LE MONDE CAMPUS JEUDI 19 SEPTEMBRE 2019
à la une| 3
Aider trop ou pas assez :
le dilemme des parents
d’étudiants
Poids réel sur le budget familial, le soutien
financier est aussi devenu une charge mentale
E
lle faisait du sport, elle a arrêté. Elle part
moins en voyage, évite les sorties, a renoncé
aux cours de basket de son cadet. « Pour les
loisirs, je privilégie ce qui est gratuit », explique
Samia, 49 ans. Depuis que sa fille aînée est partie
étudier en Angleterre, cette fonctionnaire territo
riale d’AixenProvence (BouchesduRhône), qui
élève seule ses deux enfants, a changé son mode de
vie. Les études de Lana, 19 ans, sont désormais sa
priorité budgétaire : elle l’aide à hauteur de
1 000 euros par mois, pour son loyer et sa vie sur
place – la somme équivaut à plus du tiers de son sa
laire de cadre intermédiaire dans l’administration.
Pour cela, elle a souscrit un prêt de 20 000 euros. De
son côté, Lana paie ellemême les frais de scolarité
de son université (10 000 euros par an), grâce à un
autre prêt contracté en Angleterre, et qu’elle rem
boursera lorsqu’elle aura un emploi.
« Ma fille voulait étudier les sciences politiques en
Angleterre, c’était son projet. Des études en prépa ou
à la fac d’Aix auraient coûté moins cher, mais je
garde personnellement une mauvaise expérience de
l’université. Je viens d’un milieu modeste, on était
cinq enfants, mes parents ne pouvaient pas financer
mes études. A l’époque, le banquier m’avait refusé
un prêt pour faire l’école de commerce que je vou
lais. Là, je peux épauler mes enfants, alors je le fais. »
Quitte à se serrer la ceinture et, par exemple, re
noncer à devenir propriétaire. « Certains trouvent
que je devrais davantage penser à moi. » Alors, elle
se justifie, encore et encore. Et ce n’est que le début :
sa fille Lana compte aller jusqu’en master, et il fau
dra aussi financer les études de Sélim, aujourd’hui
en 1re, qui envisage un cursus d’ingénieur, pourquoi
pas aussi à l’étranger. « Je me fais le devoir de l’aider
autant que sa sœur », prévient Samia.
Soutenir coûte que coûte ses enfants dans leurs
études supérieures, quitte à se sacrifier? Ou les lais
ser se débrouiller pour qu’ils trouvent euxmêmes
leur voie et gagnent leur autonomie? L’équilibre à
trouver entre ces pôles et la position à adopter
taraudent de nombreux parents. Au point de deve
nir « une véritable charge mentale », estime la socio
logue MarieClémence Le Pape, maîtresse de confé
rences à l’université LyonII, qui, pour ses recher
ches, a interrogé des familles sur ce sujet.
Pour permettre à un étudiant de « se réaliser » et
de « trouver sa voie » au travers de ses études, de
nombreux parents, par ailleurs hantés par la peur
du déclassement social, ont tendance à fortement
se responsabiliser euxmêmes. Cette « charge
mentale » se perçoit notamment dans les tensions
et les désillusions que rencontrent certains d’entre
eux « quand les projets de leurs enfants tardent à
émerger ou à se concrétiser ».
Cette charge peut ainsi être lourde à porter, en
particulier dans un monde où l’entrée dans l’âge
adulte est plus tardive, avec des étapes franchies de
manière désynchronisée. Les réorientations, an
nées de césure, expériences à l’étranger et stages à
répétition sont plus courants que jadis, de même
que les possibilités de formations spécialisées en
tout genre. Autant de chemins sinueux assortis de
coûts financiers importants. « Cela confronte les pa
rents à se questionner, pour savoir s’ils doivent sou
tenir telle expérimentation, tel stage, telle formation.
La difficulté, c’est de savoir poser les limites de ces
tâtonnements », assure MarieClémence Le Pape.
Ces problématiques se cristallisent, souvent, sur
la question du soutien matériel. Donner trop d’ar
gent à un étudiant, et c’est le risque de ne pas lui
apprendre à gagner son autonomie et à s’investir
dans ses choix. Ne pas donner assez, c’est se culpa
biliser de l’empêcher de réaliser son projet dans de
bonnes conditions, ou de le réaliser tout court.
« Ce sont des questions qui se posent dans tous les
milieux sociaux », a observé la sociologue.
