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DIMANCHE 15 LUNDI 16 MARS 2020 coronavirus | 9
RÉCIT
C’
est une drôle de
campagne qui
s’achève. Chahutée,
bousculée, occultée.
Et dans la dernière ligne droite,
contaminée, elle aussi, par ce vi
rus qui ne cesse de gagner du ter
rain, y compris dans les esprits et
les cœurs. Jeudi soir, depuis l’Ely
sée, Emmanuel Macron, teint pâle
et cravate noire, a finalement an
noncé que le scrutin municipal
des 15 et 22 mars se tiendrait bien.
Folle, fiévreuse, assortie des scé
narios les plus extrêmes (le re
cours à l’article 16 de la Constitu
tion, qui aurait donné les pleins
pouvoirs au président), la rumeur
d’un report, envisagé au sommet
de l’Etat, avait enflé toute la jour
née. L’heure semble si grave, sou
dain, qu’entre les lignes, le chef de
l’Etat a invoqué Mitterrand
(« France unie ») et Clemenceau
(« Union sacrée »).
Juste avant de se rendre à l’Elysée
pour préparer avec Emmanuel
Macron cette adresse aux Français,
le premier ministre Edouard Phi
lippe avait fait savoir qu’il renon
çait à son dernier meeting, prévu
le soir même au Havre, où il est
candidat. « Salut les amis, encore
pardon de ne pas avoir été avec
vous au meeting, je me faisais une
fête », atil lancé dans une vidéo,
filmée dans la pénombre à Mati
gnon, et envoyée dans la nuit de
jeudi à vendredi à ses colistiers. « Je
serai au Havre demain soir, atil
ajouté, pour faire le point sur cette
campagne de premier tour qui a été
rendue compliquée par l’actualité
nationale. Mais c’est la vie! »
C’est la vie : à quelques jours du
premier tour des élections muni
cipales, les communiqués annon
çant l’annulation des dernières
réunions publiques sont tombés
en rafale, à Paris, Marseille, Bor
deaux, Toulouse, Montpellier...
Dans les départements soumis à
des consignes de confinement
strict, l’Oise ou le HautRhin, la
campagne s’était déjà brutale
ment figée, paralysée. Partout
ailleurs, des candidats inquiets
ont continué de sillonner les mar
chés en évitant de serrer les mains.
D’autres ont fait comme si de
rien n’était, alors même que sur
les plateaux de télévision, les
scientifiques ont peu à peu rem
placé les experts électoraux.
« Oui, c’est une drôle de campagne,
concède la députée La République
en marche (LRM) de l’Essonne,
Marie Guévenoux, en charge des
municipales au QG du parti prési
dentiel. Des maires font campa
gne en confinement et des candi
dats réunissent des salles à moitié
vides, sans que l’on sache si c’est à
cause d’eux ou du coronavirus. »
Une forte abstention redoutée
A la hâte, le ministère de l’inté
rieur a élaboré plusieurs circulai
res pour tenter de protéger le vote.
Incités à venir avec leur propre
stylo, les électeurs devront respec
ter une distance de sécurité de
1 mètre. Une « ligne de courtoisie »
sera tracée devant les tables et les
isoloirs. Les bureaux de vote dis
poseront également de lavabos
pour se laver les mains au savon.
Dans les Ehpad, les directeurs
pourront recueillir les procura
tions des personnes âgées. « Ce
n’est pas plus dangereux d’aller vo
ter que d’aller faire ses courses, il ne
faut pas que les gens paniquent! »,
soutient une ministre, qui encou
rage vivement les Français à se
rendre aux urnes dimanche.
Car, audelà des désagréments
des derniers jours, c’est l’absten
tion que l’on redoute le plus dans
les étatsmajors politiques. Selon
un sondage IFOP pour Charles.
co, publié lundi par le journal gra
tuit 20 minutes, 28 % des électeurs
sont susceptibles de ne pas aller
voter en raison de l’épidémie.
« On redoute une abstention plus
élevée que d’habitude des person
nes âgées », soupire un cadre
LRM, qui ne voudrait pas que le
parti présidentiel, ayant les fa
veurs des seniors, pâtisse trop de
ces défections.
