Les Echos - 09.03.2020

(Steven Felgate) #1
attendent, et plutôt s’élever à
20 points de base », explique Frede-
rik Ducrozet chez Pictet Wealth.
Quelle que soit son ampleur, une
telle baisse devrait s’accompagner
de mesures correctives pour éviter
qu’e lle pèse trop sur la rentabilité
des banques. Une part plus élevée
de leurs réserves déposées à la BCE
pourrait être exemptée de ce taux
négatif.
Mais, au-delà des taux, « la prio-
rité de la BCE devra être de s’assurer
qu’il y a suffisamment de liquidités
disponibles pour répondre aux
besoins des entreprises, spécialement
des PME dans le cas où leur activité
s’effondre temporairement, et
qu’elles se retrouvent à court de
cash », écrit Barclays. Une nouvelle
vague de LTRO, des prêts de long
terme gratuits – voire à taux négatif


  • accordés aux banques qui finan-
    cent l’économie, était déjà en cours
    de préparation.


Un outil spécifique
pour soutenir les PME
Mais la banque centrale pourrait
prévoir un outil destiné spécifique-
ment à encourager les banques
à soutenir les PME, par nature les
plus fragiles et susceptibles de se
voir privées d’accès au financement
si leur activité ralentit. « De tels
LTRO pourraient être plus courts
(12 mois contre 3 ans par exemple)
et afficher un taux d’intérêt inférieur
au taux de dépôt », envisage Frede-
rik Ducrozet. Une véritable incita-
tion à ne pas couper le robinet ban-
caire.
Autre solution pour aider les
PME : assouplir les règles de colla-
téral. Autrement dit, permettre aux
banques d’utiliser la dette de petites
et moyennes entreprises en diffi-
culté comme garantie des finance-
ments qu’ils obtiennent auprès de
la BCE.
Les marchés misent également
sur une hausse de l’enveloppe men-
suelle – 20 milliards d’euros actuel-
lement – que l’institut monétaire
consacre à l’achat d’obligations
dans le cadre de sa politique de
rachat d’actifs. Cela permettrait en
outre de faire baisser l’euro face au
dollar sans toucher au taux de
dépôt. Le problème c’est de trouver
les actifs à acheter. La BCE est déjà à
la limite (30 %) de la dette qu’elle
peut acquérir pour certains Etats. Et
bouger cette limite serait difficile à
faire accepter, notamment en Alle-
magne. La solution pourrait être
une légère augmentation ciblant les
obligations d’entreprise.n

lLa Banque centrale européenne tient sa réunion de politique monétaire jeudi.


lLes marchés s’attendent à une réaction forte après la baisse surprise des taux de la Fed.


lUn véritable test pour Christine Lagarde, qui va devoir composer avec des moyens d’action limités.


La BCE à l’heure des choix

Guillaume Benoit
@gb_eco


L’affaire semblait entendue lors de
l’arrivée de Christine Lagarde à la
tête de la Banque centrale euro-
péenne. La toute nouvelle prési-
dente allait disposer d’au moins un
an pour impulser sa dynamique à
Francfort sans amender la politi-
que monétaire. Moins de quatre
mois après sa prise de fonction, la
voilà confrontée à une crise aussi
violente qu’inattendue.
Face à l’épidémie de coronavirus,
les marchés paniquent. Alors que
l’économie européenne donnait
des signes encourageants en
février, la menace d’une récession
plane à nouveau sur la zone euro.
Conséquence, les investisseurs se
ruent sur les valeurs refuges. Le
taux américain à 10 ans évolue
sous les 0,7 %. A – 0,75 %, celui
du Bund allemand n’était jamais
allé aussi loin en territoire négatif.
Aux Etats-Unis, la Fed a déjà
frappé fort mardi, baissant par sur-
prise ses taux de 50 points de base.
Sans grand résultat. L es projecteurs
sont désormais braqués sur la BCE



  • q ui tiendra sa r éunion de politique
    monétaire jeudi – et sur sa prési-
    dente. « La question qui se pose est
    celle de savoir si, sous la direction de
    Christine Lagarde, la BCE va conti-
    nuer la politique de Mario Draghi
    (faire “tout ce qui est nécessaire”), ou
    revenir à l’ère Duisenberg-Trichet,
    lorsque la stratégie privilégiée par la
    banque centrale était le “wait and
    see” », s’interroge Carsten Brzeski,
    chez ING.
    Face à la gravité de la situation,
    l’attentisme paraît difficile à défen-
    dre pour la banque centrale. Chris-
    tine Lagarde a promis des « mesu-
    res ciblées ». Mais que peut faire la
    BCE? Son principal taux directeur

  • le t aux de dépôt – est déjà à

  • 0,50 %. A ce niveau, impossible
    de suivre la Fed en appliquant une
    nouvelle diminution de 50 points
    de base. A – 1 %, l’effet sur l’écono-
    mie pourrait se révéler contre-pro-
    ductif, provoquant plus de dégâts
    que de bienfaits.


