Le Monde - 18.09.2019

(Ron) #1

14 |france MERCREDI 18 SEPTEMBRE 2019


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Fiche de renseignements : un rituel scolaire décrié


Les questionnaires auxquels sont soumis les élèves à la rentrée sont parfois source d’embarras pour eux


I


l y a des rituels parfois an­
goissants. « Sortez une
feuille, inscrivez­y votre
nom, votre prénom, votre
classe, votre adresse... : c’est à ce
moment­là que ça coinçait pour
moi », raconte Laura, 29 ans. A
chaque rentrée, « entre la 2de et la
terminale », la jeune Bordelaise
(qui a requis l’anonymat) se sou­
vient d’avoir « très mal vécu » sa
première heure de cours. Pas parce
qu’elle n’aimait pas le lycée – Laura
est devenue enseignante. Non :
son « problème, dit­elle, c’était
les mauvais souvenirs que le flot
des questions faisait ressurgir ».
« J’avais des camarades qui refu­
saient de préciser le métier de
leurs parents. Moi, je bloquais dès
qu’on me parlait “d’adresse”. Le
mot me ramenait au divorce de
mes parents, à la vente de notre
maison, au changement de quar­
tier, de copains... »
Avec ses élèves, aujourd’hui,
Laura s’efforce de faire « différem­
ment » : « Pour démarrer l’année,
une brève présentation à l’oral me
suffit. J’essaie de porter un regard
neuf sur chacun, sans les mettre
dans une case parce qu’ils sont en­
fant de cadres sup ou enfant
d’ouvriers. »
Et pourtant, les fiches de rensei­
gnements continuent, souvent,
d’occuper la première heure de
cours. On les pensait remplacées
par le « dossier » ou le « livret sco­
laire ». Ce n’est manifestement
pas le cas : à l’heure où il est de­
mandé aux professeurs, dans le
cadre de la réforme du lycée et de
Parcoursup, de s’impliquer da­

vantage dans l’orientation, beau­
coup d’entre eux, en 1re et en ter­
minale notamment, mais parfois
aussi dès le collège, confient en
faire encore usage.
Or leurs élèves ne le vivent pas
toujours bien : en enquêtant
auprès de lycéens principale­
ment de Haute­Garonne et du
Vaucluse, Audrey Murillo, maî­
tresse de conférences en sciences
de l’éducation à l’université de
Toulouse, a mis au jour un « em­
barras massif, plus ou moins vif
selon les élèves » suscité par ces
questionnaires.
Ainsi, 90 % des lycéens qu’elle
a sondés disent avoir dû se plier à
l’exercice (dans trois ou quatre
matières par an en moyenne,
mais jusqu’à dix pour certains) ;
plus des deux tiers estiment
qu’on leur en demande trop ; une
majorité en retire de la « gêne »,
au point que « près des trois
quarts, a estimé la chercheuse,
déploient des stratégies pour ne
pas dire toute la vérité ».
Ses travaux remontent à la ren­
trée 2017. Son échantillon « quasi

représentatif », souligne­t­elle, a
concerné quelque 750 lycéens
volontaires. Les résultats, pré­
sentés dans un article publié
en 2019 dans la revue Recherches
en éducation, éclairent le ressenti
des adolescents, finalement
moins gênés (même s’ils peu­
vent l’être) par des questions sur
leur scolarité, leur projet profes­
sionnel ou leurs loisirs, que par
celles portant sur leur environ­
nement familial.
« J’ai un peu honte qu’on juge
mes parents (...). Je ne vois pas à
quoi sert de savoir ce qu’ils font »,
a ainsi confié Eva. « Je ne com­
prends pas ce truc de nous définir
par nos parents... A un âge où on
est en quête d’indépendance,
d’identité, c’est frustrant », a com­
menté Clément.

Aider l’élève « au mieux »
« Une majorité se trouve embar­
rassée par le simple fait de donner
une impression à leur enseignant,
analyse Audrey Murillo, signe
qu’ils identifient bien ce que les
chercheurs nomment l’effet de
primauté » – le poids de la pre­
mière impression.
Les stratégies qu’ils déploient
pour donner d’eux la meilleure
image sont « différenciées »,
poursuit­elle : « Les lycéens les
moins favorisés vont taire le pa­
rent au chômage par exemple. Les
plus à l’aise avec la culture sco­
laire sélectionneront les loisirs les
mieux vus. » Ils auront ainsi plus
de chances d’êtres identifiés par
leurs professeurs comme des élè­
ves « à fort potentiel », ce qui peut

