’est évidemment
    un corps connoté, jamais neutre,
    écran de projections sexuelles et
    ethno­raciales liées à l’esclavage
    et à la colonisation, dont on a du
    mal à se débarrasser. »
    Pour doper ce que l’on appelle
    aujourd’hui « la décolonisation des


arts » en ouvrant l’imaginaire, Car­
lès a lancé en 2007 le projet Danses
noires, déjà présenté deux ans
plus tard au Centre national de la
danse, à Pantin (Seine­Saint­De­
nis). Son objectif est de recons­
truire et filmer des pièces­phares
du patrimoine de la diaspora afri­
caine. Une quinzaine d’œuvres,
dont certaines de Katherine Dun­
ham (1909­2006), pionnière afro­
américaine nourrie d’influences
antillaises, de Pearl Primus (1919­
1994), danseuse et anthropologue
née à Trinidad et installée à New
York, sont déjà réalisées. « Je veux
offrir un socle de références qui per­
mettent, en particulier aux institu­
tions, de lire les spectacles choré­

graphiques des créateurs noirs
avec des informations scientifi­
ques, insiste Carlès. Parallèlement,
il tourne On va gâter le coin !, sur
le coupé­décalé, danse de club
« afro­française », selon sa défini­
tion, née dans les années 2000.
Quant à Chantal Loïal, elle s’atta­
que aujourd’hui au patrimoine
immatériel des Antilles dans sa
nouvelle pièce, Cercle égal demi­
cercle au carré. Avec dix interprè­
tes et cinq musiciens, elle revisite,
en le métissant avec le hip­hop, le
quadrille, importé au XVIIIe siècle
par les colons et dont les Antillais
se sont emparés. « Ce patrimoine
est très vivant dans les territoires
créoles et doit le rester, commente­
t­elle. Il doit aussi être reconnu en
France, car il appartient à ce pays.
La créolisation, qui est ouverture et
respect de l’altérité de l’autre, est au
cœur de mon travail, car nous
sommes tous pluriels. »
rosita boisseau

Le Mois Kréyol, jusqu’au
9 novembre. Lemoiskreyol.fr
Danses et Continents noirs.
Du 26 octobre au 8 novembre,
Toulouse.jamescarles.com

De gauche
à droite :
Chantal Loïal
fait danser le
public lors
du Monde
Festival,
le 5 octobre à
l’Opéra Bas­
tille, à Paris.
CEDRICK-ISHAM
James Carlès
dans
« #Psaume 3 ».
ERNEST SARINO MANDAP

WILLIAMFORSYTHE A QUIET EVENING OFDANCE


FESTIVAL D’AUTOMNE À PARIS


© Bill

Avec le soutien deWarner Music Group Cooper


4-10 novembre


De 6 à55 €


Au Théâtre du Châtelet
Avec leThéâtre de laVille
Hors les murs

festival-automne.com

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