Le Monde - 19.09.2019

(Ron) #1

4 |international JEUDI 19 SEPTEMBRE 2019


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L’Espagne en route vers de nouvelles législatives


Les électeurs seront convoqués le 10 novembre, après l’échec de Pedro Sanchez à former une coalition


madrid ­ correspondance

A


près des semaines,
voire des mois de ges­
ticulations, d’élucubra­
tions, de fausses négo­
ciations, de vrais veto et de mau­
vaise foi, le roi d’Espagne, Felipe VI,
n’a pu que constater l’incapacité
des partis politiques à se mettre
d’accord pour former un gouver­
nement. Presque cinq mois après
les élections du 28 avril, son tour
de table avec les représentants des
forces en présence au Parlement
s’est terminé, mardi 17 septembre
dans la soirée, sur un constat sans
appel : « Il n’existe aucun candidat
ayant les soutiens nécessaires »
pour former un gouvernement,
a conclu la maison royale dans un
communiqué.
Lundi 23 septembre, deux mois
après la tentative d’investiture
avortée de juillet, le Parlement
sera donc automatiquement dis­
sous, comme le veut le règle­
ment, et de nouvelles élections
législatives seront convoquées le
10 novembre. Il s’agira des qua­
trièmes en quatre ans, signe de
la grave crise institutionnelle qui
paralyse le pays depuis l’irrup­
tion de nouveaux partis sur
l’échiquier politique il y a cinq
ans : la gauche radicale Podemos,
la formation libérale Ciudadanos,
puis Vox à l’extrême droite. Le
tout sur fond de scandales de cor­
ruption, de digestion de la crise
économique et de montée de l’in­
dépendantisme en Catalogne.
« J’ai voulu un gouvernement


  • pas n’importe quel gouverne­
    ment – qui soit modéré, cohérent,
    ne naisse pas divisé et ne dépende
    pas des forces indépendantistes »,
    a expliqué dans la soirée le
    président du gouvernement
    par intérim, le socialiste Pedro
    Sanchez, pour justifier l’échec
    des négociations.
    Chez les Espagnols, cependant,
    l’incompréhension domine face
    à ce nouveau blocage, perçu
    comme un signe de l’immaturité
    des politiques, visiblement inca­
    pables de composer avec la frag­
    mentation du Parlement, divisé
    entre cinq partis rassemblant
    chacun plus de 10 % des voix,
    après des années d’un bipartisme
    confortable.
    Le 23 juillet, pourtant, le chef de
    l’exécutif en exercice semblait sur


le point de former un gouverne­
ment de coalition avec Podemos,
malgré ses réticences initiales, en
cédant à cette formation d’ex­
trême gauche la vice­présidence
de l’exécutif et trois ministères.
Mais le chef de file de la gauche
radicale, Pablo Iglesias, avait jugé
ces postes « trop symboliques » et
préféré faire grimper les enchères
pour obtenir plus de pouvoir
au sein du conseil des ministres.
Ce qui a provoqué l’échec du vote
d’investiture au Parlement.

Message ravageur
Or, ces dernières semaines,
M. Sanchez, arrivé largement en
tête en avril avec 28,5 % des voix
mais seulement 123 des 350 dé­
putés, a refusé de renégocier
un gouvernement de coalition
avec Podemos. « Ce serait comme
deux gouvernements en un », n’a­
t­il cessé de marteler.
Il aurait dû en outre s’appuyer
sur les indépendantistes de la

Gauche républicaine de Catalo­
gne (ERC) pour compléter leur
majorité relative. Or ces derniers,
considérés peu fiables, se sont
déjà rendus responsables de la
convocation des élections antici­
pées d’avril en bloquant le vote
du budget lors de la dernière
législature. Ils ont en outre leur
propre agenda politique, marqué
par le verdict du procès des
dirigeants séparatistes accusés
de « rébellion », attendu dans
les prochaines semaines, et par
de possibles élections régionales
anticipées en Catalogne.
Ces deux derniers mois,
M. Sanchez s’est donc contenté
de demander à Podemos, au
Parti populaire (PP, conser­
vateur) et à Ciudadanos des
« abstentions techniques » afin de
débloquer la législature d’un
gouvernement socialiste « en so­
litaire ». La perspective de nou­
velles élections était donc plus
que probable.

