4 |international MARDI 27 AOÛT 2019
A Hongkong, Carrie Lam refuse le compromis
La police a tiré en l’air, dimanche, mais la chef de l’exécutif, pourtant pressée par son camp, reste inflexible
hongkong correspondance
U
n premier coup de feu
tiré en l’air par la po
lice et le premier dé
ploiement de véhicu
les portant des canons à eau, di
manche 25 août au soir dans un
quartier populaire des nouveaux
territoires de Hongkong. Ce dou
zième weekend de protestation a
marqué une nouvelle étape dans
l’escalade de la violence, entre des
petits groupes de manifestants ra
dicaux, de plus en plus équipés, et
les « Raptors », la brigade d’élite de
la police de Hongkong. La chef de
l’exécutif, Carrie Lam a par ailleurs
reçu, samedi matin, une vingtaine
de poids lourds de la vie politique
qui l’ont encouragée à accepter
certaines revendications des ma
nifestants afin d’enclencher une
sortie de crise.
Depuis la nouvelle manifesta
tion monstre du 18 août qui avait
rassemblé 1,7 million de person
nes selon les organisateurs et
s’était achevée sans heurts,
Hongkong se félicitait de vivre
une trêve. Et ce, même si la police
a eu recours à des gaz poivre pour
disperser une manifestation, un
mois après l’attaque brutale du
21 juillet dans la station de métro
d’Yuen Long par des « chemises
blanches », casseurs soupçonnés
d’appartenir aux triades, les gangs
locaux, sur des voyageurs ayant,
ou non, participé à la marche du
jour qui avait eu lieu sur l’île de
Hongkong. Avec ce calme tout re
latif émergeait l’espoir d’une sor
tie de crise dans la région admi
nistrative spéciale.
Mais les deux principales mani
festations autorisées le weekend
des 24 et 25 août ont toutes deux
été marquées par des casses, des
heurts, de nombreux blessés et
des dizaines d’arrestations. Sa
medi aprèsmidi, à Kwun Tong,
quartier industriel et populaire, la
colère des manifestants visait
deux cibles : les nouveaux lampa
daires « intelligents » installés
dans le quartier au titre d’un essai
« pilote », et MTR, la société locale
de transports en commun.
Les grands lampadaires, devant
notamment améliorer la gestion
du trafic et surveiller la pollution,
avaient déjà créé la polémique lors
de leur installation car ils sont mu
nis de caméras avec reconnais
sance faciale que les autorités ont
dû promettre de ne pas activer.
Nombre de ces énormes poteaux
ont donc été abattus puis démon
tés. Les composants électroniques
en ont été extraits pour être étu
diés. Quant à la société des trans
ports publics, les manifestants
l’accusent d’avoir choisi le camp
de la police en fermant les stations
de métro proches des sites de ras
semblement. Quelques jours plus
tôt, la compagnie avait été criti
quée par la propagande chinoise
qui lui reprochait de faire circuler
des trains pour les protestataires.
Dimanche, une autre marche,
initialement interdite mais finale
ment autorisée en appel, a eu lieu
dans le quartier populaire de
Tsuen Wan. Quelques petits grou
pes armés de barres de fer, de lan
cepierres et autres armes plus ou
moins artisanales se sont séparés
du cortège principal pour bloquer
des rues. Plus tard, ils ont saccagé
quelques échoppes, dont deux ca
fés, soupçonnés par les manifes
tants d’avoir protégé des gangsters
lors de précédents incidents au
même endroit. Des rixes violentes
ont eu lieu avec les policiers. Vers
20 heures, l’un d’eux a tiré un coup
de feu en l’air pour disperser la
foule alors que cinq autres poli
ciers ont dégainé leur revolver en
visant les journalistes et les mani
festants qui avançaient vers eux.
Lors de cette manifestation, qui
visait à dénoncer les abus poli
ciers, les protestataires scandaient
« La police connaît la loi, la police
méprise la loi » ou « Police de Hon
gkong, œil pour œil ». Un slogan
qui fait référence à la grave bles
sure à l’œil d’une manifestante, le
11 août, sans doute provoqué par
un tir de projectile de la police. De
puis, l’œil et les cacheœil sont de
venus un nouveau symbole dans
les manifestations.
Ligne ultrarigide
Mardi, lors de son point de presse,
redevenu hebdomadaire, Carrie
Lam avait proposé une nouvelle
« plateforme de dialogue ». Mais le
délégué du Front civil des droits de
l’homme, Jimmy Sham, avait re
jeté de but en blanc cette proposi
tion qualifiée d’« hypocrite » alors
que les revendications des mani
festants n’ont quasiment pas
changé depuis les débuts du mou
vement.