Les marchés anticipent une
baisse de 10 points de base
De façon paradoxale, si les marchés
ne croient pas vraiment à l’utilité
d’une action sur les taux contre les
effets du coronavirus, ils anticipent
l’annonce d’une baisse de 10 points
de base. Notamment pour contrer
la hausse de l’euro face au dollar,
provoquée par l’action surprise de
la Fed. La devise européenne a
bondi de 1 % face au billet vert ven-
dredi, et est à son plus haut niveau
en huit mois.
« Si la BCE opte pour une baisse
de ses taux, ce qui n ’est pas le scénario
que nous p référons, celle-ci devra être
plus forte que ce que les marchés


BANQUE CENTRALE


« La question
qui se pose
est celle de savoir
si, sous la direction
de Christine
Lagarde, la BCE
va continuer
la politique
de Mario Draghi. »
CARSTEN BRZESKI
CHEZ ING.

cier a illustré la profondeur de
leurs angoisses : les obligations
d’Etat américaines à 10 ans. En
cours de séance, mardi, le rende-
ment de ce titre, f ortement
demandé, est passé sous la barre
des 1 %, un plus bas historique.
Ce produit phare, qui sert à
financer la gigantesque dette fédé-
rale américaine, e st l ’une d es g ran-
des valeurs refuges des marchés
financiers, quand personne ne
veut risquer son argent ailleurs.
« Il est acheté par tous les investis-
seurs qui tentent de préserver la
valeur de leur portefeuille sans
prendre de risque », rappelle
Gregory Daco, chef économiste
sur les Etats-Unis pour Oxford
Economics.
Le record a été rapidement
enfoncé : vendredi, le rendement
de l’obligation d’Etat américaine a
plongé sous le s euil de... 0,7 %, t an-

dis que les autres produits du
même type comme l’obligation à
30 ans fléchissaient également.
« La baisse du taux à 10 ans reflète
trois é léments p rincipaux : la baisse
soudaine du taux directeur par la
Fed, l’anticipation d’une croissance
affaiblie dans les mois à venir et un
effet de panique avec les investis-
seurs qui se réfugient dans les
valeurs sûres », décrypte Gregory
Daco.

« Incapacité à prendre
des mesures drastiques »
Le mouvement n’est probable-
ment pas achevé. « Il y a le senti-
ment d’une incapacité de la part de
l’administration américaine à pren-
dre des mesures drastiques contre le
coronavirus », estime l’écono-
miste. Les autorités sanitaires
américaines ont recensé 11 décès
liés au coronavirus, mais seule-

ment 164 cas de personnes infec-
tées, faisant craindre aux marchés
un sous-dépistage du virus. A
court ou moyen terme, ils redou-
tent ainsi un impact sur l’activité
beaucoup plus important, dans
une économie américaine déjà en
ralentissement.
En pleine année électorale, et
alors que le Congrès vient de
débloquer 8,3 milliards de dollars,
l’administration Trump répond
pas à pas au virus. « Nous sommes
dans le camp de ceux qui veulent des
micromesures opportunes et
ciblées », a indiqué vendredi le
conseiller économique à la Mai-
son-Blanche Larry Kudlow sur
Bloomberg, rejetant les projets
« de g rande envergure, des centaines
et des centaines de milliards de dol-
lars qui n’ont pas d’effet incitatif et
n’affectent pas la croissance de
manière permanente ».n

La chute du taux américain à 10 ans,


baromètre des craintes du marché


Véronique Le Billon
@VLeBillon
—Bureau de New York

Le marché des actions n’est pas le
seul à être secoué. Mardi, quand la
Réserve fédérale américaine (Fed)
a annoncé par surprise une baisse
de ses taux directeurs d’un demi-
point, désormais entre 1 % et
1,25 %, les investisseurs auraient
dû être rassurés. C’est l’inverse qui
s’est produit, et un produit finan-