Des différends familiaux peuvent alors apparaî
tre, en particulier dans le cas de parents séparés
qui assument davantage leurs dissensions éduca
tives que lorsqu’ils sont en couple. Se pose aussi la
question des dilemmes entre fratries. « Certains
parents vont payer une école privée très chère à un
enfant, mais débourser beaucoup moins pour son
frère ou sa sœur qui va à l’université, raconte Marie
Clémence Le Pape. Cela peut créer des conflits fami
liaux, poser des questions sur l’équité du soutien. »
Alors que la part de jeunes s’engageant dans des
études dépasse les 50 %, le nombre de familles
confrontées au financement des études ne cesse de
croître. « Les parents, même ceux des milieux modes
tes, ont intégré la norme des études supérieures et
soutiennent financièrement leurs enfants, d’une ma
nière ou d’une autre. Seulement un étudiant sur dix
ne reçoit aucune aide familiale », constate Mickaël
Portela, chercheur au Centre d’études de l’emploi et
du travail, spécialiste des ressources des jeunes.
ENTRE 9 % ET 13 % DES REVENUS
Selon la dernière enquête de l’Insee (2014), les mé
nages mobilisent en moyenne 9 % de leurs reve
nus pour un étudiant – un chiffre qui monte à 13 %
pour les familles aux revenus les plus faibles. Une
somme conséquente pour des parents pris en
sandwich entre des jeunes à financer et leurs pro
pres parents vieillissants dont ils doivent s’occu
per, à une période où il est parfois difficile de faire
des heures supplémentaires. « Certains font des
sacrifices très importants », note le chercheur.
Cet apport s’élève en moyenne à 500 euros chez
les étudiants qui ont quitté le domicile familial
- soit un peu plus de la moitié de leurs ressources,
évaluées à 820 euros par l’Insee et la Direction de la
recherche, des études, de l’évaluation et des statis
tiques (Drees) –, et à 380 euros tous types d’étu
diants confondus. Mais il varie selon les situations.
Le soutien parental régulier est en moyenne
2,5 fois plus élevé pour un enfant de cadre que
pour un enfant d’ouvrier, selon l’Insee et la Drees.
Par ailleurs, le montant de cette assistance
dépend aussi du lieu de résidence, de l’âge et du
niveau d’études, du type de formation et du pres
tige social qui y est lié.
Le montant de cet appui est aussi le reflet des his
toires individuelles. « Certains parents n’ont pas eu
la chance d’être financés pour leurs études supérieu
res et en ont souffert, et vont alors vouloir aider leur
enfant à tout prix », affirme MarieClémence Le
Pape. Enfin, la qualité de la relation parentenfant
est déterminante. « A l’heure où les relations de
famille se construisent de plus en plus sur une base
élective, il n’y a plus de norme qui oblige un parent à
aider son enfant. Nous avons constaté que la qua
lité de la relation influe sur le montant donné : plus
les jeunes avaient des contacts téléphoniques régu
liers avec leurs parents, quand bien même ils se
voient peu en raison de l’éloignement, plus ils
avaient tendance à recevoir une aide matérielle
importante. » Loin des yeux, près du cœur.j
jessica gourdon
« JE VIS GRÂCE
AUX HEURES
DE MÉNAGE »
SONIA, 23 ans, est en 3e année
à l’Ecole de psychologues
praticiens, à Paris (6e).
« Depuis mes 18 ans, je fais des
ménages en parallèle de mes
études. Il y a deux ans, je suis
arrivée de Montpellier à Paris
pour suivre des études de psy-
chologie dans une école privée.
Pour les financer, j’ai contracté
un prêt étudiant, afin de me
concentrer sur mes études.
Je vis grâce aux heures
de ménage. J’ai posté une
annonce sur Leboncoin.
Depuis, j’ai des clients réguliers.
Je ne voulais pas d’un CDD,
par peur d’être bloquée.
Cette année, je voudrais
déménager. Je vis dans une
chambre de 10 m^2. J’hésite
encore à augmenter mon prêt
étudiant pour prendre un
appartement plus confortable.
Peut-être que je pourrais aussi
travailler un peu plus. Reste
à trouver l’appartement... »j
propos recueillis par l. ta.
TÉMOIGNAGES
« J’AI FAIT UN PRÊT
DE 36 000 EUROS POUR PAYER
MON ÉCOLE DE COMMERCE »
YVON, 21 ans, est étudiant
en 2e année à l’école
de commerce de Grenoble
Ecole de management.
« Bosser en même temps
que les études, c’est un choix.
Je n’en ai pas forcément besoin,
car mes parents, tous les deux
professeurs, ont économisé
pour m’aider. Mais j’ai ressenti
la nécessité de travailler pour
dépenser mon argent comme
je le voulais. J’ai commencé
à travailler chez Burger King
en première année d’école
de commerce. Burger King
m’a recruté en CDI. Chaque
semaine, je travaille 14 heures,
réparties sur deux à trois soirs
et certains week-ends, et je
gagne 400 euros net par mois.
Sur mon contrat, il est écrit
12 heures par semaine, mais les
heures supplémentaires sont
permises. Ce rythme n’est pas
idéal, car il ne me permet pas
d’aller voir ma famille en Savoie
quand je le souhaite. Chaque
mois, je réserve 200 euros pour
sortir, aller au cinéma ou à un
concert, 100 euros pour tout
ce qui est produits d’hygiène,
vêtements et médicaments,
et je mets aussi un peu de côté.