Samedi, Carrie Lam a par ailleurs
invité dans sa résidence officielle
une vingtaine de personnalités du
camp proPékin afin de trouver
une sortie de crise. Selon le quoti
dien local South China Morning
Post, plus de la moitié des partici
pants à cette réunion ont encou
ragé la chef de l’exécutif à céder sur
certains points, notamment à
abandonner définitivement le
projet de loi d’extradition, actuel
lement simplement suspendu, et
à ordonner une enquête indépen
dante sur la conduite de la police.
Mais, selon les participants,
Carrie Lam s’en est tenue à sa ligne
ultrarigide : d’abord le calme, en
suite le dialogue. Un politicien
modéré du camp proPékin,
Michael Tien, indiquait quelques
jours plus tôt que le gouverne
ment central tenait particulière
ment à ce que l’ordre soit rétabli en
amont des 70 ans de la République
populaire de Chine, le 1er octobre.
Le temps est compté.
florence de changy
Au Zimbabwe, une répression préventive
Des opposants qui envisagent de dénoncer la dégradation de l’économie sont torturés
johannesburg
correspondant régional
I
l serait difficile de considérer
la modeste manifestation du
syndicat des enseignants ru
raux devant le ministère des fi
nances vendredi 23 août, à Harare,
comme le premier pas vers une
insurrection généralisée au Zim
babwe. Certes, les représentants
de l’Artuz (Union des syndicats
d’enseignants ruraux) avaient,
pour appuyer la portée symboli
que de leurs revendications sala
riales, fabriqué et exhibé un petit
cercueil censé représenter la mort
clinique de leurs conditions de vie,
le tout appuyé par le slogan
« payez pour l’enterrement ».
Ce trait d’humour presque héroï
que, vu le contexte d’effondre
ment économique du pays (il de
vient de plus en plus difficile de se
rendre au travail faute de pouvoir
payer le coût du transport avec
leur salaire), n’a pas dissuadé les
autorités d’ordonner la dispersion
musclée du regroupement et l’ar
restation de dix de ses partici
pants. Parmi eux : Douglas Coltart,
leur avocat, un militant
zimbabwéen qui est aussi le fils de
David Coltart, sénateur et tréso
rier général du MDC (Mouvement
pour le changement démocrati
que), la principale formation d’op
position du pays.
Le groupe a été relâché après
vingtquatre heures de détention,
en attendant les suites judiciaires,
tandis que 128 personnes ont déjà
été arrêtées à la suite d’une mani
festation qui n’a pas eu lieu, celle
du 16 août. Le secrétaire général
chargé de l’organisation du MDC,
Amos Chibaya, a été interpellé
dans ce cadre, pour « ne pas avoir
appelé publiquement à l’annula
tion de la manifestation ». Ce
jourlà, le parti dirigé par Nelson
Chamisa – dont David Coltart est
un proche – avait espéré organiser
le premier volet d’une série de mo
bilisations contre la dégradation
accélérée de l’économie, en proie à
un retour à l’hyperinflation – ce
que dément le pouvoir, qui a inter
rompu la publication de chiffres à
ce sujet –, à la récession et aux
pénuries d’électricité, d’essence,
d’eau et de médicaments.
« Dollar électronique »
Le 16 août, le premier volet de cette
série de manifestations, à Harare,
avait été interdit seulement peu
avant sa tenue. Mais des mesures
d’intimidation avaient débuté les
jours précédents. Six opposants
avaient été enlevés, et « gravement
torturés » selon le Forum zimbab
wéen des droits humains.
Le cas de Samantha Kureya dite
« Gonyeti », qui anime une émis
sion satirique, a frappé les esprits :
en février, elle avait déjà été arrê
tée après s’être moquée gentiment
de la police dans l’un de ses
sketchs. Le 22 août, des hommes
en uniforme, masqués, ont en
foncé sa porte, l’ont tirée de son lit
en petite tenue et emmenée dans
un endroit désert, avant de la bat
tre, puis de l’abandonner nue au
milieu de la nuit, après l’avoir con
trainte à boire de l’eau d’égout.
Lorsque Robert Mugabe, l’expré
sident, était au pouvoir (1980
2017), il était de coutume que la
violence s’abatte après une mani
festation du MDC. Désormais la
répression est préventive, et a
même lieu hors de toute présence
physique de sympathisants sup
posés dans la rue.
En novembre 2017, Robert Mu
gabe a été renversé dans la liesse
après un coup d’Etat mené par des
généraux avec l’appui d’anciens
proches de son parti, la ZANU PF,
dont celui qui allait lui succéder,
Emmerson Mnangagwa. Pendant
plusieurs mois, le nouveau prési
dent a porté les espoirs d’une re
naissance du Zimbabwe, à la fois
dans le domaine de l’économie et
des libertés individuelles, aussi
bien parmi les fidèles de la ZANU
PF que de ceux de l’opposition.