Le message envoyé aux citoyens
est ravageur. Leur vote a été inu­
tile et ils doivent reprendre le che­
min des urnes, comme en 2016,
lorsqu’une situation similaire
avait provoqué un nouveau scru­
tin et retardé la réélection du con­
servateur Mariano Rajoy.
Dans ce contexte, les analystes
prévoient, sans pour autant la ca­
librer, une augmentation de
l’abstention qui pourrait boule­
verser les rapports de force ac­
tuels. Depuis des jours, les partis
se rejettent d’ailleurs mutuelle­
ment la faute de la convocation
de nouvelles élections, aucun ne
voulant être sanctionné dans les
urnes pour ce fiasco.
Les sondages prédisent d’ores
et déjà un renforcement du Parti
socialiste ouvrier espagnol
(PSOE) – la formation de M. San­
chez –, et du PP, au détriment de
Ciudadanos, dont le virage dans
les tranchées de la droite tradi­
tionnelle et le veto à toute négo­

ciation avec les socialistes ont dé­
concerté une partie des élec­
teurs, des cadres du parti – dont
beaucoup ont démissionné – et
des analystes. Les deux forma­
tions avaient été capables de si­
gner un programme commun de
cent pages en 2016, et le parti li­
béral et le PSOE auraient eu une
confortable majorité absolue
de 180 députés au Parlement.
Ciudadanos pourrait perdre trois
points de pourcentage (de 15,8 %

à 12,7 %) et 18 de ses 57 sièges au
Parlement, selon les enquêtes
d’opinion.
Les sondages prédisent par
ailleurs que le parti d’extrême
droite Vox, dont un certain nom­
bre d’électeurs pourraient être
tentés par un vote « utile » en fa­
veur du PP, devrait aussi perdre
des voix. Tout comme Podemos,
qui pourrait payer le fait de s’être
montré trop gourmand cet été.

« La confiance a été perdue »
Conscient de son erreur, ces der­
nières semaines, Pablo Iglesias
a essayé de revenir à l’accord
perdu de juillet, sans succès. Pour
les socialistes, « la confiance a été
rompue ». « A quatre reprises,
deux fois en 2016 et deux fois
en 2019, un parti de gauche a blo­
qué un gouvernement socialiste »,
a encore critiqué le chef de l’exé­
cutif mardi soir.
Pour Pablo Iglesias, « Pedro San­
chez commet une erreur histo­
rique en forçant d’autres élections
par son obsession à accaparer
un pouvoir absolu que les Espa­
gnols ne lui ont pas donné. Il faut
un président qui comprenne le
multipartisme ».
Le président du PP, Pablo Ca­
sado, a été lui aussi très dur avec
M. Sanchez, l’accusant d’avoir
misé dès le début sur de nouvelles
élections. « Il n’est pas acceptable
qu’un candidat demande tout
en échange de rien », a­t­il affirmé
dans la soirée.
Quant au chef de file de Ciuda­
danos, Albert Rivera, il a tenté un
dernier coup d’effet en proposant
un accord désespéré de dernière
minute avec M. Sanchez, après
avoir refusé ces deux derniers
mois toute réunion avec le diri­
geant socialiste. « Les Espagnols
jugeront qui a bloqué le pays et qui
a offert des solutions », a­t­il
conclu, peu convaincant.
Pedro Sanchez n’a pas attendu
pour demander le vote des Espa­
gnols. Du palais de la Moncloa,
siège du gouvernement, il leur a
enjoints de « dire encore plus clai­
rement » qu’en avril quel gouver­
nement ils veulent. La campagne,
cependant, ne commence offi­
ciellement que le 1er novembre. Et
il faudra attendre le 10 pour sa­
voir si son pari était un coup de
maître... ou de kamikaze.
sandrine morel

Renzi quitte le Parti démocrate pour créer une formation centriste


L’ancien premier ministre italien provoque la première secousse du nouveau gouvernement de coalition entre le M5S et le PD


rome ­ correspondant

L


e parti s’appellera « Italia
Viva », pour signifier à la
fois un encouragement
(« vive l’Italie! ») et un souhait, ce­
lui de rassembler les forces vives
du pays. L’ancien président du
conseil Matteo Renzi a finale­
ment décidé de rompre avec sa
formation d’origine, le Parti dé­
mocrate (PD), dont il avait assuré
la direction de 2013 à 2018. Ce fai­
sant, il provoque la première se­
cousse majeure pour le gouver­
nement « Conte 2 », moins de
deux semaines après son entrée
en fonctions.
L’annonce s’est faite en trois
temps, suivant une gradation sa­
vamment orchestrée. D’abord
des indiscrétions faisant état
d’un appel au président du
conseil, Giuseppe Conte, dans la
soirée de lundi. Puis, mardi ma­
rin, un entretien fleuve au quoti­
dien La Repubblica, dans lequel il
expose les raisons de son choix
et proteste de son intention de
rester à l’intérieur de l’actuelle
majorité. Enfin, dans la soirée
de mardi, un passage sur la RAI,

dans l’émission « Porta a Porta »
de l’inamovible Bruno Vespa,
pour parler de façon plus affec­
tive à l’Italie tout entière.
Ce parcours médiatique n’épui­
sera sans doute pas, dans les pro­
chains jours, les besoins d’expli­
cations. Dans l’entretien qu’il a
accordé à La Repubblica, Matteo
Renzi livre plusieurs pistes. Il y a
d’abord une raison personnelle :
« Je n’ai rien contre Nicola Zinga­
retti [l’actuel secrétaire du PD],
mais le parti est devenu un en­
semble de courants et, pour beau­
coup, j’ai toujours été un intrus. »
Ensuite, il y a la volonté de cons­
truire, plus qu’un parti, sclérosé
par les luttes de personnes, une
« maison » d’un nouveau genre, à
la structure plus moderne : l’ana­
logie avec La République en mar­
che (LRM) et Emmanuel Macron
est transparente. Enfin ce choix
s’accompagne de considérations
plus politiques. Selon l’ancien
président du conseil, il ne s’agit
pas d’affaiblir sa formation d’ori­
gine, le Parti démocrate, et avec
elle le gouvernement, mais plu­
tôt d’« élargir la majorité » en di­
rection du centre.

