Le Monde - 07.03.2020

(Grace) #1
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SAMEDI 7 MARS 2020 france| 15

Valls : « Je n’ai pas


rompu avec la


politique française »


L’ancien premier ministre, battu aux


municipales de Barcelone en 2018, dit


vouloir être « utile » à Emmanuel Macron


O


n le croyait exilé pour
toujours en Espagne,
où il avait décidé de
relancer sa carrière
politique. N’avait­il pas fait ses
adieux aux Français, en septem­
bre 2018, lorsqu’il avait quitté
son siège de député de l’Essonne
pour être candidat à la mairie de
Barcelone?
Mais cela, c’était avant. Après
s’être présenté sans succès aux
élections municipales dans la ca­
pitale catalane en mai 2019, Ma­
nuel Valls n’exclut pas un retour
politique : « Je ne manquerai ja­
mais d’être utile aux Français », a­
t­il déclaré dans un entretien au
Parisien, publié le 28 février, en
évoquant la possibilité qu’il serve
à nouveau sa « seule patrie ».
Un an et demi après avoir fran­
chi les Pyrénées, afin d’opérer
« un changement de vie politique
et personnel », l’ancien premier
ministre entend de nouveau faire
entendre sa voix dans le pays, où
il a accédé aux plus hautes fonc­
tions. « C’est d’abord le débat poli­
tique en France qui me passionne
car c’est ma vie », confie­t­il au
Monde. Avant d’affirmer : « Je ne
suis pas en exil, je n’ai pas disparu
et viens régulièrement à Paris. Je
n’ai pas rompu avec cette ville, ni
avec la politique française. »
Selon nos informations, il a
d’ores et déjà prévu d’intervenir
à un débat consacré à la question
du populisme, à l’Assemblée na­
tionale, le 28 mars, dans le cadre
de la Journée du livre politique.
Avant de participer, en avril, à un
colloque axé sur les questions de
l’islamisme et du Moyen­Orient,
en présence du politologue
Gilles Kepel.

Méthodique, l’ex­socialiste est
réapparu progressivement sur la
scène politique française, ces der­
nières semaines, en multipliant
les prises de position médiatiques.
A chaque fois sur ses thèmes de
prédilection. Mercredi 4 mars, ce­
lui qui a toujours été classé à la
droite de la gauche a ainsi signé
une tribune dans Le Figaro, intitu­
lée « L’antisémitisme et l’antisio­
nisme plus que jamais à combat­
tre ». Le 19 février, il avait déjà ap­
plaudi le plan de lutte contre le
« séparatisme islamiste », présenté
par Emmanuel Macron, la veille, à
Mulhouse (Haut­Rhin), en esti­
mant sur RTL que le chef de l’Etat
« pose le bon diagnostic » et « utilise
les mots justes ».
L’occasion de se poser une nou­
velle fois comme un partisan
d’une ligne de fermeté sur les su­
jets de la laïcité, du communauta­
risme et de l’islam politique. « Il y a
une constance et une cohérence
dans mes prises de position. Ce sont
des sujets qui m’intéressent et sur
lesquels je travaille toujours », sou­
ligne­t­il. Récemment, celui qui a
eu recours à plusieurs reprises au
49.3, lorsqu’il était à Matignon, a
également jugé « justifiée » et « en
aucun cas antidémocratique »
l’emploi de cet outil, utilisé par
l’exécutif le 29 février.
A chaque fois, il en a profité pour
réaffirmer sa loyauté envers
M. Macron, qu’il a soutenu dès


  1. Alors que leurs relations
    étaient polaires lors du précédent
    quinquennat, l’ex­premier minis­
    tre de François Hollande assure
    qu’elles sont désormais « apai­
    sées ». « Il y a eu des épisodes de
    grandes difficultés en 2016 et 2017,
    jusqu’à ma réélection à Evry aux lé­


gislatives. Mais, depuis, nos rap­
ports sont bons », confie­t­il, di­
sant avoir « des contacts réguliers »
avec le chef de l’Etat. M. Valls dit
aussi entretenir de « bonnes rela­
tions » avec le président de l’As­
semblée, Richard Ferrand, et avec
le patron des députés La Républi­
que en marche (LRM), Gilles Le
Gendre, ainsi qu’avec plusieurs
membres du gouvernement, no­
tamment les ex­socialistes Didier
Guillaume et Jean­Yves Le Drian,
mais aussi Gérald Darmanin ou
Jean­Michel Blanquer.

