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CULTURE
SAMEDI 31 AOÛT 2019
0123
Common,
le rap libéré
Pour son nouvel album, le rappeur
américain abandonne la rébellion
frontale pour la sérénité mystique
RENCONTRE
londres
C’
était en mai 2011.
Barack Obama était
au cœur de son pre
mier mandat de pré
sident des EtatsUnis, et la pre
mière dame poursuivait son pro
jet de concerts intimistes au sein
de la Maison Blanche. Au pro
gramme de cette session des
« White House Music Series », des
poètes reconnus, des hommes et
des femmes de lettres, et un rap
peur. Comme Kanye West et
Michelle Obama, Common est ori
ginaire du South Side de Chicago,
quartier populaire de la ville qui
fut, dès ses premiers pas en politi
que au mitan des années 1980, le
bastion du futur président.
Mais l’annonce de la participa
tion de Common indigne : Sarah
Palin se fend d’un Tweet rageur, le
ressentiment des conservateurs
se répand sur Fox News... Du rap à
la Maison Blanche? Hérésie! Ap
pel à la violence! Démocrates et
républicains se renvoient mu
tuellement les mots du rappeur. Il
a plusieurs fois verbalisé son
admiration pour Assata Shakur,
figure de la lutte pour les droits ci
viques, condamnée en 1977 pour le
meurtre d’un policier, et cau
tionne donc l’insurrection, disent
les uns. Figure du rap conscient,
héraut des jeunes défavorisés, im
pliqué dans la vie associative, il
met sa voix au service de la lutte
contre le racisme et les inégalités,
soulignent les autres. Alors que
certains regrettent de voir le hip
hop s’éloigner de ses racines con
testataires, cet épisode rappelle le
pouvoir que l’on prête aux mots
forts et ravive la menace des ten
sions raciales qui plane sur l’unité
factice du peuple américain.
Huit ans plus tard, c’est dans une
Amérique différente que paraît
Let Love, douzième album de
Common. Il n’y aura, cette fois,
pas d’invitation à chanter à la Mai
son Blanche, et ce qui lui restait de
rébellion frontale a définitive
ment fait place à un calme infusé
de sérénité mystique. Dans son li
vre Let Love Have the Last Word,
paru en mai (Atria Books, non tra
duit) et dont le rappeur parle
comme du complément naturel
de l’album, il revient sur son édu
cation religieuse et l’importance
de l’Eglise noire dans sa vie. Il y
cite la Bible – beaucoup –, mais
aussi Martin Luther King, le ro
mancier Khalil Gibran, l’ancien
esclave et militant abolitionniste
Frederick Douglass, l’écrivaine
Zora Neale Hurston, la féministe
bell hooks, Angela Davis, Muham
mad Ali ou James Baldwin... Une
manière, pour cette star du hip
hop devenue, depuis les années
2000, un acteur qui compte à Hol
lywood, de s’ancrer dans l’héri
tage de la pensée afroaméricaine,
et de revendiquer la force de cette
Amérique qui avait donné son
nom à son précédent album,
Black America Again (2016).
« Masque de dureté »
Comme à son habitude tiré à qua
tre épingles, Common – de son
vrai nom Lonnie Rashid Lynn – a
reçu quelques journalistes, en
juillet, à Londres. Agé de 47 ans, il
en paraît dix de moins. Barbe im
peccablement taillée et pull aux
manches longues, dont la maille
légère laisse deviner les heures
passées à la salle de sport. Son
pantalon et ses baskets sont d’un
blanc immaculé. Comme sa mise,
son discours est mesuré, sa colère,
canalisée. « L’album est directe
ment inspiré du livre, qui a été une
manière pour moi de revisiter mon
passé en revenant sur des choses
dont je n’avais jamais parlé, expli
quetil. Plus je travaille sur moi,
plus je me libère. »
Cette liberté, Common l’a con
quise de haute lutte, dès ses pre
miers pas dans l’univers codifié du
rap américain, au début des an
nées 1990. « J’ai sans doute man
qué d’un modèle paternel dans
mon enfance [ses parents ont di
vorcé quand il avait 6 ans, et son
père a déménagé à Denver, à
1 600 km de Chicago], mais j’ai eu
la chance d’être élevé par une
femme forte. Les jeunes hommes
noirs avec qui j’ai grandi étaient
comme moi assignés à une certaine
idée culturelle de ce que nous de
vions être, mais nous trouvions
tous un espace dans la musique où
nous pouvions être nousmêmes. »
Bien sûr, on ne se défait pas si fa
cilement des injonctions virilis
tes, souvent misogynes et homo
phobes, d’une culture hiphop qui
fonde une partie de sa puissance
combative sur le rejet catégorique
de la faiblesse, et une partie de son
potentiel de résilience sur la cons
truction d’une armure de muscles
et d’attitudes. « Mais dans le mi
lieu de la house music, que je fré
quentais à mes débuts, ce masque
de dureté n’existait pas, analyse
Common. Certains de mes amis de
jeunesse étaient gay et avaient le
respect de la communauté. »
A travers ses morceaux et ses
prises de position publiques,
Common devient, dès le début
des années 2000, une figure du
rap « conscient ». Engagé dans la
lutte contre le sida, il promet,
en 2011, de ne plus utiliser d’insul
tes homophobes dans ses paroles,
et soutient publiquement l’action
de l’association PETA en faveur
des droits des animaux. Aux côtés
des rappeurs jazzy d’A Tribe Called
Quest ou de The Roots, proche des
icônes Lauryn Hill et Erykah
Badu, il incarne une alternative
au gangsta rap, se réclame de John
Coltrane et Marvin Gaye, et gagne
ainsi ses galons de respectabilité.