De fait, la première raison de ce
choix est sans doute la volonté de
retrouver une liberté d’action,
alors que, depuis la retentissante
défaite électorale du Parti démo­
crate aux législatives de 2018 (à
peine 18 % des suffrages), Matteo
Renzi s’était trouvé de plus en plus
marginalisé au sein de la direction
du parti. Au printemps, l’arrivée
au poste de secrétaire général du
PD de Nicola Zingaretti, gouver­
neur de la région Latium et tenant
d’un retour à des positions social­
démocrates plus traditionnelles, a
conduit à un « virage à gauche »
difficilement acceptable pour les
« centristes », dont Matteo Renzi

est le fer de lance. Dans l’histoire
tourmentée du Parti démocrate,
héritier de deux traditions histo­
riques très hétérogènes, celle du
Parti communiste italien et celle
de la Démocratie chrétienne, ce
genre de tiraillements est un
grand classique.

Les joies de la proportionnelle
Mais la scission voulue par
Matteo Renzi ne s’explique pas
uniquement par des considéra­
tions internes au Parti démo­
crate. Elle est indissociable de la
décomposition accélérée de la
droite modérée, provoquée par la
montée en puissance, ces derniè­
res années, de Matteo Salvini (la
Ligue, extrême droite) et l’affai­
blissement du chef historique
de la droite, Silvio Berlusconi,
vieillissant et cerné par la justice.
La bataille pour récupérer cet
électorat en déshérence, qui peine
à accorder son soutien aux posi­
tions eurosceptiques de la Ligue
mais ne se résout pas à voter pour
un Parti démocrate que la droite
n’a cessé, ces dernières années,
de dépeindre comme « commu­
niste », est un enjeu majeur des

prochains mois. Dans celle­ci,
Matteo Renzi dispose d’atouts po­
litiques indéniables. Porté par
une indéfectible confiance en sa
bonne étoile et en ses talents de
manœuvrier, Matteo Renzi se sent
de taille à incarner une opposition
libérale et modérée à Matteo Sal­
vini. Il se considère même, sans
doute, comme le seul à même de
remplir ce rôle, malgré une cote de
popularité très faible (il dispose de
moins de 20 % d’opinions favora­
bles dans les sondages).
Enfin, ce choix n’est pas exempt
d’une dose de calcul politicien :
alors que de nombreux responsa­
bles de la majorité plaident pour
une nouvelle réforme du mode
de scrutin accentuant la part de la
proportionnelle de façon à éloi­
gner le risque d’un raz­de­marée
de Matteo Salvini aux prochaines
élections, l’ancien premier minis­
tre, naguère défenseur de majori­
tés stables assurées par le suffrage
majoritaire, semble s’être con­
verti aux joies de la proportion­
nelle. Or ce système assure aux
petits partis centristes un rôle
décisif. Le dirigeant socialiste Bet­
tino Craxi n’a­t­il pas su, dans

les années 1980, gouverner l’Ita­
lie alors même qu’il n’avait ja­
mais dépassé les 13 % des suffra­
ges aux législatives?
Pour l’heure, Matteo Renzi as­
sure qu’il emporte avec lui
une quarantaine de parlementai­
res, dont quinze sénateurs. Il es­
père, à terme, des renforts venant
du marais du « groupe mixte »
(les élus non inscrits de la Cham­
bre et du Sénat), voire de la droite
berlusconienne, il est assuré de
tenir dans ses mains le sort du
nouvel exécutif.
Le chef politique du Mouve­
ment 5 étoiles et ministre des af­
faires étrangères, Luigi Di Maio,
qui, lui aussi, aurait de bonnes rai­
sons de se sentir pris au piège, a
d’ores et déjà fait savoir qu’il « ne
tolérerai[t] pas de nouvelles ten­
sions ». De son côté, Giuseppe
Conte n’a pas caché son agace­
ment, estimant qu’il « aurait dû
être prévenu avant de former le
gouvernement ». Certes, Matteo
Renzi l’a assuré de son soutien,
mais il est peu probable que le
président du conseil ait la naïveté
de le croire tout à fait.
jérôme gautheret

« Le parti est
devenu un
ensemble de
courants et, pour
beaucoup,
j’ai toujours été
un intrus »
MATTEO RENZI

Le premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, mardi 17 septembre, à Madrid, après sa rencontre avec le roi Felipe VI. J. BARBANCHO/REUTERS

Les analystes
prévoient une
augmentation
de l’abstention
qui pourrait
bouleverser
les rapports
de force actuels
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