DÉCOUVERTES Grandes expériences de neurosciences
à West Hartford, où Sperry établit un record natio-
nal de lancer du javelot à l’école secondaire. Même
lorsqu’il postula à l’Oberlin College dans l’Ohio,
son objectif principal était le sport ; la recherche
médicale n’arrivait qu’en deuxième position de ses
vœux. Mais parce qu’on remarqua déjà ses apti-
tudes intellectuelles, il obtint une bourse complète
pour quatre ans d’études.
Alors que son frère dans le même collège se
consacrait à des études de chimie, Sperry
s’adonna également à une autre passion : la poé-
sie anglaise du XVIIe siècle. En 1935, il obtint
l’équivalent du baccalauréat. Alors seulement il
assista à un cours de psychologie – qui dura
deux ans – et suivit les leçons du psychologue
américain Raymond Herbert Stetson. C’est à ce
moment-là que sa carrière professionnelle prit un
tournant décisif : dans le cours de Stetson, Sperry
rencontra à nouveau les idées de William James
et se posa pour la première fois deux questions
fondamentales : « D’où viennent nos comporte-
ments? » et « Qu’est-ce que la conscience? ». Des
interrogations qui ne le quittèrent plus.
Finalement, Sperry valida son master en psy-
chologie et resta une année supplémentaire à
l’Oberlin College pour étudier la zoologie. Il se
rendit ensuite à l’université de Chicago, où il tra-
vailla avec Paul Alfred Weiss (1898-1989), un
biologiste autrichien de renom. Mais très vite, le
jeune chercheur commença à remettre en cause
les idées de son mentor. Douter de tout en
sciences devint alors une habitude pour lui.
En 2002, son collègue Antonio Puente, psycho-
logue clinique à l’université de Caroline du Nord
à Wilmington, déclara que « Sperry était particu-
lièrement doué pour mettre à l’épreuve les idées
et les expériences des autres ».
LE CERVEAU N’EST PAS PLASTIQUE
Par exemple, le jeune chercheur se demanda
comment les neurones se lient les uns aux autres.
Son directeur, Weiss, et d’autres chercheurs sup-
posaient que c’était la stimulation des fibres ner-
veuses qui déterminait quelles connexions elles
établissaient avec les autres neurones. En d’autres
termes, le système nerveux serait très flexible et
malléable – c’est-à-dire « plastique ».
Mais à partir de 1938, Sperry commença à
mettre cette hypothèse à l’épreuve grâce à une
série d’expériences sur des rats et à ses excellentes
compétences anatomiques et neurochirurgicales
(à l’époque, on n’avait pas encore pris conscience
des enjeux du bien-être animal). Par exemple, il
intervertit les nerfs entre les muscles fléchisseurs
et extenseurs des pattes arrière de rats. Si Weiss
avait raison avec sa « plasticité fonctionnelle », les
rongeurs auraient dû réapprendre l’utilisation de
leurs pattes. Mais lorsqu’ils grimpaient à une
échelle, les animaux abaissaient leurs jambes
alors qu’ils devaient les soulever, et vice versa. Et
ce, même après plusieurs heures d’entraînement.
D’autres expériences donnèrent des résultats
similaires. Sperry transplanta des nerfs cutanés
d’un pied des rongeurs à l’autre, ce qui leur pro-
voquait des sensations « inversées ». Et si le cher-
cheur stimulait leur pied droit, les rats levaient
leur pied gauche. Ici, ni le système nerveux
moteur ni le sensoriel ne s’était remodelé afin de
récréer des connexions fonctionnelles. Ainsi,
Sperry démontra que le système nerveux des
mammifères est « câblé » et prédéfini.
GRENOUILLES, SALAMANDRES
ET POISSONS...
La carrière du jeune scientifique ambitieux ne
s’arrêta pas là. Après avoir obtenu son doctorat en
zoologie avec Paul Weiss en 1941, Sperry réalisa
un postdoctorat à l’université Harvard avec le psy-
chologue américain Karl Lashley (1890-1958). Il
y réalisa alors quelques expériences restées
célèbres avec des grenouilles, des salamandres et
des poissons. Notamment pour comprendre com-
ment les connexions nerveuses s’établissent.
Sperry pensait que ces animaux présentaient un
avantage indéniable : leurs fibres nerveuses
repoussent relativement vite lorsqu’on les coupe,
contrairement à celles des mammifères. Et le
jeune postdoctorant ne se priva pas. Il sectionna
le nerf optique de grenouilles et tourna leurs yeux
de 180 degrés dans leur orbite. Si les grenouilles
voulaient attraper une mouche par la suite, leur
ROGER SPERRY, LA DÉCOUVERTE DU CÂBLAGE CÉRÉBRAL
LE SPLIT BRAIN
OU CERVEAU
SCINDÉ
L
a callosotomie (ou split brain) désigne en
médecine une opération neurochirurgicale
qui consiste en une résection partielle ou totale
du corps calleux, l’ensemble des fibres
nerveuses reliant les deux hémisphères
cérébraux. Cette ablation est utilisée dans les
épilepsies résistantes aux traitements pour
arrêter la diffusion et la synchronisation
de l’activité épileptique d’un
hémisphère cérébral à l’autre.