Le Monde - 03.10.2019

(Michael S) #1
0123
JEUDI 3 OCTOBRE 2019 international| 5

Irak : des protestations contre la


corruption réprimées dans le sang


Les manifestations, qui ont fait au moins deux morts, ont suivi


l’annonce de la mise à l’écart d’un « héros » de la guerre contre l’EI


P


endant plusieurs heures,
mardi 1er octobre, en fin
de journée, le centre­ville
de Bagdad a résonné du
bruit des salves de tirs à balles réel­
les. Les forces antiémeute ont
ouvert le feu afin de disperser des
centaines de manifestants réunis
sur la place Tahrir pour protester
contre la corruption et le dysfonc­
tionnement des services publics.
La contestation, partie de la capi­
tale irakienne, s’est étendue dans
le sud chiite du pays, à Nassiriya,
dans la province de Dhi Qar, et à
Nadjaf, au sud de Bagdad. Deux
manifestants ont été tués, et plus
de deux cents personnes blessées,
dont quarante membres des for­
ces de l’ordre, lors de cette pre­
mière journée de contestation so­
ciale d’envergure depuis la mise en
place du gouvernement du pre­
mier ministre, Adel Abdel Mahdi,
en octobre 2018.
Le pays, miné par la corruption,
connaît depuis 2015 des vagues de
protestations régulières contre les
partis et institutions religieuses
chiites qui ont pris la tête du pays
en 2003, et sont accusés d’avoir
mené l’Irak dans une impasse, en
sacrifiant l’intérêt de l’Etat et de la
nation sur l’autel de leurs intérêts
personnels. Plus d’un millier de
manifestants s’étaient rassemblés
en début d’après­midi, à Bagdad,
sous une nuée de drapeaux ira­
kiens, aux cris de « les voleurs nous
ont pillés ». Ces « corrompus » n’ont
apporté que « des guerres, du sang,
des combats et des pillages », a té­
moigné à l’Agence France­Presse
Moustapha Khaled, un manifes­
tant de 34 ans, réclamant « des rues
asphaltées, une ville où tout mar­
che, la reconstruction, du travail,
des services publics... ».
L’appel à manifester, mardi, avait
été lancé dans des circonstances
particulières, après l’annonce,
quelques jours plus tôt, par Adel
Abdel Mahdi, du transfert du chef
des unités antiterroristes (CTS), le
général Abdel Wahab Al­Saadi, au
ministère de la défense. Cette déci­
sion a été vue comme une puni­
tion manifeste contre ce chef mili­
taire populaire. Grand taiseux,
mais chef affable et proche de ses
hommes, le général de 56 ans est
considéré comme un héros par les
Irakiens depuis la guerre contre
l’organisation Etat islamique (EI).
De Tikrit à Mossoul, cet ancien of­
ficier de l’armée de Saddam Hus­
sein a commandé une grande par­
tie des batailles dans lesquelles les
CTS ont joué le premier rôle et le
relais au sol de la coalition interna­
tionale contre les djihadistes.

Soutien populaire
Cette unité d’élite de 13 000 hom­
mes a été créée en 2004 par l’occu­
pant américain, formée et entraî­
née par ses conseillers militaires.
Placée sous l’autorité directe du
premier ministre, elle jouit d’une
grande indépendance. Après la dé­
bandade de l’armée et de la police
irakiennes face aux avancées des
djihadistes en 2014, elle est deve­
nue le fer de lance de la lutte contre
l’EI. Au fil des batailles, le général
Saadi a su en incarner l’esprit – ce­
lui d’un nationalisme irakien dé­
passant les clivages confession­
nels –, et se tailler une popularité
du Sud chiite, dont il est originaire,
aux régions sunnites du centre et
du nord du pays, libérées de l’em­

prise de l’EI. Cette popularité l’a
propulsé au commandement opé­
rationnel des CTS après la victoire
contre l’EI, fin 2017, mais elle l’a
aussi peut­être rendu gênant aux
yeux de certains. Mais pour qui?
Les Irakiens s’interrogent. Le motif
de sa mise à l’écart n’a pas été ex­
plicité. Une partie de l’opinion y
voit des divergences internes en­
tre lui et le directeur des CTS, le gé­
néral Taleb Cheghati Al­Kenani,
ou, estime Sajad Jiyad, directeur du
centre Al­Bayan pour la planifica­
tion et les études, un cercle de ré­
flexion indépendant basé à
Bagdad, avec ceux qui ont fait les
frais de sa croisade anticorruption.
D’autres voient dans sa disgrâce
une extension de la guerre d’in­
fluence que se livrent Téhéran et
Washington dans la région, et no­

tamment en Irak. Plus que quicon­
que au sein des CTS, le général
Saadi est perçu comme un ennemi
par les milices chiites pro­iranien­
nes qui dominent les unités de la
mobilisation populaire (MP) et qui
sont devenues une force politique
et un acteur sécuritaire incontour­
nable. « Adel Abdel Mahdi a cédé à
la pression de la MP et des Iraniens,
inquiets du poids des CTS », estime
Hosham Dawod, chercheur au
CNRS, spécialiste de l’Irak.
Enhardi par le soutien populaire
qu’il a reçu, le général Saadi s’est
publiquement opposé à son trans­
fert, disant préférer démissionner.
Cet acte exceptionnel de rébellion
de la part d’un militaire lui a valu
un rappel à l’ordre du premier mi­
nistre, qui s’est justifié d’avoir seu­
lement consenti à une demande

du général Cheghati. Si Abdel­­
Wahab Al­Saadi fait, depuis, mine
de rentrer dans le rang, le bras de
fer se poursuit dans la rue. Fait rare
dans ce pays miné par un conflit
confessionnel depuis l’invasion
américaine de 2003, le général
chiite a reçu un soutien tout parti­
culier des habitants de Mossoul.
Lundi, la statue érigée en son
honneur dans la grande métro­
pole du nord de l’Irak avait été re­
tirée par les autorités, après que
des centaines de manifestants
s’étaient réunis la veille pour pro­
tester contre sa mise à l’écart.
« Cela en dit long sur l’attente de la
population, désespérée de la classe
politique et des autorités religieu­
ses, et qui se cherche un sauveur »,
analyse Hosham Dawod.
hélène sallon

