Les Echos - 09.03.2020

(Steven Felgate) #1

« Chaotique ». La mise en place du
reste à charge zéro dans l’optique a
plutôt mal commencé. Au 10 jan-
vier encore, rien ne fonctionnait
côté informatique entre opticiens,
mutuelles e t fabricants p our la mise
en place de la nouvelle codification.
Ce qui fait que certains laboratoires
de fabrication étaient à l’arrêt en
attendant des commandes. Aujour-
d’hui, la situation rentre dans
l’ordre. Depuis le 1er j anvier, seuls les
verres de classe A (amincis, antire-
flet e t antirayures) sont à 100 % r em-
boursés. Ceux de classe B, avec un
tarif libre et offrant plus d’options,
comme filtrer la lumière bleue ou
l’éblouissement des phares, sont
eux pris en charge en fonction de la
mutuelle. La part à payer varie donc
d’une personne à l’autre.
Ces changements vont concer-
ner 70 % des Français porteurs de
lunettes (7 % sont équipés de len-
tilles), qui renouvellent leur paire en
moyenne tous l es 2,5 ans. « Ce s era le


rôle d e l’opticien de c onseiller chacun,
en fonction de ses besoins, et de bien
expliquer les avantages d’avoir des
verres plus technologiques qui protè-
gent mieux sa vision, souligne Nico-
las Seriès, le directeur général de
Zeiss France. Le reste à charge
moyen sera de l’ordre de 24 %. »
Du coté des montures, le choix
sera possible entre une trentaine de
modèles. Pour ceux qui souhaite-
raient p orter des lunettes s ignées de
grands noms, comme Prada, Gucci
ou Dior, il faudra mettre la main à la
poche. Les mutuelles limitant leur
remboursement à 100 euros (con-
tre 150 euros jusque-là). « On n’est
pas là pour offrir des montures Cha-
nel à tout le monde », avait souligné
la ministre de la Santé Agnès
Buzyn. Aujourd’hui, le prix moyen
d’une monture est de 120 euros.
Pour les industriels, cette réforme
va avoir pour effet de faire reculer le
marché, du fait de la baisse des prix.
La perte de chiffre d’affaires entre la
classe A et la B est estimée à « fois 3
entre les deux verres », note un pro-
fessionnel. Ce qui devrait conduire à
un recul, s elon les études, entre 2 % à
10 % du marché. « Il ne va p as s’écrou-
ler, d’autant q ue les Français qui béné-
ficiaient d’une bonne mutuelle
devraient continuer de s’équiper

comme avant », estime Jean-Michel
Lambert, président de Hoya Seiko
France. Les bases structurelles du
secteur sont aussi favorables. Les
ventes ont ainsi progressé de 1,7 %
au premier semestre 2019, à 3,4 mil-
liards d’euros, selon GfK. Le marché
est porté par la génération des baby-
boomers qui deviennent presbytes
et les effets négatifs des écrans sur la
vue, notamment des plus jeunes,
favorisant plutôt la myopie.

« Verres Dacia »
Pour le gouvernement, le reste à
charge zéro devrait aussi faire gros-
sir les rangs de porteurs de lunettes.
Il estime en effet que 10 % des Fran-
çais renonceraient à s’équiper pour
des raisons financières. Un faux
débat aux yeux des professionnels.
« Ces populations bénéficiaient déjà
d’une offre premier prix chez les opti-
ciens, relève Nicolas Seriès. Par
ailleurs, le problème du parcours de
soins demeure, avec parfois plus de
six mois pour avoir rendez-vous avec
un ophtalmologue. Le nombre
d’ordonnances ne va d onc pas se mul-
tiplier. » Autre conséquence de la
réforme, la hausse des importations
de verres venant d’Asie. Et un possi-
ble impact sur l’emploi en France.
L’an dernier, le Groupement des

industriels et fabricants de l’optique
avait tiré la sonnette d’alarme, indi-
quant que 985 à 2.735 postes pour-
raient être menacés chez les grands
fabricants Essilor, Hoya ou Zeiss.
La filière compte encore
10.000 emplois en France, répartis à
parts égales entre une cinquantaine
de fabricants de montures et une
douzaine de verriers.
Cela dit, ce sont ces mêmes géants
mondiaux qui vont produire ces ver-
res moins chers. Mais la fabrication
se fera en Asie, où les coûts sont
réduits. Les plus haut de gamme res-
tant fabriqués en France. « C’est une
obligation. Il n’est plus autorisé désor-
mais de vendre des verres haut de
gamme si on ne propose pas des verres
de classe A », précise Jean-Michel
Lambert. Va-t-on voir revenir les
culs de bouteille d’autrefois? « Non,
ce sont des produits qui répondent
aux corrections de base, mais n’intè-
grent pas toutes les dernières techno-
logies, souligne le directeur général
de Zeiss France. C’est un peu comme
Renault et sa marque Dacia. » Pas
question donc pour eux de parler de
mauvaise qualité. « Ce sont des verres
standard, ils n’ont donc pas de traite-
ments aussi fins que les autres ni de
zones de vision aussi précises », note
le président d’Hoya France. —D. C.

