DOSSIER QUAND LE CORPS STIMULE LA PENSÉE
APPRENDRE AVEC SON CORPS
actives, y compris les zones sensorielles et
motrices. En d’autres termes : l’esprit est repré-
senté de manière sensorimotrice sous de mul-
tiples facettes.
Bien avant que l’incarnation ne soit sur toutes
les lèvres, on a tenté d’impliquer le corps dans
l’apprentissage des langues étrangères. Dans les
années 1970, le psychologue James Asher a mis
au point la méthode Total physical response
(« Réponse physique intégrale ») pour les enfants
de la maternelle et du primaire. L’enseignant
donne des ordres dans une langue étrangère,
tels que : « Open the door! » (en anglais pour :
« Ouvrez la porte! »). Les enfants écoutent, com-
prennent et exécutent ce qui est nécessaire. Dans
la réponse physique intégrale, les élèves n’ont
pas besoin de traduire mentalement la consigne,
mais seulement d’agir. Ils ressentent alors moins
de pression. L’apprentissage de connaissances
rudimentaires d’une langue étrangère par le
biais des commandes motrices vise alors à simu-
ler l’acquisition d’une première langue. En fait,
les jeunes enfants sont également encouragés
par les personnes qui s’occupent d’eux à entre-
prendre certaines actions. La réponse physique
intégrale utilise principalement des verbes de
commande. Mais comme Asher n’avait pas prévu
d’actions de communication qui ne pouvaient
pas être mises en forme impérative, les critiques
ont souligné cette carence et ont objecté que la
réponse physique intégrale n’était adaptée
qu’aux premières phases de l’acquisition d’une
langue étrangère. De ce fait, la méthode n’a pas
été acceptée dans la pratique, notamment parce
que les études empiriques à ce sujet ne se sont
pas concrétisées.
Mais il y a une autre façon d’impliquer le
corps dans l’apprentissage du langage, au-delà
des commandes : par les gestes. Il y a déjà plus
de deux siècles, l’abbé de Radonvilliers, profes-
seur puis conseiller de Louis XVI, conseillait
d’utiliser les gestes dans les cours de latin.
Qu’est-ce qui distingue un geste d’une action?
Ces dernières sont des mises en mouvement du
corps tournées vers un but. Par exemple, un
déplacement d’un endroit à un autre peut être
qualifié de « marche ». Cependant, deux doigts
qui imitent les jambes qui avancent n’ont pas de
but en soi : ils n’agissent pas, mais représentent
plutôt un concept, tel que « marcher, courir, flâ-
ner ou marcher » ; ils forment un geste.
ÉPARGNEZ-VOUS DES EXPLICATIONS
VERBEUSES!
Les gestes expriment les concepts avec jus-
tesse et rendent souvent les explications verbales
inutiles. Deux mains qui ouvrent un livre imagi-
naire peuvent signifier « livre » ou « lecture », mais
peuvent aussi être une métaphore d’un concept
abstrait comme « théorie ». Les emblèmes, comme
le pouce vers le haut pour exprimer l’approbation,
forment une catégorie distincte de gestes.
Cependant, ils ne sont parfois valables qu’au sein
d’un groupe de locuteurs ou d’une culture parti-
culière. Par exemple, dans les sociétés anglo-
saxonnes, le consentement est signalé en reliant
l’index et le pouce en cercle. Dans certains pays
du sud de l’Europe, cependant, cela est considéré
comme offensant, et dans le monde arabe, le
geste est utilisé pour jurer. Partout dans le
monde, les gens utilisent aussi des gestes de poin-
tage pour des lieux (ici, là...) ou pour des objets
dans l’environnement.
En plus de leur fonction explicative, les gestes
présentent un autre avantage lors de l’apprentis-
sage d’une langue étrangère : ils vous aident à
mieux mémoriser le vocabulaire. La première
scientifique à avoir mené une étude empirique
sur l’influence des gestes sur la mémoire des mots
en 1995 a été Linda Quinn Allen, aujourd’hui en
exercice à l’université d’État de l’Iowa. Elle a
enseigné des expressions françaises à 112 locu-
teurs anglophones natifs. Alors qu’un tiers du
groupe apprenait le vocabulaire en le lisant, un
autre l’a mémorisé en lisant les mots et en faisant
des gestes en même temps. Le troisième groupe
n’a vu les gestes qu’en phase de test, et non en
phase d’apprentissage. Résultat : ceux qui avaient
appris par la gestuelle ont obtenu les meilleurs
scores de mémorisation.
Au cours de ma thèse, j’ai permis aux étu-
diants d’apprendre le vocabulaire d’une langue
que j’avais inventée. Une moitié des mots ne
devait être mémorisée que par l’écoute et la
Lorsque des petits
Américains apprennent
le français en mimant
les mots avec les mains,
leur mémorisation du
vocabulaire est meilleure...