Cerveau et Psycho N°113 – Septembre 2019

(Ron) #1

Leur rire s’est accompagné d’une activation de
l’hypothalamus, ce qui n’était pas le cas
lorsqu’on demandait simplement aux partici-
pants de rire volontairement.


LES GAGS STIMULENT TOUT LE CERVEAU
Continuons notre ascension. Au second étage,
ou niveau 2, s’élaborent les raisons cognitives
profondes pour lesquelles nous éclatons de rire.
Outre les chatouillis et les situations patholo-
giques, le rire résulte en effet de pensées com-
plexes et variées, mettant en jeu les émotions, les
souvenirs, la sociabilité, la communication et la
sophistication de l’humour. C’est à ce niveau
qu’interviennent les différences culturelles entre
les sujets et les situations qui déclenchent et auto-
risent le rire. Il n’est donc guère possible de déli-
miter précisément les régions cérébrales en cause
dans cette riche activité mentale. On peut tou-
cher du doigt cette étendue en étudiant la per-
ception de l’humour. Ainsi, Karli Watson, de l’ins-
titut de technologie de Californie, et ses collègues
ont montré que si l’on propose à des sujets des
histoires plus ou moins drôles, de vastes régions


cérébrales s’activent, et ce, d’autant plus que le
gag est plus désopilant. En outre, les gags présen-
tés sous forme d’images sans paroles et ceux sous
forme d’histoire sans image stimulent des régions
communes, mais aussi des zones propres à la pré-
sentation visuelle ou orale.
Il n’est donc pas surprenant que les maladies
neurodégénératives qui touchent le cortex de
façon assez diffuse altèrent le sens de l’humour.
C’est le cas de la maladie d’Alzheimer, mais plus
encore des pathologies où les régions préfrontales,
tout à l’avant du cerveau, souffrent de façon pré-
dominante. Ces patients, qui ne perçoivent plus les
finesses des relations sociales, « ratent » l’humour
de situations comiques, mais aussi s’amusent de
faits qui n’ont en vérité rien de drôle.
Mais ce n’est pas le cas de madame R. Elle a
gardé son sens de l’humour et sait bien apprécier
quand le rire est approprié ou ne l’est pas. Son
souci est plutôt qu’elle assiste, impuissante, aux
éclats de son propre rire, dans des situations où
il n’est guère adéquat, un comportement qui n’est
pas bien perçu par ses relations sociales et pro-
fessionnelles. En effet, nous avons tous l’intuition

COMMENT DISTINGUER LE VRAI DU FAUX RIRE


I


ncontestablement, le rire est une
composante essentielle de nos relations
sociales et intervient constamment dans
nos communications avec autrui.
Des scientifiques ont observé que dans
les dialogues entre un homme et une
femme, la femme rit beaucoup plus
souvent que l’homme, et ce dans diverses
cultures et dès l’enfance. On voit affleurer
là l’importance du rire dans les
comportements de séduction : le rire étant
largement automatique – et le rire forcé
étant assez facile à repérer –, il offrirait
une sorte de garantie d’honnêteté,
de manifestation infalsifiable
d’un sentiment de bien-être.
Mais comment distinguer un rire authentique
d’un rire délibéré? Les indices concrets sont
subtils : les sons du vrai rire sont plus aigus,
plus prolongés, leur timbre est différent, leur
intensité est croissante, etc. La capacité d’un
individu à analyser ces signes et à faire la part
des choses entre un rire sincère et un rire
simulé est un indice de ses capacités sociales.

Ainsi, Leonor Neves, de l’université de Porto,
au Portugal, et ses collègues ont fait écouter
à 120 personnes toute une série de rires
authentiques ou non, en leur demandant
de juger de leur degré d’authenticité et de
contagiosité. Les chercheurs ont aussi évalué
les capacités émotionnelles et empathiques
de chaque participant grâce à toute
une batterie de tests.
Peut-être sans surprise, les personnes ayant
obtenu les scores émotionnels les plus élevés
étaient aussi ceux qui jugeaient le mieux
de l’authenticité des rires, et qui
les trouvaient les plus contagieux.
D’autres scientifiques ont observé qu’une
meilleure expertise à juger de l’authenticité
d’un rire s’accompagne d’activations
plus intenses dans une série de régions
corticales appartenant au premier étage
de la machinerie du rire (voir la figure page
ci-contre). Il s’agit en particulier d’aires
motrices, responsables de la production du
rire. On peut donc penser que le rire perçu,
surtout par les individus les plus « sociaux »,

active un rire intérieur (puis parfois extérieur),
ce qui permet d’amplifier l’émotion
et de favoriser les liens avec les congénères.
À l’opposé de ces personnes douées
d’une bonne intuition sociale, on trouve
ce qu’on appelle les psychopathes.
Dans son sens médical, la psychopathie
désigne un trouble de la personnalité marqué
par un manque d’empathie, un comportement
antisocial et égocentrique, l’absence
de remords, l’impulsivité. Ce trait aboutit
parfois à des comportements criminels.
Elizabeth O’Nions, de l’University College
de Londres, et ses collègues ont travaillé
avec des adolescents présentant des signes
précoces de trouble psychopathique,
et leur ont fait entendre des rires authentiques
et simulés. Comparés à des sujets sans traits
psychopathiques, ces garçons distinguaient
moins bien les vrais rires des faux, les
jugeaient très peu contagieux, et montraient
des activations cérébrales réduites, à
peu près dans les régions du premier
étage de la machinerie du rire.
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