« Le hiphop a toujours encouragé
les artistes à briser les règles, ditil
aujourd’hui. Mes inspirateurs, ce
sont ceux qui innovent, les vrais
originaux. Les grands artistes sont
toujours des leaders. »
Ces tempsci, Common s’attelle,
à travers le livre, l’album et la
tournée promotionnelle qui les
accompagnent, à déboulonner
deux tabous majeurs de la culture
afroaméricaine : la psychothéra
pie et la pédophilie. Dans Let Love
Have the Last Word et dans la
chanson Memories of Home, il
Common,
le 21 mai,
à Los Angeles.
DURIMEL
« Parler de
mes blessures,
de mes peurs, de
ma vulnérabilité,
c’est fondamental
pour ma musique »
COMMON
revient sur un épisode longtemps
refoulé de son enfance : l’agres
sion sexuelle dont il a été victime,
à 9 ans, par un cousin. Dépasser la
honte, assumer d’avoir eu recours
à l’aide d’une psychothérapeute...
Dans l’Amérique de Donald
Trump, qui a choisi de mettre à la
tête de l’Etat un modèle de virilité
toxique, Common prend la tan
gente en faisant de l’intime une
arme politique. « Pour changer les
choses pour les enfants des quar
tiers, expliquetil, il faut apporter
à ces communautés des écoles et
des emplois, mais aussi le soutien
psychologique et émotionnel dont
elles ont besoin. Parler de mes bles
sures, de mes peurs, de ma vulné
rabilité, c’est fondamental pour
ma musique et pour l’effet qu’elle
peut avoir sur la culture. »
Les douleurs de l’âme
Chrétien fervent, Common prend
le contrepied d’une idée très ré
pandue dans la communauté
afroaméricaine, traditionnelle
ment si attachée à la foi qu’elle en
néglige parfois les douleurs de
l’âme. Cette défiance, analysetil,
trouve ses racines dans un cliché
tenace : « Pourquoi se tourner vers
la thérapie quand on peut parler à
Dieu? Ça, je l’ai beaucoup entendu,
ditil. Chez les Noirs américains, la
spiritualité a souvent été utilisée
pour éviter de faire face à certains
problèmes, mais Dieu s’exprime à
travers différents messagers : un
prêtre, un enseignant, un médecin,
un psy... » Et, bien sûr, à travers la
musique. Un œil sur la sortie de
son disque, Common garde l’autre
tourné vers le ciel. « Quand je ren
contrerai mon Créateur, il pourra
me dire que j’ai fait du bon travail »,
conclutil.
clémentine goldszal
« Let Love », de Common. Sortie
le 30 août. En concert à l’Elysée
Montmartre, le 14 septembre.
le douzième album de Common devait por
ter le même nom pompeux que son autobio
graphie, Let Love Have the Last Word (« laisse
l’amour avoir le dernier mot »). Ce sera finale
ment le très court Let Love. Par le passé,
Common s’était montré plus inspiré pour ses
titres de disque, à commencer par le premier,
en 1992, Can I Borrow a Dollar? (« estce que je
peux emprunter un dollar? »), ou, en 1997, le re
marquable One Day It’ll All Make Sense (« un
jour, tout deviendra cohérent ») où il signait un
des plus beaux textes sur le droit à l’avorte
ment, Retrospect for Life. Dans les années 1990,
il se faisait aussi appeler Common Sense, no
tamment lorsqu’il a sorti, en 1994, I Used to
Love H.E.R., morceau qui allait devenir iconique
dans le milieu du rap. Dans ce titre, le rappeur
de Chicago personnifiait la culture hiphop en
une jeune femme qui l’avait énormément déçu.
Vingtcinq ans plus tard, il reprend le procédé
pour lui rendre cette foisci hommage avec le
titre : HER Love, sur une musique inédite de
J Dilla, producteur émérite de sa ville, décédé
en 2006. Ses fans retrouveront ce qui a forgé sa
réputation : une voix unique, une élocution
claire où chaque mot est pesé et une capacité à
reprendre à son compte les punchlines de ses col
lègues. La faiblesse du refrain chanté par Daniel
Caesar gâche en revanche ces retrouvailles.
Sa consœur du mouvement néosoul, Jill
Scott, est, elle, à la hauteur pour Show Me That
You Love, récit d’une conversation entre Com
mon et sa fille. Sur ce disque, le rappeur renoue
avec le storytelling, notamment sur Fifth Story,
une histoire d’adultère qui tourne mal. Produit
en grande partie par son complice depuis 1997,
Karriem Riggins, qui a donné à sa musique cette
couleur soul et jazz, Let Love est une sorte de
synthèse de sa carrière qui manque peutêtre
juste d’audace, à l’inverse de son disque le plus
aventureux, Electric Circus (2002).
stéphanie binet
« Let Love », une synthèse réussie
SAÏD BEN SAÏD ET MICHEL MERKT PRÉSENTENT
ISABELLE HUPPERT
réaliséparIRA SACHS
BRENDAN GLEESON
MARISATOMEI
JÉRÉMIE RENIER
PASCAL GREGGORY
VINETTE ROBINSON
ARIYON BAKARE
CARLOTOCOTTA
SENNIA NANUA
etGREG KINNEAR
écrit parMAURICIO ZACHARIAS&IRA SACHS
© 2018 SBS PRODUCTIONS / O SOM E A FÚRIA
« ISABELLE HUPPERT
EST IMPÉRIALE »LES INROCKUPTIBLES
« L’UN DE SES FILMS
LES PLUS ÉMOUVANTS »LE MONDE
« BOULEVERSANTE »TÉLÉRAMA
ACTUELLEMENTAU CINÉMA
© PHOTO GUY FERRANDIS / SBS PRODUCTIONS