Une inquiétude partagée, pour
les mêmes raisons de sociologie
électorale, aux sièges du parti Les
Républicains (LR) et du Rassem
blement national (RN). « L’an
goisse, la crainte peuvent pousser
des gens à renoncer à aller voter »,
a ainsi regretté Marine Le Pen, en
marge d’un déplacement à Lens,
le 29 février. Le leader des « insou
mis », JeanLuc Mélenchon, s’est
ému lui aussi d’une possible dé
saffection des urnes et de ses con
séquences. « On devine ce qui se
dessine, atil écrit dimanche
8 mars sur son blog. Le coronavi
rus va amplifier l’abstention. En
pleine pagaille épidémique, on
peut craindre un conservatisme
spontané et une méfiance à l’égard
du changement. » Les experts
électoraux ne lui donnent pas
tout à fait tort quand ils relèvent
que l’abstention devrait plutôt
conforter les maires sortants.
C’est la vie... Gênés ou empê
chés, les candidats ont cherché
des plans B ces derniers jours, ont
tenté d’innover. A Toulouse,
mardi soir, la candidate socialiste
Nadia Pellefigue a renoncé à son
meeting salle Mermoz, tout en in
vitant les Toulousains à suivre
l’événement sur les réseaux so
ciaux « depuis leur canapé ». Une
scène, un pupitre, des invités sur
prise et des soutiens politiques
assis au premier rang... mais pas
de public. A 22 heures, mardi, le
Facebook Live a été suivi par plus
de 6 000 internautes.
D’autres candidats ont choisi
de discourir sur le seuil de leur
permanence électorale ou sur
une place de la ville. En plein air,
malgré le froid, pour éviter la pro
miscuité dans un espace clos.
« Les candidats ne savent plus
trop à quel saint se vouer. Certains
militants ne veulent plus faire de
porteàporte ou aller sur les mar
chés », raconte le porteparole du
PS, Pierre Jouvet. Le cadre socia
liste note que les meetings,
quand ils sont maintenus, ne
font pas salle comble. « Le danger
n’est pas du tout intégré dans les
départements peu touchés par le
virus, comme dans le Sud, alors
que dans le BasRhin, par exem
ple, on sent les élus et militants
très inquiets », précise le premier
secrétaire du PS, Olivier Faure,
qui a sillonné le pays.
A Paris, la candidate LR, Rachida
Dati, a fait de la résistance. Pas
question pour celle qui talonne la
maire sortante (PS) Anne Hidalgo
dans les sondages de ne pas s’affi
cher sur scène comme prévu aux
côtés de Nicolas Sarkozy, dans la
soirée du 9 mars. Ignorant super
bement les « gestes barrières » re
commandés, l’ancienne garde
des sceaux ne s’est pas privée
d’embrasser l’ancien président,
sous les vivats des militants. Le
parti avait toutefois limité les en
trées à la réunion publique, afin
de respecter l’interdiction des
rassemblements de plus de 1 000
personnes. La salle Gaveau a
donc accueilli le nombre régle
mentaire, dont un aréopage de
ténors LR : Christian Jacob, Jean
François Copé, Henri Guaino ou
Bruno Retailleau. A droite, sem
blaientils signifier dans l’eupho
rie du moment, le coronavirus ne
passera pas.
Les retraites omniprésentes
Drôle de campagne, décidément.
Au sein de l’opposition, où l’on
tente tant bien que mal de con
vaincre les récalcitrants, les der
niers arguments employés sont
euxmêmes ambivalents, os
cillant entre esprit de concorde
nationale, exigée par la crise sani
taire, et critiques politiques à l’en
contre du gouvernement. Des cri
tiques relayées au cours des der
niers mois par la droite et la gau
che, arcboutées contre la
réforme des retraites. Bien avant
que le Covid19 n’entre dans la
danse, le projet de l’exécutif avait
déjà occulté en partie les enjeux
municipaux et l’intérêt pour le
scrutin.
