Politis N°1558 Du 20 au 26 Juin 2019

(Nancy Kaufman) #1
Shirin Ebadi
participe le 24 juin
2009 à une
manifestation à
Bruxelles contre
les résultats des
élections en Iran.

DOMiniqUe FAget


/AFP


Contrairement à la rhétorique du gouverne-
ment, pour un nombre important de grands
religieux chiites, les fondements mêmes
de la république islamique d’Iran ne sont
pas conformes à la foi. Le grand ayatollah
Al- Sistani, la plus haute autorité religieuse
chiite en Irak, s’est toujours opposé à la consti-
tution d’un régime de clercs sur le modèle ira-
nien. Il est convaincu que la religion ne peut
pas être un organe institutionnel et que les gens
doivent avoir le droit de choisir leur religion
dans le cadre de leur vie privée.

en janvier 2018, de grandes manifestations
ont éclaté pour protester contre la vie chère
et l’accaparement des richesses par l’élite
politique. il s’agit donc moins de remettre
en question l’aspect autoritaire du régime
que de dénoncer son échec en matière
d’économie...
En apparence, effectivement, ces manifestations
se sont construites autour de questions écono-
miques. Mais le peuple prend conscience que
ces problèmes sont liés aux décisions politiques
du gouvernement. On ne peut dissocier ces deux
composantes. La rhétorique des manifestants
se concentre beaucoup sur les dépenses exces-
sives du régime pour financer des mouvements
extérieurs, comme en Syrie ou au Liban.

À cette occasion, vous avez demandé aux
iraniens de retirer leur argent des banques
publiques. pourquoi ?
Toutes les banques appartiennent soit au
régime, soit à des intérêts privés dépendant du
régime. Or nous avons constaté que l’argent du
peuple, dans ces banques, s’envolait souvent
dans la nature, et il y a eu des détournements
de fonds monstrueux. Retirer
l’argent serait un moyen de
pression sur le gouvernement,
un mode de résistance pour le
peuple – de résistance passive.

quels sont les moyens
de mobilisation populaire
aujourd’hui ?
Il est très important que la lutte
du peuple iranien continue de
manière pacifique. Il ne faut
en aucun cas que le peuple se
tourne vers la violence : c’est ce
que le gouvernement attend avec impatience, et
il est beaucoup plus efficace que le peuple dans
ce domaine-là. Je pense que les mouvements
de manifestations ou de grèves pourraient, par
exemple, s’inscrire dans la durée, et pas seule-
ment sur une ou deux journées symboliques,
comme c’est le cas aujourd’hui.

l’opposition semble très morcelée. que pen-
sez-vous du conseil national de la résistance
iranienne, qui se présente comme un « gou-
vernement alternatif » principalement dirigé
par les moudjahidines du peuple, très actifs
en europe et très soutenus notamment par
les états-unis ?
Il existe de nombreux courants, et l’un d’entre
eux est ce Conseil national de la résistance. Mais
ce n’est rien de plus que l’un des éléments de
cette opposition. Personnellement, je n’appar-
tiens à aucun et je n’en valide aucun. C’est au
peuple iranien de choisir. Ces mouvements ne
peuvent pas être autre chose que des candidats.
Ils ne peuvent pas se constituer en gouverne-
ment tant que le peuple ne les élit pas. Sans ce
mandat, ils n’ont aucune légitimité.

la moitié de la population iranienne est issue
de minorités : Kurdes, azéris, baloutches,
arabes, turkmènes, etc. quelle place ont-
elles dans la société ?
La Constitution prévoit la liberté pour ces
minorités de faire vivre leur langue et de l’en-
seigner à l’école. Mais cela fait quarante ans
que le gouvernement n’a pas respecté ce droit
fondamental. C’est la raison principale de la
discorde entre ces groupes et le gouvernement
central. Par ailleurs, la plupart d’entre eux sont
de confession sunnite : ils cumulent les sta-
tuts de minorité ethnique et religieuse. Dans
Téhéran, capitale de 12 millions d’habitants,
il n’existe aucune mosquée sunnite. Les repré-
sentants de ce groupe n’ont pas été autorisés à
en construire. Il y a eu aussi beaucoup d’arres-
tations de sunnites accusés de prosélytisme.

quel est le fondement de cette discrimina-
tion : raciste, nationaliste, religieux ?
Il n’y en a aucun réellement. C’est simplement
un principe de tyrannie. Ce n’est pas unique-
ment dirigé contre les sunnites : la confrérie des
derviches, une mouvance du chiisme, fait aussi
l’objet de mesures discriminatoires en Iran. On
en compte 400 dans les prisons iraniennes.

Voulez-vous dire que c’est par pur confor-
misme à un modèle choisi par le pouvoir ?
Oui. Ce n’est pas qu’une question d’ethnie ou
de religion, mais une question de conformité.
C’est pour la même raison que trois écrivains
iraniens sont en prison et qu’une cinquan-
taine d’avocats sont poursuivis devant les
tribunaux.

la même raison qui a conduit à l’arrestation
de chercheurs écologistes : l’écologie, ce
n’est pas dans la norme ?
C’est cela. Dès que quelqu’un est arrêté en Iran,
il est accusé d’atteinte à la sécurité nationale.

sur la scène internationale, les états-unis
se sont retirés de l’accord sur le nucléaire et
imposent de nouveau des sanctions à l’iran.
qu’en pensez-vous ?
D’après le rapport du Haut-Commissariat à
l’énergie nucléaire, l’Iran a respecté tous ses
engagements. Les États-Unis n’avaient pas
le droit de se retirer, et leurs sanctions p. 24 ›››

« il ne faut en


aucun cas que le


peuple se tourne


vers la violence :


c’est ce que le


gouvernement


attend. »


Politis 1558

20/06/2019

dOSSIER

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