« Signal catastrophique »
De passage à Paris ces derniers
jours, il a multiplié les échanges
avec des responsables de la majo­
rité. De quoi alimenter l’idée qu’il
se positionnerait pour effectuer
un retour en Macronie, après
avoir siégé dans le groupe majori­
taire à l’Assemblée, au début du
quinquennat. Chez les fidèles
d’Emmanuel Macron, beaucoup
interprètent ses récentes petites
phrases comme une offre de ser­
vice à destination du chef de l’Etat,
dans l’espoir de faire son entrée au
gouvernement, lors d’un pro­
chain remaniement. Certains pa­

rient d’ailleurs pour une promo­
tion sur un portefeuille régalien, à
la défense, au quai d’Orsay ou plus
vraisemblablement à l’intérieur.
Une perspective plutôt bien per­
çue par plusieurs ministres, afin
d’incarner « la fermeté » et « con­
trer la droite et l’extrême droite »
avant la présidentielle de 2022. Si
l’Elysée et Matignon restent offi­
ciellement muets sur le sujet, cer­
tains membres de l’exécutif voient
d’un bon œil l’idée d’intégrer « un
profil d’expérience », dont « la pa­
role porte », dans une équipe en
manque de poids lourd. « On man­
que d’un Valls ou d’un Sarkozy, qui
certes clivent, mais au moins impri­
ment une volonté », juge un proche
de M. Macron. « Il peut apporter »,
tranche un ministre, issu du PS.
Un avis partagé au sein de la ma­
jorité. « Il est solide, juge le patron
du groupe MoDem à l’Assemblée
national, Patrick Mignola. Il a
l’atout d’avoir une image positive
à gauche, en incarnant la social­
démocratie, et, à droite, en étant
en pointe sur la sécurité et la laï­
cité. » La députée LRM Marie Gué­
venoux, proche de Matignon,
loue à son tour « quelqu’un de so­
lide et doté de courage ».

Mais d’autres estiment que son
entrée au gouvernement serait
« un signal catastrophique » pour
reconquérir les électeurs de gau­
che. « Quel serait le gain politique?
Il ne peut pas parler à un électorat
social­démocrate : il est lui­même
l’incarnation de cette rupture »,
tranche un pilier de la majorité. « Il
vaudrait mieux ajouter des élé­
ments de justice sociale et d’écolo­
gie à notre ligne idéologique, plutôt
que de faire du régalien sur une li­
gne autoritaire », prévient le dé­
puté LRM Aurélien Taché, figure
de l’aile gauche de la majorité.
Avant d’avertir : « Si Valls revenait
au premier rang et voulait pousser
ses orientations sur la laïcité ou

l’immigration, je ferai entendre une
autre voix. »
Prudent, Manuel Valls assure
que ses propos ne doivent pas être
interprétés comme un acte de can­
didature. « Je ne suis candidat à
rien. Je n’ai pas de plan », jure­t­il. Et
lorsqu’on l’interroge sur sa possi­
ble entrée au gouvernement, il
botte en touche : « C’est un choix
qui n’appartient qu’au président de
la République et au premier minis­
tre. » A l’entendre, il voudrait seule­
ment faire part de ses « réflexions »
sur ses thèmes­phares pour être
« utile ». « Je considère qu’à 57 ans je
ne suis pas totalement terminé. Et
que je peux apporter au débat », ju­
ge­t­il. Sans fermer aucune porte :
« Je n’exclus rien et ne sais pas de
quoi sera fait l’avenir. »
S’il entend accomplir son man­
dat de conseiller municipal à Bar­
celone, où il vit toujours, il inscrit
désormais son avenir politique
sur la scène politique française. Un
discours à rebours de ses engage­
ments passés. « Quoi qu’il arrive, je
resterai à Barcelone », avait­il as­
suré, en septembre 2018, en met­
tant les voiles vers la capitale cata­
lane. Déjà de l’histoire ancienne.
alexandre lemarié

Retraites : fin du marathon à l’Assemblée


Le projet de loi organique, qui impose l’équilibre financier du futur système, a été voté jeudi
sans les oppositions de gauche, puis sans Les Républicains, qui avaient quitté l’Hémicycle

L


e symbole est fort et le vote
inhabituel. Jeudi 5 mars,
l’examen en première
lecture de la réforme des retraites
s’est achevé à l’Assemblée natio­
nale, en l’absence de la plupart des
oppositions. Le deuxième volet de
ce vaste chantier – le projet de loi
organique – a été adopté par
98 voix pour et 1 contre, celle de la
députée non inscrite d’extrême
droite Emmanuelle Ménard. A
quelques heures d’intervalle, les
élus de gauche puis ceux étiquetés
Les Républicains (LR) avaient
quitté l’Hémicycle pour dénoncer
les conditions dégradées du dé­
bat – synonyme, à leurs yeux, de
« mascarade » et de « bal masqué ».
Les discussions sur cette
réforme, contestée par une majo­
rité de l’opinion, mais fondamen­
tale pour Emmanuel Macron, ont
pris fin dans un climat de tensions
analogue à celui qui avait prévalu
lors des travaux sur le premier
volet, le projet de loi ordinaire. La
lecture de ce texte avait été ralen­
tie par une montagne d’amende­
ments : environ 41 000, émanant
presque aux neuf dixièmes de La
France Insoumise (LFI) et des com­
munistes. Le débat étant « rendu
impossible », selon les mots du
premier ministre, Edouard Phi­
lippe, le gouvernement avait
recouru à l’article 49.3 de la Cons­

titution, qui permet de faire pas­
ser un texte sans vote, sauf si une
motion de censure est adoptée.
Après cet épisode qualifié de
« déni de démocratie » par la
gauche, Jean­Luc Mélenchon, le
leader des « insoumis », avait pro­
mis de ne « rien lâcher » pendant la
lecture du projet de loi organique,
engagée mercredi après­midi.