Tandis que la gauche défilait
dans la rue contre la réforme, aux
côtés des syndicats, la droite mul
tipliait les contrepropositions. Le
RN s’est saisi, lui aussi, des retrai
tes pour mettre en scène son face
àface avec Macron. Mais le parti
de Marine Le Pen a également vu
sa campagne entravée par l’am
pleur prise par le sujet, qui a large
ment dominé le débat public cet
hiver. Prévue le 8 décembre à Pa
ris, la grande convention censée
lancer les municipales, en pré
sence de Marine Le Pen et d’une
nuée de maires et candidats RN, a
dû être reportée à la dernière mi
nute, pour cause de grève natio
nale. Le 12 janvier, à la tribune, les
lieutenants frontistes ont enfin pu
délivrer leur message : « La gestion
RN, ça marche. » Mais celuici a été
étouffé par de nouvelles annonces
d’Edouard Philippe sur les retrai
tes, à la veille de la convention du
RN. « C’est une campagne en faux
plat. Elle patine pour tout le monde
depuis le début, avant même que le
coronavirus fasse son apparition »,
constate le secrétaire d’Etat à la
fonction publique, Olivier Dus
sopt, qui a arpenté ces derniers
jours son fief de l’Ardèche.
Electrique depuis les « gilets jau
nes », le climat social a pesé sur la
campagne. Partout en France, des
candidats LRM ont été pris pour ci
ble par les opposants à la réforme.
« Entre les militants CGT et les “gi
lets jaunes” qui m’insultent quoti
diennement, il est très compliqué
de mener campagne », se désolait
fin février la députée (LRM) du Var
Cécile Muschotti, tête de liste à
Toulon, qui raconte ne pas pouvoir
faire de réunion avec son équipe
sans présence policière.
Un contexte éruptif
Tête de liste LRM à Clermont
Ferrand, Eric Faidy a lui aussi fait
les frais de ce contexte éruptif. Le
11 janvier, le candidat a même été
empêché de tenir une cérémonie
de vœux dans son local de cam
pagne, tant les cris des manifes
tants massés devant l’entrée
étaient puissants : « Salaud!
Facho! Collabo! » La députée
Agnès FirminLe Bodo, deuxième
sur la liste d’Edouard Philippe
au Havre, a été alpaguée une
heure durant sur un marché, le
1 er mars : « 49.3 », « coronavirus »,
lui ont lancé des « gilets jaunes ».
L’élue a porté plainte.
Fin février, le recours au 49.3 n’a
rien arrangé. La permanence
d’Edouard Philippe au Havre a été
vandalisée, peu après l’annonce
du gouvernement. Le lendemain,
c’était au tour du local de campa
gne du ministre des comptes pu
blics, Gérald Darmanin, à Tour
coing (Nord), où il se présente en
tête de liste, d’être tagué. « Norma
lement, une campagne, c’est une
fête. Ça galvanise, on voit plein de
gens, il y a une bonne ambiance...
Là, on est face à des gens qui veu
lent nous tabasser physiquement...
Comment on tolère ça? », se désole
une ministre.
La double crise, sanitaire et so
ciale, est venue bousculer un peu
plus un scrutin déjà compliqué à
lire et appréhender, avec une offre
politique touffue et éclatée, et des
alliances à géométrie variable.
Très peu implanté localement,
parti divisé dans de nombreuses
villes, dont Lyon et Paris, le jeune
parti majoritaire a oscillé entre la
droite et la gauche, au risque de la
confusion. Pour son premier
scrutin municipal, LRM affiche
donc des objectifs modestes : il
brigue 10 000 élus municipaux,
notamment grâce au soutien ap
porté à des maires sortants. Ceux
qui partent sous les seules cou
leurs du mouvement s’attendent
à « mourir nu, les armes à la
main », selon les mots d’un diri
geant LRM. « Dans certaines villes,
Mise en place des
bureaux de vote, à
La Roqued’Anthéron
(BouchesduRhône),
le 13 mars 2020. FRANCE KEYSER
« Normalement,
une campagne,
c’est une fête. Là,
on est face à des
gens qui veulent
nous tabasser... »,
se désole
une ministre
Du 49.3 au coronavirus, la folle
campagne des municipales
Meetings annulés, vote sous protection... le scrutin de dimanche
est complètement bousculé par la situation dans le pays
nos candidats sont testés à 5 %,
soupire le même. Bientôt on fera
moins que le Parti animaliste! »
A Paris, la campagne du parti
macroniste a pris un tour drama
tique mifévrier avec la chute
spectaculaire du candidat du pré
sident, Benjamin Griveaux, après
la diffusion d’une vidéo privée.