Il ne reste rien de ces attentes,
alors que l’inflation atteint 500 %
selon des experts indépendants et
qu’une étrange monnaie électro
nique a été mise en place pour ser
vir de devise nationale, en rempla
cement des dollars américains qui
font défaut dans le pays. Le pou
voir a proposé, dimanche 25 août,
une hausse de 76 % des salaires de
la fonction publique – dont les
membres affirment qu’ils cesse
ront bientôt d’être en mesure de se
rendre sur leur lieu de travail ; les
responsables du syndicat de cette
branche (Apex Council) ont aussi
tôt refusé, conscients que la pro
position de réajustement est ex
primée en monnaie zimba
bwéenne, dont la valeur diminue
rapidement. Ce « dollar électroni
que », le RTGS, ne vaut qu’un
dixième de dollar véritable et les
1 023 dollars de salaire mensuel
promis par le gouvernement ne
représentent en réalité qu’une
somme de 97 dollars américains
(environ 87 euros) par mois, alors
qu’un pain en coûte désormais 6.
Le pouvoir zimbabwéen, avan
çant qu’un plan de réformes est en
cours, accuse l’opposition d’être
liée à une mystérieuse « troisième
force » dont le but serait de renver
ser le président Mnangagwa. Le
ministre des affaires étrangères,
Sibusiso Moyo, un général qui a
été l’un des acteurs du coup d’Etat,
a déclaré après les violences du
16 août que les « déclarations in
cendiaires » (du MDC) et la « décou
verte d’une cache d’arme » avaient
justifié l’interdiction de la mani
festation du 16. « Nous allons tirer
parti de toute opportunité pour
manifester jusqu’à l’avènement
d’un gouvernement du peuple »
avait alors rétorqué Nelson Cha
misa, en promettant d’autres
manifestations dans les principa
les villes du pays. Toutes ont été
interdites.
jeanphilippe rémy
Répression
policière
contre des
manifestants,
le 25 août,
à Hongkong.
LILLIAN
SUWANRUMPHA/AFP
Mme Lam a proposé
une « plate-forme
de dialogue ».
Ce que le délégué
du Front civil des
droits de l’homme,
Jimmy Sham,
a qualifié
d’« hypocrite »
Un patron américain tombe
pour une espionne russe
L
e personnage n’a rien d’un héros de roman d’espionnage.
Il semble falot et crédule, même si cela ne l’a pas empêché
de faire du site de commerce en ligne américain Overs
tock.com un succès financier. Pourtant, Patrick Byrne, dirigeant
de cette société cotée en Bourse, a dû annoncer sa démission,
mercredi 21 août, pour avoir été l’amant de Maria Butina, une
membre des services secrets russes détenue aux EtatsUnis.
Arrêtée en juillet 2018, cette femme de 30 ans a été condam
née, le 26 avril 2019, à dixhuit mois de prison par un tribunal de
Washington pour avoir agi comme « agent d’un pays étranger »
sans le notifier au gouvernement.
Elle est la seule Russe à avoir été arrê
tée et condamnée après trois ans
d’enquête sur l’ingérence russe dans
la politique américaine.
Sollicité par les médias américains,
M. Byrne a tenté d’expliquer com
ment il avait engagé une « relation
sentimentale » avec Maria Butina.
Tout aurait débuté en 2015, lors d’un
congrès à Las Vegas de groupes liber
tariens et de mouvements proches du
Parti républicain. M. Byrne aurait été
abordé par cette femme qui souhaitait parler de la question des
armes. Alors qu’il avait répondu n’avoir aucune passion pour ce
sujet, elle aurait essayé de le convaincre, par la suite, de venir à
Moscou pour discuter des thèses libertariennes. « Je suis un céli
bataire de 56 ans. Dans cette relation, deux tiers me semblait
normal, un tiers pouvait poser question », atil déclaré.
L’insistance de Maria Butina pour rencontrer des membres
des campagnes présidentielles d’Hillary Clinton et de Donald
Trump l’aurait tout de même intrigué. Cette jeune femme, alter
nativement rousse, blonde ou brune, et originaire de Sibérie,
avait été en contact avec un Américain dès 2013, selon le FBI,
pour approcher les milieux proarmes aux EtatsUnis. En 2014,
celuici était parvenu à rencontrer des dirigeants de la National
Rifle Association (NRA), proche du Parti républicain, en militant
pour une organisation russe, le « Droit aux armes ».
Mais Patrick Byrne n’a « compris qu’en juillet 2018 » qui était
réellement sa maîtresse, après l’arrestation de celleci. La justice
affirme qu’elle a été envoyée avec d’autres agents par le Kremlin
pour perturber l’élection présidentielle de 2016 gagnée par Do
nald Trump. L’enquête n’a cependant pas permis de déterminer
avec précision le service secret russe auquel elle était rattachée.
jacques follorou
« LES DEUX TIERS
DE CETTE RELATION
ME SEMBLAIENT
NORMAUX »
PATRICK BYRNE
dirigeant démissionnaire
d’Overstock.com
Cent vingt-huit
personnes ont
été arrêtées
à la suite d’une
manifestation
qui devait avoir
lieu le 16 août