Première N°499 – Septembre 2019

(Nancy Kaufman) #1
casting de Simon Werner a
disparu, qu’elle décroche. Le
strike d’autant plus parfait que
le film se retrouve à Cannes! En
cachette, son père se glisse dans
la salle et vient lui dire, en sor-
tant, qu’il lui donne les «  clefs
de la boutique ». « Ça m’a pro-
fondément touchée de voir qu’il
avait compris que je prenais
vraiment ce métier au sérieux. »

Trop belle pour eux?
Après une telle séquence de rêve, le retour à la réalité
aurait pu être violent. Passer du tout au pas grand-chose.
Ou, à l’inverse, accepter tout ce qui se présente pour ne
pas s’éloigner de ce nouveau terrain de jeu. « J’ai su très
tôt, avec mes parents, que ce métier fonctionne comme
des montagnes russes émotionnelles permanentes. » Et
aussi qu’il faut savoir dire non. « Je redoute toujours un
peu le moment où sortent les films que j’ai déclinés.
Mais jusqu’ici je n’ai jamais eu de regrets. Et une seule
vraie hésitation : jouer ou non Angélique dans le rema ke
d’Ariel Zeitoun. Car à ce moment-là de mon parcours,
je me suis demandé qui j’étais pour refuser un rôle
qu’on me proposait. Mais depuis toujours, j’essaie de
construire un parcours entre cinéma d’auteur et œuvres
plus populaires. »
De ce parcours émergent trois noms : Fabrice Gobert
(Simon Werner...), Florent-Emilio Siri (Cloclo) et Cé d r ic
Klapisch (Ce qui nous lie), « trois cinéastes qui savent
faire de leurs tournages des aventures palpitantes ». Et,
bien qu’elle y ait tenu un rôle (pourtant double) moins
conséquent, il faut y rajouter le duo Delépine/Kervern qui
lui confia dans Saint Amour ces person nages de ju mel les
auxquelles le trio Depardieu/Poelvoorde/Lacoste
rendait visite lors de son Tour de France bien arrosé
et qui cassaient l’image de jeune fille belle et éthérée
dans laquelle les cinéastes aiment la voir évoluer, à
mille lieues de ce qu’elle dégage dans la vie : radieuse,
enthousiaste, avec ce brin de dinguerie qui la rend irré-
sistible. « Je joue souvent des victimes alors que je me
sens tout sauf passive. » Ces jeunes femmes constituent
donc des rôles de composition. Mais à trop les enchaîner,
arrive vite le risque de s’y enfermer...

Back to basics
En 2020, Ana Girardot fêtera ses dix ans de cinéma.
Dix années durant lesquelles elle s’est fait une place
dans le métier mais sans le rôle qui changerait la
donne. Un premier rôle dans une œuvre à réel potentiel
populaire et pas juste une des solistes d’une distribu-
tion chorale. Celui de Mélanie, cette trentenaire pari-
sienne que la solitude des grandes villes a conduit vers
la dépression. L’héroïne de Deux moi, rôle que lui a
écrit Klapisch. Comme le nouveau chapitre d’une his-
toire pourtant partie sur de mauvaises bases. « Je dois à
Cédric ma première grande déception. Amoureuse
de son cinéma, j’étais folle de joie quand je me suis

retrouvée au casting de Ma part du gâteau. D’autant
plus que j’avais passé plusieurs étapes et que dans ma
tête, je croyais avoir décroché le rôle avant qu’il ne choi-
sisse Marine Vacht. J’ai revécu la même chose sur son
film suivant. Échouer dans la dernière ligne droite des
essais m’est souvent arrivé. Mais là, ça m’a fait vraiment
mal. » Alors, quand on lui propose l’audition de Ce qui
nous lie, el le com mence pa r d i re non pou r év it er u ne t roi-
sième déception. Puis, elle se ravise et décroche ce rôle
qui la conduit aujourd’hui à Deux moi, écrit sur mesure
pour elle. « Dès la lecture du scéna r io, j’a i reconnu beau-
coup de moi en Mélanie. Sans doute parce que Cédric
est quelqu’un à qui je me confie assez spontanément. »
Mais s’il y a du Ana dans Mélanie, Ana n’est pas Mélanie.
Cette dépression dévorante dans laquelle le personnage
est plongé est bien loin de son caractère solaire dans la
vraie vie. Klapisch en avait d’ailleurs bien conscience.
« Avant le film, il m’a demandé de faire tout un travail
pour comprendre cette sensation de ne plus avoir envie
de rien. Alors, j’ai zappé Instagram et les soirées entre
copines. Et lors des ultimes essais costumes, quand
j’ai vu qu’il me trouvait une petite mine, j’ai su que je
tenais Mélanie. » Pour la première fois d’ailleurs, elle
met du temps à sortir du personnage et de cette mélan-
colie sourde. Mais ce rôle et sa préparation ont surtout
modifié en profondeur son rapport à son travail. « Pour
les actrices de ma génération, le travail de représenta-
tion peut parfois prendre le pas sur celui de comédienne.
J’ai pu tomber dans ce piège-là. Ca r ce métier peut vous
pousser à trop vous montrer par peur d’être oubliée. »
Deux moi a donc agi comme un doux électrochoc.
« Ce besoin de revenir à ce que j’avais ressenti dans mon
premier cours de théâtre. De travailler mon jeu avec des
coachs et mon corps avec une prof de barre au sol. » En
attendant de la retrouver un jour au théâtre –  ses yeux
pétillent quand elle évoque sa seule expérience dans
Roméo et Juliette sous la direction du toujours inspiré
Nicolas Briançon – et prochainement pour la première
fois derrière la caméra. Ces mois de recentrage sur elle
et son métier l’ont poussée à écrire un court, Venise
n’existe pas, qu’elle tournera en novembre. La liste des
envies de cette enfant de la balle est loin d’être tarie. u

Cédric Klapisch,
Ana Girardot
et François Civil


DEUX MOI
De Cédric Klapisch • Avec Ana Girardot, François Civil,
François Berléand... • Durée 1 h50 • Sortie 11 septembre


  • Critique page 105


« J’ESSAIE DE CONSTRUIRE

UN PARCOURS ENTRE

CINÉMA D’AUTEUR ET

ŒUVRES POPULAIRES. »

P ORTRAIT
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