Liberation - 2019-08-10-11

(Ron) #1

Libération Samedi10 et Dimanche11 Août 2019 http://www.liberation.fr ffacebook.com/liberation t@libe u V


Mon plat le plus
fou (1/5)Chaque jour,
un chef raconte
par le menu comment
et pourquoi lui est
venue l’idée d’un mets.
Aujourd’hui, le pâtissier
se rappelle d’«Auguste»,
un gâteau de fête aux
chocolats grands crus.

qui va le guider:«Les clients se di-
rigeaient de plus en plus vers les
gâteaux individuels, chacun vou-
lant choisir “son” gâteau»,expli-
que-t-il. Il va alors élaborer un«gâ-
teau puzzle»,composé de parts qui
s’assemblent. Quatre, six ou encore
huit parts, chacune ayant une sa-
veur distincte sur une base de cho-
colats de grands crus. Il puise dans
les produits phares de l’épicerie
Fauchon, à Paris, pour composer
des recettes chocolat-miel de Pro-
vence, chocolat-poivre de Java,
chocolat-thé de Darjeeling, avec des

nuances dans les dosages. Si la part
chocolat-miel est«très gourmande
avec un équilibre entre chocolat et
miel»,la part chocolat-poivre ti-
tille progressivement les papilles
jusqu’à un cœur fort en épices.
Ainsi Auguste est l’une des pre-
mières «non-bûches», beaucoup
imitées, qui permettent à tous les
convives de se faire plaisir lors d’un
repas de fête.
Et pourquoi Auguste? Pour annon-
cer un dessert impérial?«Plutôt en
référence à Auguste Fauchon, le fon-
dateur de la maison. S’il fallait

ajouter une autre référence, ce se-
rait le clown augustepour l’aspect
ludique du gâteau»,rectifie le pâtis-
sier. En féru de design, Sébastien
Gaudard fabrique lui-même les
moules qui lui permettront de réa-
liser la pâtisserie, l’emballage, une
boîte coulissante, et le petit livret
qui accompagne le gâteau.«Celui-ci
m’a emmené très loin... Jusqu’au
Parlement européen pour intervenir
dans le cadre d’une conférence sur
“l’incidence des formes sur la per-
ception des textures et des sa-
veurs”.»Il s’en étonne encore.

Depuis Auguste, il y a eu l’aventure
du Délicabar, un snack chic au Bon
Marché proposant une carte sucré-
salé, puis l’ouverture, en 2011, de la
première pâtisserie à son nom, rue
des Martyrs à Paris. Il y a surtout
eu beaucoup de rencontres et
autant d’expériences. Il a ainsi fait
il y a peu un stage dans une école
d’ingénieurs en agroalimentaire et
il rentre d’un séjour à Cuba,«un for-
midable terrain pour imaginer des
gâteaux avec très peu d’ingrédients.
J’infuse ces expériences et ces ren-
contres, et je les intègre à mes créa-
tions». «Juste avant Auguste, j’avais
pu découvrir le travail d’Albert
Adrià, chef pâtissier dans le restau-
rant de son frère, le chef espagnol
Adrian Adrià[père de la cuisine
moléculaire, ndlr].Il y a certaine-
ment un peu de cette rencontre dans
mon gâteau»,remarque-t-il.

«Enfance».S’il y a bien une ren-
contre à retenir, c’est celle, en 2008,
avec l’auteure de livre de recettes
FrançoiseBernard,98printemps«et
toujours en forme»,précise-t-il. Elle
lui parle du plaisir de croquer dans
un Othello (une boule meringuée
avec ganache au chocolat). Il se
laisse tenter, même s’il pense ne pas
aimer. Et là, le choc:«J’ai été trans-
porté dans mon enfance.»Un retour
vers le passé qui décidera de son fu-
tur. Il se consacrera désormais aux
desserts traditionnels. Millefeuille,
éclair, religieuse... Sans oublier
l’Othello et le Mussipontain, gâteau
à base de meringue, crème vanille et
amandes caramélisées, inventé par
son père, pâtissier à Pont-à-Mous-
son, en Lorraine.«J’ai de temps en
temps des sursauts de modernité,
mais je me soigne !»s’amuse-t-il.
Vingt ans plus tard et ancré dans la
tradition, que pense-t-il de son
Auguste, la néo-bûche?«Je le trouve
encore actuel, je tiens toujours aux
gâteaux à partager, et pourtant il
appartient au passé»,tranche le
chef. On le laisse dans son petit bu-
reau, à une porte de l’atelier de la
pâtisserie, son jack russel, Hotdog,
à ses pieds. Si la question des bû-
ches de Noël est déjà réglée –un re-
tour au gâteau roulé chocolat-fram-
boise–, il a maintenant à imaginer
le dessert d’un prochain repas de
gala de l’Opéra de Paris.«Pour l’ins-
tant, j’infuse»,commente-t-il l’air
confiant.
SOPHIE MORGAN
PhotoRÉMY ARTIGES

(1) Ames sensibles s’abstenir : d’après
Sébastien Gaudard, qui a essayé moult
fois, la recette chantée par Peau d’âne ne
fonctionne pas.

LUNDIROMAIN MEDER

Sébastien Gaudard,
le 13 juillet à Paris.

Sébastien Gaudard


à pleine bûche


Q


uand on a pensé à Sébas-
tien Gaudard pour cette
série, on était persuadé
qu’il allait nous parler de
son «Gâteau d’amour», créé en 2018
pour la réouverture du Théâtre
Marigny, en hommage au cake
d’amour dePeau d’âne,le film de
Jacques Demy de 1970 (1). Quoi de
plus inspirant qu’une recette tirée
d’un conte? Raté! PourLibération,
Sébastien Gaudard a préféré tirer
«Auguste» de son carnet de créa-
tions, un gâteau imaginé en 1999 et
encore tout frais dans sa mémoire.
Mais avant d’aller plus loin dans
la description, une mise au point: le
pâtissier«n’aimerait pas avoir carte
blanche pour se lancer dans une
création». «La contrainte est un
périmètre dans lequel je m’exprime,
analyse-t-il,probablement parce que
cela m’aide à cadrer ma réflexion
et je réfléchis beaucoup, beaucoup»,
ajoute-t-il, sur le ton du «beaucoup
trop».

Triangulaire.Auguste est né à
une période clé de sa carrière. Il est
alors chez Fauchon depuis six ans.
Commis, adjoint, puis second de
Pierre Hermé, il lui a succédé à seu-
lement 26 ans.«Pierre Hermé avait
imaginé pour Fauchon, avec un desi-
gner, la Cerise sur le gâteau[un gâ-
teau au chocolat en forme de trian-
gle,ndlr].Le moment était venu pour
moi d’écrire la suite de l’histoire»,re-
trace Sébastien Gaudard.«Ou plutôt
de tenter de l’écrire»,corrige-t-il
en référence à«l’immense talent de
Pierre».Avant de dessiner Auguste,
il organise des tests de dégustation
pour comprendre comment un
gourmand choisit et croque dans
une pâtisserie. Il présente aux
heureux testeurs des plaques de
dix-huit (!) gourmandises, et autant
de formes et d’aspects différents.
Son intuition est confirmée:«Il n’y
a rien de meilleur que d’attaquer
un gâteau en commençant par les
coins !»Auguste sera donc triangu-
laire avec des pointes allongées.
Sébastien Gaudard tient à créer un
gâteau«qui se partage»,d’autant
qu’il est prévu de vendre Auguste à
la période des fêtes de fin d’année.
Cette fois, c’est l’analyse des ventes
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