pousser ces derniers à les regar­
der « plus favorablement », à en
attendre davantage de leur part,
voire à leur en donner plus sur le
plan des enseignements. Un « ef­
fet Pygmalion », identifié par les
chercheurs en psychologie à la
fin des années 1960, et qui peut
participer à l’amplification des
inégalités à l’école.
Dans les cercles d’enseignants,
on évoque un « dilemme » : en sa­
voir « le plus » sur l’élève, c’est
pouvoir l’aider « au mieux », di­
sent les uns ; en savoir « le
moins », c’est éviter les « pronos­
tics », les « prédictions autoréali­
satrices »...
Sophie Mazet, enseignante
d’anglais en Seine­Saint­Denis, a
fait le choix de se passer des fi­
ches de renseignements. « Les in­
formations les plus importantes
sont déjà entrées dans Pronote
[un logiciel de vie scolaire]. S’il y
a des problèmes familiaux qu’il
est pertinent pour nous de con­
naître, les conseillers principaux
d’éducation doivent pouvoir nous
mettre au courant. Pour le reste, je
me dis que je découvrirai bien les
élèves au fur et à mesure! »
D’autres, qui s’estiment sensi­
bilisés aux « biais » de l’exercice,
défendent son « usage rai­
sonné ». « J’ai suivi une formation
sur le décrochage où, justement,
on se posait la question de l’inté­
rêt de la fiche de renseignements,
raconte Nadia, une professeure
d’anglais en Seine­et­Marne.
Autour de moi, ce sont les profes­
seurs principaux qui les deman­
dent, sinon, elles sont devenues

facultatives ». Cette enseignante
explique avoir « fait évoluer » sa
pratique : « Je demande aux élèves
leur ville de résidence et leurs
moyens de transport, afin de com­
prendre pourquoi tel ou tel lycéen
va être en retard ou pressé de quit­
ter le cours. Et je ne dis plus “père
et mère” mais “parent 1 et parent
2”, pour tenir compte des recom­
positions familiales. »
L’école a beau être attachée aux
symboles, elle n’est pas figée,
martèlent les enseignants.
« Nous sommes désormais nom­
breux à mettre en œuvre d’autres
rituels de rentrée, sous forme
écrite, orale ou numérique », ra­
conte Jean­Michel Le Baut, pro­
fesseur de français à Brest. Lui­
même prend appui sur des « por­
traits croisés oraux » ou des
« autoportraits numériques avec
nuage de mots ».
Il veut voir « du bon » dans
l’exercice : « Dans notre système,
les moments où l’élève se trouve

« J’ai un peu
honte qu’on juge
mes parents (...).
Je ne vois pas
à quoi sert de
savoir ce qu’ils
font », a ainsi
confié Eva

autorisé à dire “je” sont assez ra­
res. Si le questionnaire de rentrée
est bien conçu, il permet à l’élève
non de livrer des choses déran­
geantes mais de s’affirmer à
l’école aussi comme sujet. »
Pour quels bénéfices du point
de vue de la scolarité? Là­dessus,
le chercheur Pierre Merle, qui
s’est penché sur le sujet il y a déjà
vingt ans, livre un avis tranché :
ce relevé d’informations, apparu
dans les années 1960 à l’heure de
la « massification scolaire », per­
dure en dehors de tout texte ré­
glementaire. « C’est une spécifi­
cité française : ailleurs, par exem­
ple en Allemagne ou au Japon, de­
mander la profession des parents
serait perçu comme terriblement
intrusif. »
Il n’existe aucune étude, ajoute­
t­il, attestant de répercussions
positives pour l’élève, « alors qu’il
en existe démontrant un impact
négatif, car une information n’est
jamais neutre. Il y a toujours le ris­
que qu’elle influence les attentes –
notamment les pratiques d’éva­
luation – de l’enseignant ».
Sylvain Marange, qui enseigne
l’histoire­géographie à Nantes,
profite des fiches de renseigne­
ments pour demander aux collé­
giens qu’il accueille, en éduca­
tion prioritaire, leurs « envies »
par rapport à sa discipline. « Sou­
vent, ils me demandent de retra­
vailler les guerres mondiales, des
questions sociales qui les tarau­
dent, dit­il. C’est, je pense, une
bonne manière de commencer
l’année. »
mattea battaglia

« Nous sommes
nombreux à
mettre en œuvre
d’autres rituels
de rentrée, sous
forme écrite,
orale ou
numérique »
JEAN-MICHEL LE BAUT
professeur de français à Brest

Bioéthique : l’épiscopat encourage les


catholiques à protester contre le texte


Sans appeler ouvertement à manifester le 6 octobre, l’Eglise
catholique estime que « c’est un avertissement »

