PORTRAIT DE LA JEUNE FILLE EN FEU
De Céline Sciamma • Avec Adèle Haenel, Noémie Merlant,
Valeria Golino • Durée 2 h • Sortie 18 septembre
-^ Critique^ page 96
« J’AI LONGTEMPS PENSÉ
QU’ON NE POUVAIT
ATTEINDRE LA VÉRITÉ D’UN
RÔLE QU’EN SOUFFRANT. »
qu’il n’y a parfois pas d’autre chemin. Mais sur le long
terme, le risque de s’abîmer est trop grand. Il faut des
respirations. Le rôle de Pauline dans L e Retour du héros
en était une et celui de Marianne dans Portrait de la
jeune fille en feu, en quelque sorte aussi. »
Céline et Noémie vont en bateau
Dans Portrait de la jeune fille en feu, Noémie Merlant
incarne Marianne, une jeune peintre qui accoste sur la
presqu’île de Quiberon. Elle est chargée de tirer le por-
trait de la belle Héloïse (Adèle Haenel), sur le point de
faire, contre son avis, un mariage de raison. Celle-ci
ignore les motivations de Marianne, présentée comme
sa dame de compagnie. Noémie Merlant hérite du rôle
a priori le moins “payant”, celui de la dissimulatrice
contrainte à l’impassibilité jusqu’à ce que les élans de
la passion ne l’emportent. À l’arrivée, sa performance,
formidable de retenue et de justesse, ne passe pas ina-
perçue. « C’est clairement un basculement dans ma vie
de femme et d’actrice. J’ai désormais tendance à plus me
faire confiance et à m’autoriser une forme de liberté par
rapport à mes envies. Céline m’a par ailleurs initiée à
une nouvelle façon de travailler qui consiste à trouver le
personnage en restant près du texte et à sculpter les mots
et les gestes de manière précise. » À Cannes, où le film
a remporté le prix du scénario, les yeux étaient braqués
sur Adèle Haenel, l’habituée des lieux à l’impression-
nante filmographie. « C’était logique qu’elle soit plus
exposée que moi. Si j’étais journaliste, j’irais naturelle-
ment vers elle. Céline et Adèle l’avaient anticipé avec la
production. Elles ont tout fait pour qu’on fasse la pro-
motion à égalité. »
Cette année, avant Portrait..., on a vu Noémie dans
Curiosa, j o l i f i l m s u r l a m u s e e t p o é t e s s e M a r i e d e R é g n i e r.
Et elle sera prochainement dans Jumbo, qui raconte
l’amour charnel d’une jeune femme objectophile pour
un manège. Deux films qui, comme Portrait..., sont
l’œuvre de femmes, Lou Jeunet et Zoé Wittock. « C’est
un hasard et surtout pas un critère. Je me réjouis cepen-
dant qu’il y ait de plus en plus de réalisatrices. » Elle-
même est en train d’achever son second court, Shakira,
du prénom d’une jeune fille rom qu’elle a connue à
la faveur d’actions de bénévolat. Une « fiction docu-
mentée » à la Shéhérazade? « Oui! Ça a même été
une grande source d’inspiration pour la mise en scène.
Céline [Sciamma] et Emmanuelle Bercot [qui joue sa
mère dans Jumbo] m’ont pa r ailleurs donné des conseils
précieux lors du montage. » De là à passer au long, il
n’y a qu’un pas. « La réalisation, je la vois pour l’instant
comme une parenthèse entre deux rôles. Je ne veux pas
trop brouiller les pistes non plus. Jouer reste vital pour
moi mais je ne me fixe pas de limites. » u
précieux qui m’a notamment aidée à développer ma
culture cinématographique. »
Je vous salue Marie(-Castille)
Après des petits rôles dans La Permission de minuit
ou La Crème de la crème, Noémie passe le casting des
Héritiers, un film de Marie-Castille Mention-Schaar
sur une classe de lycée de banlieue qui va participer à
un concours littéraire sur la Résistance. Nous sommes
en 2013. L’actrice a 24 ans. « Je ne savais pas pour-
quoi j’y allais, ils recherchaient des personnages âgés
de 16 ans! J’ai d’ailleurs su plus tard que Marie-Castille
ne me voulait pas. Elle devait me l’annoncer lors d’un
rendez-vous au cours duquel nous avons refait le monde
pendant une heure. À la fin, elle avait changé d’avis.
Puis, à la suite du tournage, nous sommes devenues très
proches. » C’est le début d’une fructueuse collabora-
tion entre les deux femmes qui débouche, en 2016, sur
Le ciel attendra, le film qui aurait dû mettre Noémie
Merlant sur orbite. Ce portrait d’une adolescente radi-
calisée met le doigt sur le sujet brûlant de l’intégrisme
musulman et du départ au jihad de jeunes Français. La
fragilité mâtinée de détermination de Noémie y fait des
merveilles. La profession (qui lui décerne une « vraie »
nomination du meilleur espoir féminin aux César 2017)
se prosterne. Le public, lui, ne suit pas (350 000 en-
trées quand même à l’arrivée). « Malgré la nomination
et l’intérêt du métier, ça n’a pas fait bam! (Rires.) Je suis
tellement concentrée sur mon travail que la reconnais-
sance publique ne me manque pas. J’ai appris à garder
la tête froide et à me contenter de la bienveillance des
personnes que je croise. Pour la majorité des acteurs, le
succès vient petit à petit, il faut l’accepter. »
Les propositions de castings commencent à affluer. La
plus incongrue émane de la production du Retour du
héros, la comédie en costumes de Laurent Tirard, avec
Jean Duja rdin. « Je craignais d’être m ise dans la case de
“la fille torturée qui pleure et qui crie”... Comme pour
Les Héritiers, j’étais persuadée de ne pas être prise,
d’autant que Jean était présent au casting. C’est heureu-
sement quelqu’un de simple qui sait vous mettre à l’aise.
Du coup, j’en ai fait des caisses et obtenu le rôle. [Elle
joue Pauline, jeune femme promise à un menteur et
séducteur.] J’ai trouvé le tournage épuisant physique-
ment mais mentalement, ça m’a reposée. » Reposée?
« Pour Le ciel attendra, j’ai eu l’impression de ne plus
exister ; de disparaître au profit du personnage. Je pen-
sais alors qu’on ne pouvait atteindre la vérité d’un rôle
qu’en transpirant et en souffrant. Je reste convaincue