La tentative ratée d’appel


entre Trump et Rohani


Macron a tenté d’organiser un contact direct
en marge de l’Assemblée générale de l’ONU

T


out au long de ces quaran­
te­huit heures new­yorkai­
ses, les 23 et 24 septembre,
en marge de l’Assemblée générale
des Nations Unies, Emmanuel
Macron n’avait pas ménagé ses ef­
forts. L’enjeu était de taille : arriver
à un « contact direct » entre le pré­
sident américain, Donald Trump,
et son homologue iranien, Hassan
Rohani, pour tenter d’enrayer l’es­
calade dans le Golfe. Juste avant de
repartir pour Paris, le chef de l’Etat
a décidé de jouer son va­tout. Il ve­
nait d’achever sa conférence de
presse finale puis de dîner dans
une pizzeria en face de la mission
française. Prétextant une prome­
nade dans les rues de New York, il
était parti avec son conseiller di­
plomatique Emmanuel Bonne
vers l’Hôtel Millennium, à une
centaine de mètres de là, où était
installée la délégation iranienne. A
21 heures, Donald Trump devait

appeler Hassan Rohani sur une li­
gne spéciale sécurisée.
Le New Yorker puis le New York
Times, dans son édition du 30 sep­
tembre, ont raconté, en se fondant
sur des sources iraniennes, l’at­
tente vaine du président français
alors que son homologue iranien
refusait de sortir de sa chambre
pour prendre l’appel. « Les choses
avaient bougé sur le fond, les condi­
tions étaient réunies pour un
échange téléphonique direct et cela
valait le coup d’aller jusqu’au bout
de cette tentative. Mais Hassan Ro­
hani n’a pas reçu le feu vert de Téhé­
ran », explique une haute source
diplomatique française. C’est fina­
lement M. Macron qui a décroché,
expliquant à Donald Trump que,
malgré ses efforts, cette conversa­
tion directe ne pourrait avoir lieu.
Emmanuel Macron, pendant ces
deux jours, avait rencontré trois
fois Donald Trump et deux fois
Hassan Rohani. La première ren­
contre, le 22 septembre, avec le
président iranien, avait duré deux
heures dans un climat plutôt cor­
dial. Le président français était re­
venu le 23 en fin d’après­midi à
l’Hôtel Millennium, rejoint en­
suite par le premier ministre bri­
tannique, Boris Johnson. Déjà,
alors, il était évident qu’une ren­
contre bilatérale Trump­Rohani
était impossible, même dans un
cadre plus élargi avec les représen­
tants de tous les pays signataires
de l’accord de Vienne de
juillet 2015 (JCPOA) – les cinq
membres permanents du Conseil
de sécurité plus l’Allemagne –,
mettant pour dix ans sous con­
trôle international le programme
nucléaire iranien.

Réelle déconvenue pour Paris
Il ne restait plus qu’une carte au
président français : organiser un
entretien téléphonique direct en­
tre M. Trump depuis son hôtel, le
Lotte, et M. Rohani, dans le sien.
Cela s’est joué sur le fil. « Les techni­
ciens américains n’auraient évi­
demment pas pu installer la ligne
spéciale à l’étage où résidaient les
officiels iraniens sans l’accord de
ces derniers », souligne une source
diplomatique française.
Sans aucune garantie préalable
sur la levée des sanctions améri­
caines, Hassan Rohani ne pouvait
prendre le risque de contrevenir à
la position iranienne. Pas de dialo­
gue sans concession américaine.
La déconvenue pour Paris est
réelle. « Cet échec tactique de New
York m’inquiète, parce qu’il montre
un manque d’esprit de finesse, et
surtout une méconnaissance du
fonctionnement du système ira­
nien de la part des Français », relève
un ancien diplomate. La réaction
iranienne ne s’est pas fait attendre.
Le 26 septembre, le Guide su­
prême, Ali Khamenei, tonnait con­
tre les Européens, « qui se présen­
tent comme des médiateurs, disent
beaucoup de choses creuses et ne
tiennent pas leurs engagements ».
A Paris, on continue de penser
que tout n’est pas perdu. La source
diplomatique souligne qu’« à New
York, malgré tout, ont été posées les
bases d’un dialogue entre Washing­
ton et Téhéran ». Le président Ma­
cron assure que ce plan a reçu l’as­
sentiment de M. Rohani et de
M. Trump. Il propose le retour de
l’Iran à ses engagements dans le
JCPOA, qui serait complété pour
l’après­2025, mais aussi une sortie
de crise au Yémen, ainsi qu’un
plan de sécurité régionale inté­
grant la question du programme
balistique iranien, la sécurité des
flux maritimes et une levée des
nouvelles sanctions économi­
ques, notamment celles bloquant
les exportations de pétrole impo­
sées en mai par la Maison Blanche.
L’important est que l’Iran n’a pas
dit non, mais qu’il a besoin de
temps, assure­t­on à Paris.
marc semo

Le général Abdel
Wahab Al-Saadi
a commandé une
grande partie des
batailles contre
les djihadistes

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