Causette N°103 – Septembre 2019

(National Geographic (Little) Kids) #1

Un jour, une semaine, un an d’amour et puis... silence radio. L’être désiré


vient de vous « ghoster ». En français : disparaître comme un fantôme.
S’ensuit une farandole de sales moments, souvent encore plus
douloureux que dans une rupture classique.
Par ALIZÉE VINCENT

Ce n’était qu’une amourette de deux mois.
Une histoire débutée sur un site de rencontre,
consommée du bout des lèvres entre Paris
et Rouen, un week-end sur deux. « Pourtant,
confesse Claire, trentenaire aux lunettes et che-
veux noir corbeau, cela m’a pris plus de temps pour
m’en remettre que mon divorce. » La différence
tient au silence. « Avec mon ex-mari, on a discuté,
on a pu s’engueuler. » Son amant à distance, lui, a
simplement cessé de lui répondre « en plein milieu
d’une conversation par SMS ». Elle lui confiait alors
à quel point elle était contente de le retrouver
en fin de semaine. « Quatre ans après, mur-
mure la jeune femme,
j’y pense encore. »
Rompre en dispa-
raissant des radars.
Dans le jargon de la
drague moderne, la
méthode est baptisée
ghosting.
Les correcteurs
du journal Le Monde
chroniquent pour la
première fois le terme en février 2017. Il est
alors défini comme une « disparition sentimen-
tale ». Depuis, il surgit dans les conversations
entre potes, sur les forums de peines de cœur
ou dans les rayons des librairies. En témoigne
le succès du Silence des étoiles (Marabulles) de
la dessinatrice Sanäa K, BD parue en mai et
adaptée de son compte Instagram aux... 140 000
abonné·es ! Elle y raconte son chagrin et sa
reconstruction après avoir été « ghostée » par
son premier amour. Presque trois ans de relation
jetés aux oubliettes par vingt-six jours d’igno-
rance, au bout desquels l’autrice tombe finale-
ment sur son mec (son ex, donc) au bras d’une
nouvelle copine, dans le métro. Résultat : une

bande dessinée imbibée de larmes colorées et
salvatrices. Pourquoi, pour Sanäa comme pour
Claire, se faire ghoster est-il si douloureux ?

Un package de douleurs
Aux yeux de Victor Coutolleau, doctorant en
sociologie de la déception amoureuse (oui oui, ça
existe !), le ghosting provoque comme un mélange
des « différentes couches de douleur » propres aux
ruptures. Il y a déjà le chagrin. Mais saupoudrez
tout cela d’incertitude (ça n’est peut-être pas la
fin, je vais attendre son retour), d’humiliation
( je ne vaux même pas une explication, je ne
comptais donc pas à
ses yeux), de culpa-
bilité ( j’ai dû faire
un truc grave pour
être largué·e comme
une chaussette) et
de tromperie (on
m’a menti, ça n’était
pas la personne que
je croyais)... Glorieux
package !
« Au temps des rencontres au bal du village, pour-
suit Victor Coutolleau, le ghosting existait déjà,
mais cela comportait beaucoup plus de risques. À
commencer par le fait de se faire sévèrement juger
par son entourage et celui de l’abandonné·e. Sur les
applis, la sphère amoureuse n’a souvent rien à voir
avec le reste de notre vie. La rencontre amoureuse
est désencastré. Les stratégies d’évitement ne portent
donc pas à conséquence. » Derrière ses lunettes
d’intello branchée, Alison Stevenson cumule les
disparitions inexpliquées. Elle qui a dragué des
hommes via Tinder pendant toute sa vingtaine,
à Los Angeles, s’est fait ghoster « des dizaines de
fois ». Il faut dire que dans le monde de la drague
sur appli, cette pratique est quasiment devenue

LES RAVAGES DU SILENCE

“Pour la personne qui ghoste,
l’histoire est finie. Mais quand on
est ghosté, on ne se représente
pas la fin. Et on comble le vide
en fantasmant la vie de l’autre”
Mathias

Ghosting
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