Le rendement de l’obliga-
tion d’Etat américaine
à 10 ans est passé sous
la barre de 1 % et se
négociait autour de 0,7 %
vendredi. Reflétant
notamment les craintes
d’un sous-dimensionne-
ment de la réponse
américaine au coronavirus.

pertes d’UniCredit et de Deutsche
Bank se sont limitées à environ 2 %.
C’est bien un mini-krach qui
vient de frapper le secteur. En
quinze jours, et depuis l’apparition
des premiers cas de coronavirus en
Europe, l’indice Euro STOXX
Banks, qui regroupe les principales
valeurs bancaires de la zone euro, a
perdu près de 25 %. Il a atteint son
niveau le plus bas depuis la crise
des dettes souveraines en 2012.
Sur la période, Société Générale
a dégringolé de 31 %, effaçant ainsi
les gains réalisés depuis près de un
an, alors que la banque avait réussi
à convaincre les marchés de sa sol-
vabilité. BNP Paribas a abandonné
27 %, perdant au passage sa cou-
ronne de première capitalisation
bancaire de la zone euro. Dans le
même temps, le CAC 40 perdait
« seulement » 15 %.
Pourquoi les banques sont-elles
davantage visées? Elles seront

directement concernées en cas de
ralentissement é conomique sévère
dû à la propagation de l’épidémie.
Les projets d’investissement pour-
raient se tarir, les défaillances
d’entreprises se multiplier, et les
créances douteuses augmenter. De
quoi faire grimper le coût du risque
dans les banques, et donc affecter
leurs résultats futurs. Sans comp-
ter que la dégringolade des B ourses
aura aussi un impact sur leurs acti-
vités de marchés.

Crainte sur les taux
Mais les investisseurs s’inquiètent
surtout, depuis quelques jours, de
la réaction de la Banque centrale
européenne (BCE), qui pourrait
imiter son homologue américaine,
la Fed, en décidant de baisser les
taux. Ce n’est pas forcément une
bonne nouvelle pour les banques
de la zone euro, qui voient déjà
leurs marges rognées depuis plu-

sieurs trimestres par la faiblesse
des taux. De nombreux établisse-
ments o nt annoncé des plans d ’éco-
nomies afin de r estaurer leurs mar-
ges et de faire grimper leurs ratios
financiers.
La baisse des cours peut-elle
s’accentuer? « On est un peu dans le
flou, à la fois sur l’impact de l’épidé-
mie, mais aussi sa durée et la réaction
in fine de la Banque centrale, ce qui
explique au moins en partie l’aug-
mentation de la prime de risque,
explique Lorraine Quoirez, ana-
lyste chez UBS. Les valorisations
actuelles suggèrent des niveaux de
rentabilité bien inférieurs aux ambi-
tions du management des banques,
mais les multiples actuels restent
supérieurs à ce qu’on a pu voir pen-
dant la crise souveraine de 2011-


  1. » L’analyste considère que le
    moment demeure propice pour
    racheter certains « titres de qualité ».
    D’autres experts sont plus pessi-


Encore une semaine noire pour les banques en Bourse


Romain Gueugneau
@romaingueugneau

Le plongeon n’en finit plus. Les ban-
ques européennes ont subi une
deuxième semaine de forte baisse
en Bourse. Et les grands groupes
français font partie des principales
victimes. Vendredi, Société Géné-
rale a accusé une chute de 6 %, BNP
Paribas et Natixis de 5,5 %, et Crédit
Agricole d’un peu plus de 4 %.
Les a utres valeurs bancaires de la
zone euro ont également souffert,
mais dans une moindre mesure : les

Le secteur est l’une
des principales victimes
en Bourse des craintes liées
à l’épidémie de coronavi-
rus. Les banques françaises
comme BNP Paribas et
Société Générale ont
respectivement perdu 27 %
et 31 % en deux semaines.

mistes et alertent même sur les ris-
ques de crise de liquidité. « Il faut
faire très attention à ce qui se passe
actuellement, indiquent les analys-
tes d’ING dans une note publiée
vendredi. C’est une réminiscence de
ce que l’on a pu voir au début de la
crise financière [de 2008]. »
Si la situation n’est pas compara-
ble, notamment sur le plan de la
solidité des banques mais aussi des
liquidités à disposition, ces signaux
attestent néanmoins d’une pro-
fonde tension sur les marchés.n


  • 2 5 %


La baisse de l’indice
Euro STOXX Banks depuis
l’apparition des premiers cas
de coronavirus en Europe.

FINANCE & MARCHES


Les EchosLundi 9 mars 2020

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