Courrier International - 26.09.2019

(Tina Sui) #1

  1. D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — n 1508 du 26 septembre au 2 octobre 2019


afrique


Lubabalo Gibson, 14 ans et déjà
un grand champion, qui va par-
ticiper à la course du jour. Son
père, George Gibson, un homme
à la fois calme et passionné, par-
tage son goût immodéré pour les
courses traditionnelles de che-
vaux avec au moins trois géné-
rations de patriarches avant lui


  • une tradition familiale cou-
    rante chez les éleveurs xhosas,
    pour qui ces courses servaient
    souvent de rite d’initiation. “Mon
    grand-père paternel faisait courir
    des chevaux, puis mon père a pris
    le relais. Quand j’étais jeune, j’étais
    jockey et j’ai appris ce métier à
    mes enfants, raconte-t-il. Ce sport
    est très important pour tous les
    Xhosa s.”
    Mais aujourd’hui, la visi-
    bilité des courses tradition-
    nelles va bien au-delà. Selon
    Graig Paterson, un chercheur
    de l’université américaine de
    Rhode Island qui a consacré sa
    thèse à ce sport, le nombre de
    spectateurs a triplé au cours
    des cinq dernières années pour
    atteindre 30 000. Ce bond est
    d’autant plus remarquable que
    les courses avaient pratiquement


disparu durant la période san-
glante qui a précédé la fi n de
l’apartheid [système ségréga-
tionniste imposé par la mino-
rité blanche en Afrique du Sud,
de 1948 à 1991], au début des
années 1990, alors que la menace
de guerre civile pesait sur une
bonne partie des régions rurales.
Mahlubi Puzi, éleveur de
chevaux, se souvient très bien
de cette époque sombre. Il n’a
pas oublié les jours où il se pri-
vait de nourriture pour que ses
bêtes puissent manger. Mais
même si son sport favori était
en très mauvaise posture, il a
toujours été convaincu qu’il
allait remonter la pente. “Les
courses traditionnelles de chevaux
ont connu beaucoup de hauts et de
bas, mais elles ont toujours sur-
vécu”, souligne-t-il. Selon lui, l’ac-
tuel renouveau est dû en partie au
parrainage du département des
sports, des loisirs, des arts et de
la culture de la province du Cap-
Oriental et de la Fédération sud-
africaine des courses. Mais, pour
Graig Paterson, il y a une autre
explication : le désenchantement
face aux inégalités persistantes
dans le pays.
“Quand je regarde aujourd’hui
des courses traditionnelles de che-
vaux, j’ai l’impression d’assister à
un rituel de commémoration [...],
à la représentation constante d’un
mode de vie, une sorte de retour à

Afrique du Sud.


Les courses


de chevaux,


une tradition


renouvelée


Depuis près de deux cents ans, les courses


de chevaux font partie de la culture de la


communauté xhosa. Mais ce sport connaît une


expansion très forte ces dernières années. L’appât


du gain inquiète les adeptes de la tradition.


Le nouvel élan donné
à ce sport a éveillé
l’intérêt des milieux
d’aff aires noirs et des
établissements de jeu.

—The Christian Science
Monitor Boston


A


lors qu’un puissant vent
du sud-est balaie le petit
village de Cebe, George
Gibson prend l’un de ses che-
vaux de course par les rênes et le
fait marcher sur le fi n sable gris
en direction de l’océan Indien.
Quand la marée montante atteint
ses chevilles, il s’arrête, lève la
tête vers le ciel et s’adresse à
l’esprit de ses ancêtres dans son
idiome natal, le xhosa, frappant
l’air de son poing serré et élevant
la voix afi n de dominer le rugis-
sement des vagues. “Le jugement
fi nal va être rendu! Le jugement
fi nal va être rendu! s’écr ie-t-il. On
vient vous demander de bénir notre
voyage et de nous accorder la vic-
toire dans la course d’aujourd’hui.
Faites que nos chevaux eff ectuent
la meilleure course de leur vie.”
Depuis près de deux cents
ans, les courses de chevaux font
partie intégrante de la culture
xhosa dans les collines qui
bordent la Côte sauvage sud-
africaine. Leurs origines remon-
tent aux confl its coloniaux du
début du e siècle, quand les
AmaXhosas – l’appellation géné-
rique des peuples xhosas – ont
acheté des chevaux et des fusils
aux négociants néerlandais pour
tenter de repousser la cavalerie
britannique. Les AmaXhosas * ES. Eswatini, GA. Gauteng. COURRIER INTERNATIONAL


NAMIBIE

BOTSWANA

AFRIQUE DU SUD

MOZ.

ES.*

LESOTHO

KWAZULU
NATAL

CAPORIENTAL

CAP
OCCIDENTAL

CAPNORD

ÉTAT LIBRE

NORD GA.*
OUEST

MPUMALANGA

LIMPOPO

Pretoria

Le Cap

200 km

Johannesburg

Port
Elizabeth

Butterworth

Cebe

Durban

Le pays xhosa

Plus de 80 De 60 à 80 De 40 à 59 De 20 à 39 Moins de 20

Part de la population dont le xhosa est la langue maternelle (en %, 2011)

Océan
Indien


te^ s

au

va

ge

organisaient depuis longtemps
des courses de bétail, mais le
classement reposait plus sur
l’apparence des vaches en pleine
action que sur le bovin qui avait
la prétention de franchir le pre-
mier la ligne d’arrivée. Quand
la sécheresse et les maladies
ont décimé les troupeaux au
tournant du e siècle, les che-
vaux n’ont plus été cantonnés
à la guerre.

Cependant, aujourd’hui, le
public des courses tradition-
nelles n’est plus seulement local :
c’est peut-être même le sport qui
connaît la plus forte expansion
en Afrique du Sud. Ce regain
de popularité générant de nou-
velles sources de profi ts, certains
adeptes de la tradition craignent
même que l’esprit des courses
ne s’en trouve perverti. Toutes
ces pressions vont peser sur
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