Les industriels de l’optique secoués


La mise en place du zéro à
charge dans l’optique a mal
commencé. Au 10 janvier,
rien ne fonctionnait côté
informatique entre
opticiens, mutuelles
et fabricants.


Les autorités européennes de la concurrence ont ouvert une enquête sur le rachat de GrandVision, propriétaire de GrandOptical.
Photo Anthony Micallef/Haytham-RÉA

fre d’affaires pour 2020 tablent sur
la stabilité. Le ROF évoque une
baisse supérieure à 2 %.
En réalité, le « 100 % santé » ne
pénalise pas les opticiens. La dif-
ficulté vient de l’obligation faite
par la Sécurité sociale d’établir
une nomenclature exhaustive
des verres vendus. La liste des
codes LPP est passé d’une dizaine
de cas types à autant qu’il existe
de corrections. « Nos systèmes
informatiques ont dû s’adapter.
C’est un immense travail car on
atteint plus de 200.000 codes »,
explique Patrice Camacho, direc-
teur santé de Krys Group. Les
fabricants de verre, Essilor et
autres, ont été mis sur la brèche.
Les assureurs complémentaires
aussi. Beaucoup n’étaient pas
prêts le 1er janvier. « Pendant plu-
sieurs semaines, il a été impossible
de faire le tiers payant de nos
clients auprès de certaines mutuel-
les », précise Patrice Camacho.

Devis de quatre pages
Didier Papaz évoque aussi la
question du nouveau devis obli-
gatoire « de quatre pages ». La
Sécurité sociale autorise l e
regroupement des fameux codes
LPP en 29 groupes. Mais les com-
plémentaires exigent plus de
détails et réclament les ordon-
nances des ophtalmologues.
Cette information médicale n’est
pas censée être communiquée. La
CNIL se penche sur la question...
Optic 2000 compense le man-
que à gagner de ses adhérents par
des avances de trésorerie. Les
opticiens non affiliés n’e n bénéfi-
cieront pas. Il leur faudra gérer le
trou d’air de janvier tout en affi-
nant leur stratégie commerciale
pour convaincre 80 % de leur
clientèle de continuer à acheter
des lunettes plus chères que celles
du « 100 % santé ». Professionnels
de la santé visuelle, les opticiens
sont aussi des commerçants.n

Philippe Bertrand
@Bertra1Philippe

Le début d’année a été difficile
pour les opticiens. Didier Papaz,
directeur général délégué d’Optic
2000, évoque une baisse des ven-
tes de 27 % pour son réseau coo-
pératif en janvier. Environ 40 %
des magasins d’optique
auraient enregistré une baisse
d’activité de 40 %, selon la pro-
fession. « La mission est accom-
plie », estime pourtant le diri-
geant d’Optic 2000 au sujet du
reste à charge zéro.
Le président Macron a voulu
offrir aux 500.000 Français qui se
privaient de lunettes en raison de
leur coût une offre intégralement
remboursée par la Sécurité
sociale et les complémentaires.
L’obligation porte sur 17 modèles
de montures adultes en 2 coloris
et 10 modèles enfants en 2 coloris
également, le tout équipé de ver-
res (amincis, antireflet et anti-
rayures) qui traitent l’ensemble
des troubles visuels.
Chez Optic 2000, cette proposi-
tion représente déjà 14 % des ven-
tes. Le Rassemblement des opti-
ciens f rançais (ROF) a produit une
estimation à 18 %. La réforme est
un succès. E lle s’accompagne de la
limitation à 100 euros contre
150 euros auparavant du rem-
boursement des montures. Cela
amputerait de 2 % le résultat net
des opticiens qui n’est, pour les
meilleurs, que de 6 %. « Le surcroît
d’activité peut nous permettre de
compenser grâce à un effet vo-
lume », affirme D idier Papaz. C hez
Optic 2000, les prévisions de chif-

Le début d’année a été
mauvais pour les magasins
d’optique. La faute en
incombe surtout aux
complexités administratives
imposées par la Sécurité
sociale et les mutuelles.

Reste à charge zéro :


les opticiens souffrent


Plus que le coronavirus, c’est la
fraude en Thaïlande, dont l’impact
a été comptabilisé à hauteur de
185 millions d’euros, qui a fait mon-
ter la fièvre au sein du groupe. La
directrice financière d’une usine
locale, victime d’une arnaque à
l’eau de rose sur Internet, est à l’ori-
gine du détournement. « Les Ita-
liens ont demandé des têtes à tous les
étages », indique un connaisseur du
dossier. Au total, 8 salariés ont été
licenciés, dont le trésorier central
du groupe. L’enquête a mis sur la
sellette la direction financière à
Paris, créant un grand malaise
dans les équipes.

