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regarder autour de soi pour constater les différences
orgasmiques abyssales qui existent non pas entre
hommes et femmes mais entre femmes, entre celles
qui multiplient les expériences, seules ou en couple,
celles qui s’ennuient, celles qui osent, celles dont la
vie sexuelle est un désert, et celles pour qui ça ne
vient jamais, ou jamais comme il faut. En 2008, la
dernière grande enquête sur la vie sexuelle des
Français indiquait que 22,3 % des femmes de plus de
50 ans n’avaient pas eu de rapport sexuel dans l’an-
née. On repense à Yann Moix qui racontait dans
Marie Claire (4) ses préférences pour les femmes plus
jeunes que lui et asiatiques (et son désintérêt pour les
femmes de plus de 50 ans), goûts dont il semblait
croire qu’ils lui étaient personnels. Une vraie révolu-
tion sexuelle devrait se préoccuper autant de consen-
tement que de politique du désir. Qui est désirable?
Et pourquoi? Qui a les moyens de ses désirs? Qui est
vraiment libre de les assouvir? Virginie Despentes le
résumait encore de façon implacable dans Society :
« On n’a pas dit aux jeunes filles : “Dans ta vie, tu peux
faire plein de trucs beaucoup plus graves, suce des
bites si ça te fait plaisir, on les emmerde tous.” On a
dit : “On va faire la révolution sexuelle, mais les filles,
vous n’allez pas être dedans en fait. Vos corps vont y
participer, on en a besoin, mais vous non”. (...) Il y a
eu vraiment très peu de bienveillance pour les filles qui
avaient envie d’être des chaudasses. » La libération
sexuelle ne se fera pas sans les chaudasses. Sans en
finir avec la mauvaise réputation. « Quand je repense
à ce qu’on a dit de moi quand j’étais plus jeune, j’ai des
montées de colère, dit Chloé, 39 ans, qui dans sa jeu-
nesse enchaînait les histoires. Je crois que c’était ini-
maginable pour eux, et elles d’ailleurs, que ce ne soit pas
autre chose qu’une affaire de trauma, en tout cas un
symptôme, une déviance... Pour moi, c’était tout l’in-
verse, je me sentais assez puissante et à l’aise, et j’ai tou-
jours trouvé que ceux qui disaient “tout le monde lui
est passé dessus”, c’était eux les gros cons, les nazes. »
Une « sexualité égalitaire » dans un monde
qui ne l’est pas?
À la fin de l’été, nous verrons Zahia Dehar (qui s’est
fait connaître en 2010 au moment de « l’affaire
Zahia » impliquant des joueurs de l’équipe de France
de foot ayant eu recours à elle comme escort alors
qu’elle était mineure) évoluer dans Une fille facile (5), le
nouveau film de Rebecca Zlotowski. C’est une petite
fable solaire avec en son centre ce personnage
presque irréel de légèreté, fille facile en string et robe
transparente qui couche pour des cadeaux. Elle dit
rechercher seulement l’aventure, le plaisir. Au som-
met du marché du désir, en bas de la hiérarchie
sociale, corps à la fois soumis (à un idéal pornogra-
phique, au bon plaisir des hommes) et omnipotent
– instrument de jouissance, de pouvoir, voire de
domination (« Est-ce que Zahia Dehar n’est finalement
pas tout le temps dans l’abus de pouvoir sexuel fémi-
nin? » demandait la réalisatrice dans un entretien),
elle incarne les enjeux de cette époque post #MeToo.
Comment vivre la « sexualité égalitaire » dans un
monde qui ne l’est pas? Comment négocier avec les
différences de pouvoir (politique, économique, de
séduction)?
Nous avons appris à explorer les soubassements du
consentement, essayé encore de traquer en nous-
mêmes la fausse conscience, les choses qu’on fait
pour plaire à notre détriment en croyant qu’on les fait
pour nous. La journaliste Camille Emmanuelle nous
disait à propos de #MeToo : « On avait oublié trop
longtemps le versant violent, traumatisant de la sexua-
lité. Maintenant, il faut accompagner le discours sur le
consentement en parlant de l’aspect joyeux de la sexua-
lité. Il ne faudrait pas oublier que ça peut être un terri-
toire d’émancipation. Le sexe entre adultes consentants,
si c’est politiquement correct, on va tous se faire chier. »
Bref, jouir sans entraves, ou avec si ça fait plaisir.
- Éd. Seuil. 2. D’Elvire Duvelle-Charles et
Sarah Constantin, sur Slash Tv. 3. Dans le
podcast Programme B - Binge Audio. 4. Février
- En salles le 28 août.
En 2016, une
adolescente de 15 ans
sur quatre ne sait
tout simplement pas
qu’elle a un clitoris.
→ sommes-nous tous égaux face au plaisir?
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