Les compagnies
aériennes deviendront-
elles plus vertes?
Transport. Devant l’engouement croissant pour le
mouvement fl ygskam – “la honte de prendre l’avion” –,
les compagnies aériennes commencent à s’intéresser
à leurs émissions de CO 2. Mais les solutions pour
les réduire à court terme sont limitées.
trans-
versales.
environnement
—Financial Times
(extraits) Londres
Q
uand la cycliste Anna
Hughes a cessé de prendre
l’avion, il y a dix ans, l’idée
semblait radicale. Or, depuis, la
fondatrice de Flight Free UK [“Le
Royaume-Uni sans avion”] a réussi
à convaincre des milliers de per-
sonnes de lui emboîter le pas dans
l’espoir d’atténuer l’impact clima-
tique du transport aérien.
La campagne d’Anna Hughes
s’inscrit dans une tendance plus
large, un mouvement de pro-
testation qui s’étend rapide-
ment à travers l’Europe et qui
a donné naissance à une nouvelle
expression : fl y g s k a m, “la honte
de voler” en suédois. C’est, en
gros, le sentiment de culpabi-
lité qu’on peut ressentir à l’idée
de prendre l’avion pour partir en
vacances. “On en est venu à asso-
cier les vacances au fait de prendre
l’av ion”, explique la cycliste, qui
se rend désormais uniquement
dans des lieux qu’elle peut gagner
à vélo, en train ou en bateau.
“Or la plupart des gens évaluent
mal les eff ets du transport aérien
sur l’environnement.”
On assiste cependant à une prise
de conscience accélérée liée aux
préoccupations en matière de
changement climatique. Le désa-
mour d’une part grandissante du
Économie ...... 40
Signaux ....... 41
public à l’égard du transport aérien
aurait été presque impensable il y
a à peine un an.
La popularité soudaine de ce
phénomène pourrait nuire aux
compagnies aériennes. Dans les
pays où la honte de prendre l’avion
se propage, la croissance du trafi c
des passagers montre des signes
d’aff aiblissement. En Suède, par
exemple, le nombre de passagers
de vols intérieurs ayant transité par
10 aéroports publics a diminué de
3 % l’an dernier par rapport à l’an-
née précédente. Le mouvement de
contestation ne concerne pas seu-
lement les déplacements liés aux
vacances estivales : il porte aussi
sur les projets d’expansion d’aéro-
ports, comme celui de Heathrow
à Londres.
“C’est une question existen-
tielle pour nous, reconnaît
Rickard Gustafson, le patron de
Scandinavian Airlines (SAS),
dont le siège se trouve près de
Stockholm. Si l’on n’établit pas
une feuille de route claire pour la
mise en place d’une industrie aéro-
nautique durable, on risque d’avoir
des problèmes.”
La question de l’attitude des
passagers à l’égard des émissions
n’était pas considérée comme une
priorité quand il l’a soulevée devant
ses collègues du conseil des gou-
verneurs de l’Association du trans-
port aérien international (IATA).
Mais la situation a changé depuis.
“Six mois plus tard, c’était un sujet
chaud”, confi e Rickard Gustafson.
“L’industrie doit se réinventer”,
admet Johan Lundgren, directeur
général de la compagnie [britan-
nique] à bas prix EasyJet.
Le manque de solutions techno-
logiques qui permettraient à l’in-
dustrie aéronautique de réduire ses
émissions et ainsi de faire face aux
réactions négatives potentielles
des consommateurs constitue le
principal obstacle.
“Au départ, le problème, c’est que
l’humain n’a pas encore trouvé le
moyen d’opérer un vol long-courrier
sans consommer quelque 100 tonnes
de combustible fossile”, explique
Mike Berners-Lee, spécialiste de
l’empreinte carbone et professeur
à l’université de Lancaster. [La
combustion de carburants d’ori-
gine fossile émet des gaz à eff et de
serre qui contribuent au réchauf-
fement de la planète.] “Si l’on doit
prendre des mesures radicales, c’est
parce qu’on ne sait pas comment faire
“On ne sait pas
comment opérer un
vol long-courrier sans
brûler 100 tonnes
de combustible.”
Mike Berners-Lee,
PROFESSEUR
Pour avoir assez de
biocarburants, il faut
convertir 7 millions
de kilomètres carrés
de terres arables.
pour limiter nos émissions”, assure
le spécialiste.
Les compagnies aériennes sont
responsables d’environ 2 % des
émissions mondiales de dioxyde
de carbone [d’origine humaine.
Cette valeur donnée notamment
par le Groupe d’action du trans-
port aérien (ATAG), une coalition
indépendante d’organisations et de
sociétés du secteur du transport
aérien, varie selon les sources.]
Mais ce chiff re ne tient pas compte
des répercussions plus larges du
trafi c aérien. Outre le CO 2 , les
avions émettent d’autres subs-
tances qui ont un eff et réchauff ant
notable, comme l’oxyde d’azote
et les traînées de condensation
visibles depuis la terre ferme.
Selon un nombre croissant
d’études, l’impact climatique
des avions est environ deux fois
plus élevé que ne le suggèrent
leurs émissions de CO 2. Ainsi,
le transport aérien serait en réa-
lité à l’origine de près de 5 % du
réchauff ement anthropique.
D’après Volker Grewe, profes-
seur de sciences atmosphériques
au Centre aérospatial allemand
(DLR), certains éléments contri-
buent fortement à l’eff et réchauf-
fant de l’avion.
“Les avions volent à une alti-
tude de 10 à 12 kilomètres. Or les
émissions produites à cette altitude
restent plus longtemps dans l’at-
mosphère, ex plique-t-il. C’est la
principale diff érence entre le trans-
port aérien et le transport par voie
terrestre, qui n’engendre pas ces
répercussions supplémentaires.”
La plupart des professionnels ne
sont pas surpris par les menaces
de réactions virulentes du public.
Certains dirigeants cherchent
en eff et à attirer l’attention du
secteur sur la question depuis
au moins une décennie. Ainsi,
en 2009, l’IATA s’était engagée
à veiller à ce que les transpor-
teurs réduisent leurs émissions
de moitié d’ici à 2050 par rapport
aux niveaux de 2005.
Certaines compagnies ont
pris leurs propres engagements,
notamment celles qui sont situées
dans des pays européens dont les
citoyens sont particulièrement
sensibles aux questions environ-
nementales. SAS a ainsi promis de
réduire ses émissions de 25 % d’ici
à 2030 et s’est donné pour objectif
d’utiliser des biocarburants pour
tous ses vols intérieurs.
IAG, propriétaire de British
Airways et de l’espagnole Iberia,
a promis d’investir 400 millions
environnement
Économie 40