Mais son remplacement au pied
levé par l’exministre de la santé,
Agnès Buzyn, n’a pas suffi à re
donner espoir au camp d’Emma
nuel Macron.
Faute d’implantation locale, le
RN affiche également de faibles
ambitions pour les 15 et 22 mars,
hormis celle de conserver ses
mairies. Marine Le Pen préfère
préparer la présidentielle, à la
quelle elle s’est portée candidate
dès le 16 janvier, lors de ses vœux.
« On peut gagner autant de mai
ries, de régions. (...) Il n’y a qu’avec
une élection à la présidentielle
qu’on peut changer les choses », a
telle confié.
Au PS et à LR, relégués dans
« l’ancien monde » depuis l’arri
vée de Macron à l’Elysée, on mise
à l’inverse sur ce scrutin pour « se
refaire ». Très affaiblis, les socialis
tes espèrent garder leurs grandes
villes, Lille, Nantes, Rennes, et vil
les moyennes, tout en conqué
rant Nancy, Bourges ou Saint
Ouen (SeineSaintDenis). A LR,
on croit à la traditionnelle prime
aux sortants, en espérant conser
ver ses bastions, tout en gardant
dans son giron la plupart des vil
les conquises lors de la « vague
bleue » de 2014.
Le goût d’une revanche possible,
après les débâcles présidentielle et
européenne, a donné des ailes aux
candidats, qui ont continué à faire
campagne coûte que coûte, relati
visant l’impact des crises sanitaire
et sociale. Comme une horloge
bien réglée, le nouveau patron du
parti, Christian Jacob, a ainsi pour
suivi sa tournée des villes.
Une « vague verte » espérée
De leur côté, les écologistes sou
haitent confirmer le bon score
(13,5 %) obtenu aux européennes.
Ils espèrent gagner Rouen, Bor
deaux, Besançon, ou encore la
métropole lyonnaise, tout en sur
fant sur une éventuelle « vague
verte » qui leur permettrait de de
venir la force pivot d’une recom
position à gauche. Les communis
tes, eux, jouent leur survie, arc
boutés sur leurs bastions rouges,
comme SaintDenis (SeineSaint
Denis), IvrysurSeine (Valde
Marne) ou Montreuil (Seine
SaintDenis), en banlieue pari
sienne. Ils se prennent toutefois à
rêver d’une victoire au Havre, où
leur candidat JeanPaul Lecoq
pense pouvoir battre le premier
ministre Edouard Philippe.
A l’inverse, La France insoumise
n’a rien à perdre, rien à gagner
non plus : le parti de JeanLuc Mé
lenchon, qui a peu de sortants, a
décidé d’enjamber le scrutin. Il n’a
pas présenté de listes en son nom
propre, préférant soutenir des ini
tiatives citoyennes. JeanLuc Mé
lenchon a luimême reconnu
qu’il s’était « peu investi » dans ces
municipales, préférant occuper le
terrain des retraites.
Quoi qu’il en soit, l’annonce du
maintien du scrutin par Emma
nuel Macron, jeudi soir, a été ac
cueillie avec soulagement dans
les QG de campagne. « Surtout pas
de report, on est crevés! », soufflait
peu avant le secrétaire national
d’Europe EcologieLes Verts, Ju
lien Bayou. C’est la vie.
sarah belouezzane,
olivier faye,
alexandre lemarié,
abel mestre,
solenn de royer,
lucie soullier
et sylvia zappi
La candidate
socialiste Nadia
Pellefigue
a invité
les Toulousains
à suivre
son « meeting »
sur les réseaux
sociaux