Regain de fièvre
Surtout, cette affaire a remis le feu
aux poudres, relançant la crise de
gouvernance plus ou moins latente
qui agite l’entité depuis sa création,
en octobre 2018. Le quotidien ita-
lien « la Repubblica » parle de véri-
table « tremblement de terre suite à
ce scandale ». La tension est encore
montée d’un cran jeudi. Lors du tra-
ditionnel conseil préalable à la
publication des résultats, le camp
italien, par la voix de la présidente
du comité d’audit et des risques, a
demandé en vain la démission de
Laurent Vacherot – le clan français,
qui dispose de la moitié des voix, s’y
étant opposé.
Des dirigeants français accusés de
mauvaise gestion et de manque de
vigilance, cela pose de nouveau des
questions sur le choix du futur direc-
teur général du géant mondial, qui
doit intervenir d’ici à la fin 2020. Plu-
sieurs candidats internes à l’entre-
prise sont dans la course. Après cette
fraude, qui a créé « une grande amer-
tume » chez le patriarche Leonardo
Del Vecchio, PDG du groupe, et pre-
mier actionnaire, le camp italien
pourrait être encore plus enclin à
favoriser son propre poulain.
Le dossier est suivi de près par
Bercy. Le gouvernement reste vigi-
lant sur les conditions posées au
départ de l’opération. A savoir que
ce groupe franco-italien conserve
son siège à Paris, comme ses cen-
tres de recherche. Et que l’équilibre

au niveau du management entre
Français et Italiens soit réellement
respecté. Un signal positif tout de
même : l’intégration entre le fran-
çais et l’italien avance sur le terrain.
Les synergies estimées entre 300 à
350 millions d’euros ont été confir-
mées pour 2019-2021. L’objectif
dans les deux ans suivants est de
passer 420 à 600 millions d’euros.
« L’expansion des verres Essilor les
plus technologiques dans notre
réseau de boutiques, qui est un
exemple de ce rapprochement, a été
très bien perçue et va générer une
hausse des résultats », a souligné
Giorgio Striano, directeur opéra-
tionnel de Luxottica. Les contrats
avec les fournisseurs sont aussi en

cours d e renégociation. Et l’unifica-
tion des laboratoires de prescrip-
tion est en route.

4
À NOTER
Le groupe a lancé une émission
d’obligations de 5 milliards
d’euros pour (re)financer une
partie du prix de rachat de
GrandVision. Si les autorités
européennes de la concurrence
ont ouvert une enquête, l’opé-
ration a été autorisée aux Etats-
Unis, en Russie et en Colombie.

(


Lire « Crible »
Page 38

lLe géant mondial de l’optique a vu ses ventes et ses résultats progresser en 2019.


lL’ intégration entre les deux entreprises avance pas à pas, mais le choix du futur directeur général s’annonce compliqué.


EssilorLuxottica est en forme


mais plus divisé que jamais


Dominique Chapuis
[email protected]


Le regain de tension entre les camps
français et italien n’aura pas empê-
ché EssilorLuxottica d’afficher des
résultats solides pour 2019. Depuis
deux mois et la mise au jour d’une
fraude en Thaïlande, le groupe a
replongé dans une crise de gouver-
nance. Le chiffre d’affaires du géant
mondial de l’optique a augmenté de
4,4 % à taux de change constant, à
17,4 milliards d’euros. La marge
brute ajustée a légèrement reculé à
62,6 % des ventes (contre 63 % en
2018). Le résultat opérationnel
ajusté progresse, lui, de 7,4 %, à
2,8 milliards. Et le résultat net
atteint 1,9 milliard (+4,8 %). « Ces
résultats confirment notre stratégie.
Nous allons continuer d’investir pour
le futur dans l’innovation, que ce soit
les produits, le digital et les maga-
sins », a souligné Laurent Vacherot,
le directeur général d’Essilor.
Sur ce début d’année, l’impact du
coronavirus reste limité à ce stade.
La Chine représente seulement 5 %
de l’activité du géant de l’optique.
Mais il compte 8 usines (dont une
Luxottica) dans le pays, dont un
quart de la production part à
l’export. « Après un ralentissement
de quelques semaines, 85 % à 90 %
des capacités sont assurées, a indi-
qué Laurent Vacherot. Tous les
clients internationaux ont été ser-
vis. » Idem côté Luxottica.
Dès le début de l’épidémie, le
groupe a fait jouer les liens entre les
différents laboratoires de son
réseau mondial pour compenser la
baisse en Chine. Ceux du Mexique,
de Pologne, d’Inde et de Thaïlande,
notamment, ont répondu à la
demande non assurée en Chine. De
son côté, Luxottica a surtout trans-
féré la production vers le Brésil et
l’Italie. Malgré la menace de l’épidé-
mie dans la péninsule, ses stocks
sont suffisants. L’approvisionne-
ment en matières premières et en
composants est sécurisé.


MATÉRIEL MÉDICAL


ENTREPRISES


Lundi 9 mars 2020Les Echos

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