« On se lève et on se barre »
Finalement, la bataille a tourné
court. Les députés LFI, commu­
nistes et socialistes sont sortis de
l’Hémicycle, jeudi, en fin de mati­
née, pour protester contre l’atti­
tude de la rapporteuse de La Ré­
publique en marche, Cendra
Motin, et du secrétaire d’Etat aux
retraites, Laurent Pietraszewski :
tous deux avaient décidé d’inter­
venir très brièvement sur les
amendements de la gauche qui
ne portaient pas sur le « fond » du
projet, selon Mme Motin.
« Nous nous retrouvons dans
une chambre d’enregistrement
face à un gouvernement qui res­
semble à un répondeur automati­
que », s’est indignée Clémentine
Autain (LFI, Seine­Saint­Denis).
Avant de conclure : « Il est temps
de tirer le rideau : ça suffit! Pour re­
prendre les termes de (...) Virginie
Despentes, nous aussi “On se lève
et on se barre”. » Une allusion à

une tribune de l’écrivaine récem­
ment publiée par Libération.
Peu avant la fin des débats, les
députés LR ont également plié ba­
gage, regrettant qu’aucun « vote
solennel » ne soit organisé sur
l’ensemble du texte. « A aucun
moment, vous [ne l’aviez]
demandé », a rétorqué Marc
Fesneau, ministre en charge des
relations avec le Parlement.
Le projet de loi organique, ap­
prouvé jeudi, est très important,
car il pose le principe d’une « règle
d’or » pour empêcher que le futur
système universel n’accumule les
déficits. Le gouvernement entend
en effet fixer une trajectoire plu­
riannuelle d’équilibre financier
par tranches de cinq ans. La gau­
che y voit une mesure « austéri­
taire », de nature à faire baisser les
pensions, tandis que la droite,
elle, la juge peu contraignante. Par
ailleurs, le texte prévoit que les
lois de financement de la Sécurité
sociale pourront, à l’avenir, se
pencher sur le sort des régimes
complémentaires de retraite, ce
qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Dans les quelques amende­
ments votés au cours des débats,
il y en a un, porté par Thierry
Benoit (UDI, Ille­et­Vilaine), qui
est passé contre l’avis de la
rapporteuse et du gouverne­
ment : la disposition en question

« tend à soumettre les membres du
Conseil constitutionnel au droit
commun », a expliqué M. Benoit :
« Ainsi, ils ne pourraient plus
cumuler emploi et pension de
retraite (...). »
La fin de la première lecture à
l’Assemblée nationale ne consti­
tue qu’une étape pour cette ré­
forme. Le Sénat doit s’en emparer
au mois d’avril. Gérard Larcher,
son président, a d’ores et déjà de­
mandé un report de deux semai­
nes de l’examen du texte, afin de
pouvoir y intégrer les conclu­
sions de la conférence de finance­
ment qui se tient actuellement
entre partenaires sociaux. Elle
doit notamment identifier des
solutions pour résorber en 2027
le déficit des caisses de retraite,
prises dans leur globalité.
Les deux textes – ordinaire et or­
ganique – reviendront ensuite au
Palais­Bourbon : si le débat s’en­
lise, le gouvernement pourra, une
fois de plus, employer le 49.3 –
mais uniquement sur le projet de
loi ordinaire. « J’espère que cette
nouvelle lecture se déroulera dans
des conditions normales », confie
Guillaume Gouffier­Cha, le rap­
porteur général à l’Assemblée, qui
compte sur des « discussions nour­
ries » pour améliorer la réforme.
bertrand bissuel
et manon rescan

Manuel Valls
et Emmanuel
Macron, lors de
l’inauguration
du Centre
européen
du judaïsme,
en octobre
2019, à Paris.
IAN LANGDSON/AFP

« On manque
d’un Valls
ou d’un Sarkozy,
qui certes clivent,
mais au moins
impriment une
volonté », juge un
proche de Macron

M U N I C I PA L E S
Heurts au meeting
d’Edouard Philippe
au Havre
Des heurts ont éclaté dans la
soirée du jeudi 5 mars entre
manifestants et forces de l’or­
dre, près de la salle des fêtes
du Havre où s’est tenue la
troisième réunion publique
d’Edouard Philippe, candidat
aux élections municipales.
Plus de 300 manifestants
s’étaient rassemblés à l’appel

d’une intersyndicale pour
protester contre la réforme
des retraites et la décision du
gouvernement d’utiliser l’ar­
ticle 49.3 pour adopter le
texte. Les forces de l’ordre ont
fait usage de grenades lacry­
mogènes en réponse à des
jets de chaises, d’œufs, de to­
mates et de farine. Les accès
à la salle de réunion du pre­
mier ministre avaient été blo­
qués à la circulation par des
barrières de sécurité. – (AFP.)

Chaque
dimanche
16H-17H

Aurélie
Luneau

L’esprit
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