Je fais un suivi très précis
de toutes mes dépenses grâce
à une application bancaire.
Tous les matins, je regarde
mon smartphone pour faire
le point sur mes dépenses.
Contrairement à la fac, en école
de commerce, on est beaucoup
plus incités à consommer.
Chaque semaine, des
événements sont organisés,
on dépense pas mal. Et puis,
l’école n’est pas donnée. Pour
la financer, j’ai fait un prêt
étudiant de 36 000 euros,
qui couvre la majeure partie
des frais. Je n’ai pas encore
commencé à le rembourser.
J’espère poursuivre un parcours
en alternance en dernière
année. Si mon salaire
d’alternant me le permet,
je pourrai alors commencer
à rembourser mon prêt, sinon
j’attendrai d’être diplômé.
L’argent ne m’angoisse
pas tant que ça. Déjà, parce
que quand je travaille, je mets
de côté ou je place. Au fil des
ans, je me suis constitué
un petit matelas. Comme ça,
si j’ai un problème, j’ai quelques
semaines pour réagir. »j
propos recueillis par léa taieb
TÉMOIGNAGE
« JE SUIS AGENT
DE SÉCURITÉ TOUS
LES WEEK-ENDS »
ABDEL, 20 ans, est en licence
de sciences pour l’ingénieur
à l’université de Créteil
(Val-de-Marne).
« Je suis arrivé en France il y a
un an. Pour financer mes étu-
des, je suis devenu agent de
sécurité – j’ai suivi une forma-
tion qui m’a coûté 750 euros.
En décembre, j’ai été recruté
en CDI. Depuis, je travaille les
samedis et les dimanches aux
Galeries Lafayette, à Paris. Je
me rends aussi disponible qua-
tre jours en plus par mois. Je
gagne en moyenne 850 euros
net pour environ 100 heures
par mois. Sur mon contrat,
il est écrit 70 heures, mais je
travaille toujours plus, à raison
de 12 heures par jour. Sans
les heures supplémentaires,
je ne pourrais pas m’en sortir.
Je suis en colocation dans
18 m^2 , à Créteil. Dans l’idéal,
j’aimerais bien être dans un
appartement plus grand, seul.
Mais il me faudrait un garant.
Mes parents vivent en Algérie
et ne peuvent pas me soutenir,
ni se porter caution.
Chaque mois, je me réserve
100 euros. Si je veux partir
à Nancy voir mon frère ou
si je veux m’acheter une paire
de baskets, je puise dedans.
Si je sors avec des potes,
je retire du cash pour être sûr
de ne pas dépenser plus.
Entre le travail et les études,
le rythme est difficile à tenir. Le
seul bénéfice de mon job, c’est
que j’apprends un peu à parler
anglais. J’ai aussi des Ticket
Restaurant de 3,07 euros.
Je n’ai pas validé mon année
de licence de sciences pour
l’ingénieur. Je ne pouvais pas
assister à tous les cours, j’allais
surtout en TD. Je travaillais
trop. Je voulais faire une école
d’informatique privée et suivre
mon cursus en alternance, pour
avoir un revenu et limiter les
frais, mais ça n’a pas marché.
Du coup, je reprends la fac. »j
propos recueillis par l. ta.
SON BUDGET
Dépenses
Loyer : 400 euros
Autres dépenses : 500 euros
Ressources
Jobs : 400 euros par mois
APL : 200 euros
Aide des parents : 400 euros
Frais de scolarité
12 600 euros par an
(cursus en 3 ans), en partie
financés par un prêt
SON BUDGET
Dépenses
Loyer : 600 euros
Autres dépenses :
200 euros
Ressources
Jobs divers : 250-300 euros
APL : 300 euros
Aide de sa mère : 300 euros
Frais de scolarité
5 700 euros par an
SON BUDGET
Dépenses
Loyer : 300 euros
Nourriture : 200 euros
Autres charges : 150 euros
Sorties : 100 euros
Ressources
Salaire : 850 euros
APL : 300 euros
Frais de scolarité
300 euros par an
BERLIN
LONDON
MADRID
PARIS
TURIN
WARSAW
Seulement 1 % des Business Schools au monde ont
la triple accréditation.ESCP Europe enfait partie.
Formation
Initiale
DESIGNINGTOMORROW
4 programmes à temps
plein, enfonction devos
besoins
Bachelor inManagement (BSc)
3 ans•3 pays•1 programme
100% en anglais dès la première année,
diplôme visé Bac+3
Master inManagement Grande
Ecole
2 ans•de 2 à 4 pays
Classé 4èmemondial en 2019 selonThe
Economist
MastèresSpécialisés®& MSc
26 programmes•8 domaines d’expertise
1 an à temps plein pour acquérir une
double compétence
MBA in InternationalManagement
10 mois•2 pays•23 électifs
Boostezvotre carrière à l’international
European Business Schools
Ranking 2018