Le Monde - 26.10.2019

(Wang) #1

cont emporains Botticelli ou Raphaël, déclenche lespassions.
RichardScott se souvientainsi que sonpère,leneuvième duc de
Buccleuch,avait pour habitude de trimballercette«touche person-
nelle»au grédes saisons, d’une demeureseigneurialeàl’autre,
Drumlanrig, où ils prenaientleursquartiersd’automne, lepavillon
de chasse deBowhill, dans le sud de l’Écosse, et, enfin, dans leur
résidenced’été,lad emeuredestyle trèsversaillais de Boughton, dans
le cent re de l’Angleterre.«C’estune famille catholique, qui traitait
le tableau comme untableau de dévotion»,préciseMartin Kemp,
éminentspécialistedeVinci et professeuràl’universitéd’Oxford. Et
d’ajouter :«Jesuisuna ncie ngauchiste, jen’ai aucuneraison d’aimer
l’aristocratie,maisjedoisavouerqu’ilsétaientexemplaires.Ilsveillaient
sur ce tableau comme sur la prunelle de leursyeux.»En prenant
toutefois quelques libertésavecsamanutention...«Onlem ettait
àpeine emballé dans lecoffre d’une voiture, le plus simplement
du monde,raconteRichardScott,et on le posait sur unchevalet à
notrearrivée dans l’un deschâteaux.»Pendantles années 1980,
le ducJohn décrètequ’il faut l’accrocher dans un seul lieu,
àDrumlanrig.Pour mieux le protéger,pense-t-il.
La toile nebouge pas. Jusqu’au 27 août 2003, jour où ni le duc ni son
fils ne sontauchâteau. Commetous les étés,celui-ci ouvreà
11 heures aux visiteursqui, moyennantlas omme de6livressterling
(6,97 euros), ontdroit àune visiteguidée.Mêlés auxtouristes se
trou vent deux grands lascars, auxquelspersonne ne prêteattention.
Arrivésdans la cage d’escalier,ils sortent une hache, cassentlec offre
vitrédeprotection dutableau,avantdes’échapperparune port e-
fenêtre,rejoignantuncomplicegarédans une vieille Golf blanche.
«Ils connaissaientvisiblementles lieux, savaientque cetteporte-
fenêtres’ouvrait,supputeleduc Richard.Le to ut n’aduréque cinq
minutes.»L’alerte est immédiatementlancée, le signalementenvoyé
aux portsetaux aéroports. Deux hélicoptères survolentlar égion.
En vain. Des mois durant, le ducJohn broie du noir.Bien que davan-
tage passionnéparlacollection deportraits miniaturesetles
meubles français duxviiiesiècle, son filspartage sapeine.«Quand
vous avez detels trésors,vous vous sentezresponsable»,confie-t-il.
La consternationtouche le milieu de l’art:àpeine5%à10%des
œuvres d’artvolées sontretrouvées. La pègreapour habitude
d’utiliser detels trophéescomme monnaie d’échange.Unerécom-
pense substantielle, dontlemontant n’est pasdivulgué mais qui
selon unexpertde lacompagnie d’assurances Lloyd’s se chiffrait
en cent aines de milliersdelivressterling, est offertepour toute
informationpermettant de retrou verLa Madone.En 2007,un
avoué de Glasgow, Marshall Ronald, se signale auprès de lacom-
pagnie d’assurances. Deux détectivesprivésdeLiverpool, Robbie
Graham etJack Doyle, onteuventqu’un«hommed’affaires»l’avait
reçue en cautionpour un deal immobilier de 700000 livres ster-
ling (812560 euros) et qu’il était prêtàlar endreàson propriétaire,
en échange decettesomme.Marshall Ronald, qui joue les inter-
médiaires,réclame au duc la somme de 4,25 millions de livres
sterling (4,93 millions d’euros). Lapolicearrêt eles trois hommes,
quiseron tfinalementblanchis auterme d’un procès en 2010:ils
n’étaientnivoleursnihommes de main, mais de simples intermé-
diaires, sans doutetropnaïfs ou trop gourmands.
La Madoneauf useauest laissée en transit auMusée national
d’Écosse, auscultéeparl’équipederestaurateurs.Miracle:elle n’a
subi qu’une minuscule abrasion dans lapartie inférieure. Richard


Scott serend auchevet de l’œuvre, entant que
nouveau chef de lafamille Buccleuch–son père
est morttrois semaines plustôt, sansrevoir son
tableau chéri.Ils esouvient:«Lorsque je l’ai vu
sanscadre,sansverre,justenu,j’aisentiunfrisson
dans lanuque.»Aussitôt, toutefois, un autrefris-
son, deterreurcettefois, le saisit:etsilepanneau
était encoreune fois volé?Pour éviter un nouveau
drame, lafamille trouve plus sage de laisser
La Madoneen dépôtàlongterme auMusée
d’Édimbourg.D’autantque l’institution, qui en
assurelagarde,paie aussi désormais l’assurance,
qu’on imaginecoquette...Depuis 2008, donc, le
publicpeut voir gr atuitementcepetit panneau,
accr oché dans latoutepremièresalle aux murs
rouges,àcôtéd’une spectaculaireViergeàl’enfant
de Botticelli et non loin d’autres grands noms de
la Renaissance, Raphaël et leTitien.Luiseul,
pourtant,jouit d’un dispositif de sécuritérenforcé.
Parcequ’il s’agit d’un prêt d’unefamille influente.
Parcequ’il adéjà étédérobé.
Mais aussiparceque des spécialistes du monde
entier viennentlecontempler et l’examiner.Car,
voilà, l’authenticitédecetteMadoneaufuseaufait
débat.Sid’autrestableaux deVinci,comme
La Dame àl’hermineouLa Madone àl’œillet,ont
étéles objets d’âpres discussions entreles experts
avantdefaireconsensus,La Madone au fuseau
divise encore. Car il enexisteune version, quasi

“Lorsque j’ai vu ‘LaMadone au fuseau’
sans cadre, sansverre, justenue,
j’ai sentiunfrissondans lanuque.”
RichardScott, dixièmeduc deBuccleuch

Le château
de Drumlanrig,
propriété
écossaise du duc
de Buccleuch.
C’est là que
La Madoneaété
exposée pendant
plus de quinzeans,
avant d’êtrevolée
en 2003.
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