L


e Collège des bernardins, à
Paris, est en passe de deve­
nir le cadre privilégié des re­
lations entre l’Eglise catholique et
la République macronienne. Un
an et demi après que le président
de la République y eut mené une
opération de séduction envers les
catholiques et les eut encouragés
à nourrir de leurs réflexions le dé­
bat sur la révision des lois de bioé­
thique, des figures de l’épiscopat
ont exprimé, lundi 16 septembre,
tout le mal qu’elles pensent du
texte adopté samedi en commis­
sion par les députés, et qui vien­
dra en séance publique à l’Assem­
blée dès le 24 septembre.
A ce stade du débat parlemen­
taire, le moment était propice
pour s’adresser à l’opinion catholi­
que et l’alerter en particulier con­
tre l’extension de la procréation
médicalement assistée (PMA) à
toutes les femmes et contre les ris­
ques de manipulation du génome
humain perçus dans les disposi­
tions du projet de loi. Sur l’estrade
du grand auditorium des bernar­
dins, retransmis en direct par la
chaîne de télévision KTO, le panel
d’orateurs composé par la Confé­
rence des évêques de France (CEF)
a élevé le ton.
« Nous devons constater que nos
responsables politiques restent
aveugles aux enjeux de ce qu’ils
vont décider » et qu’ils ne « tien­
nent pas vraiment compte du résul­
tat des états généraux » qui ont
précédé la rédaction du projet de
loi, a dit Eric de Moulins­Beaufort,
archevêque de Reims et président
de la CEF. « Nous sommes dans l’ère
du professeur Nimbus et des sa­
vants fous », a tonné Michel Aupe­
tit, archevêque de Paris. « Une telle
révolution dans le droit de la filia­
tion est­elle voulue par le peuple

français? », a interrogé Pierre d’Or­
nellas, archevêque de Rennes, spé­
cialiste de la bioéthique à la CEF.
Sur l’estrade, pas un de ces pré­
lats n’a fait allusion à la manifesta­
tion organisée le 6 octobre par une
vingtaine d’associations – dont La
Manif pour tous – contre le projet
de loi. En revanche, dans ce qui res­
semblait à un soigneux partage
des rôles, ce rendez­vous a été évo­
qué par deux laïcs invités à s’expri­
mer. Gaëlle et Bertrand Lionel­Ma­
rie, deux responsables des Asso­
ciations familiales catholiques
(AFC), ont appelé à y participer
« pour promouvoir un monde
meilleur, pas le meilleur des mon­
des ». « L’heure est grave, ont­ils
lancé. Le modèle bioéthique fran­
çais est en train de sombrer corps et
âme. » A la sortie, des militants dis­
tribuaient des tracts pour la mani­
festation sur le thème : « Liberté,
égalité, paternité. »

« Atteinte à la filiation »
Interrogé à l’issue de la réunion
des bernardins, Mgr de Moulins­
Beaufort a apporté tout son sou­
tien au rendez­vous du 6 octobre.
« Je ne vois pas, expliquait­il, com­
ment nous pourrions empêcher des
citoyens, catholiques ou non, in­
quiets de ce projet de loi, de mani­
fester s’ils pensent que c’est un
moyen utile pour se faire entendre
et pour faire progresser le débat. Et
j’aurais tendance à dire qu’ils ont le
devoir de le faire. » Il a précisé que
lui­même ne participerait pas à la
manifestation, qui n’est pas « or­
ganisée par l’Eglise ». Mais « c’est un
avertissement », a­t­il ajouté.
Pour la sphère catholique, il est
difficile d’échapper à la référence à
la protestation de 2012­2013 contre
le mariage pour tous. Ce mouve­
ment avait certes redonné de la vi­

sibilité et de la confiance à un cou­
rant qui s’estime souvent dénigré
et marginalisé. Mais, pour massive
qu’elle ait été, la mobilisation avait
échoué à faire reculer la majorité
d’alors. Elle avait en outre divisé
les catholiques, dont une partie
n’avait pas apprécié certains ac­
cents homophobes et la présence
d’évêques dans les cortèges.
Depuis deux ans, la hiérarchie
catholique n’a pas ménagé sa
peine pour préparer ce nouveau
rendez­vous sur des sujets com­
plexes. Elle a d’abord donné des
outils aux catholiques qui ont
souhaité participer aux états gé­
néraux de la bioéthique en leur
diffusant des fiches thématiques.
Lundi, elle a exposé ses positions,
résumées dans un livre rédigé
par Mgr d’Ornellas, Bioéthique,
quel monde voulons­nous? (Coé­
dition Bayard, les Editions du
cerf, Mame).
Le principal grief de la hiérarchie
catholique porte sur l’extension
de la PMA à toutes les femmes et
les modifications dans la parenta­
lité qu’elle entraîne. Elle « institue
ab initio l’impossibilité légale
d’avoir un père. Supprimer l’ascen­
dance paternelle est une atteinte à
la filiation », s’insurge le livre de
Mgr d’Ornellas. « On livre la procréa­
tion à la manipulation médicale et
la filiation au bricolage que la so­
phistication de nos sociétés est ca­
pable d’imaginer par toute une in­
génierie juridique », a dénoncé
lundi Mgr de Moulins­Beaufort.
Mgr Aupetit a, pour sa part, insisté
sur la nécessité de « donner un sta­
tut juridique à l’embryon humain ».
Tous ont aussi mis en garde contre
le risque d’un « eugénisme libéral »,
permis par la législation et décidé
au cas par cas par les individus.
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