Le Monde - 04.03.2020

(Brent) #1

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PLANÈTE


MERCREDI 4 MARS 2020

0123


La politique de prise en charge évolue


Avec la diffusion en France du nouveau coronavirus, l’hospitalisation des patients sera réservée aux cas graves


L’

hospitalisation ne sera
bientôt plus un passage
obligé pour les patients
infectés par le coronavi­
rus. Avec l’augmentation rapide
du nombre de cas en France (191,
selon le dernier décompte du mi­
nistère de la santé), les hôpitaux
parisiens sont en train de changer
leur angle d’attaque. Lors d’une
réunion dimanche 1 er mars,
l’AP­HP et l’Agence régionale de
santé d’Ile­de­France ont élaboré
de nouvelles recommandations
pour la prise en charge des mala­
des. Avec trois objectifs : limiter la
mortalité induite par le Covid­19,
limiter les conséquences pour les
autres malades d’une éventuelle
désorganisation du système de
santé et protéger les soignants.
« On ne pourra probablement
pas hospitaliser tous les patients.
On ne gardera que ceux qui ont des
critères de sévérité, [avec, pour les
autres,] un confinement à domi­
cile », explique le professeur
Xavier Lescure, infectiologue à
l’hôpital Bichat. Maintenant que
le virus a commencé à circuler, un
afflux de cas est attendu dans les
prochaines semaines. « La mala­
die est tellement transmissible
qu’elle impactera de façon assez
forte le système de santé », estime
le médecin, en précisant que « la
mobilisation des médecins généra­
listes » est un élément « majeur »
de la prise en charge.

Des tests en flux tendus
Le « bon usage » des tests de dépis­
tage est aussi questionné. « On est
en flux tendu. Il n’y a pas de pro­
blème de stock, mais de nombre de
laboratoires qui peuvent réaliser le
test, explique­t­il. On va probable­
ment devoir arrêter de faire des
tests pour toutes les suspicions, car
on ne va pas y arriver. » Dans les hô­
pitaux de l’AP­HP, l’examen – qui
consiste à identifier la présence du
virus dans un prélèvement nasal –
sera réservé aux cas les plus sévè­
res, aux malades déjà hospitalisés

pour d’autres raisons et aux soi­
gnants. Environ 1 500 tests peu­
vent être réalisés chaque jour par
les laboratoires français, selon la
direction générale de la santé
(DGS), mais il n’existe pas encore
de tests dits « rapides » qui pour­
raient être utilisés « au chevet des
patients » pour dépister le virus.
En attendant l’officialisation des
nouvelles consignes, les hôpitaux
gèrent au mieux l’embouteillage.
« Mes lits sont occupés par des

malades qui n’ont rien », s’agace
Eric Caumes, chef de service des
maladies infectieuses et tropicales
de l’hôpital de la Pitié­Salpêtrière, à
Paris. « Vous imaginez l’absurdité?
Vous mobilisez des lits d’hôpitaux à
1 400 euros par jour pour isoler des
gens qui n’ont rien et, pendant ce
temps­là, des malades graves ne
peuvent pas être pris en charge.
Autant leur payer le Crillon, cela
coûtera moins cher à la société », lâ­
che l’infectiologue, selon qui il est
« illusoire » de vouloir arrêter la
propagation du virus en confinant
ainsi les patients. « Il vaut mieux
qu’ils restent chez eux », estime­t­il.
Des cas confirmés, à qui une
hospitalisation a été proposée,
ont opté pour cette solution. Pour
les personnes peu symptomati­
ques, le traitement n’est pas spéci­
fique, essentiellement du paracé­
tamol pour lutter contre la fièvre
et les douleurs musculaires. Ainsi,
l’hospitalisation systématique
« est une réponse à une peur pani­
que, juge Eric Caumes. Or ce que je
vois pour l’instant, ce sont surtout

des rhumes, même s’il peut y avoir
des cas graves ».
La situation est très différente
dans les régions peu ou pas im­
pactées par l’épidémie. A Tours,
par exemple, il est toujours prévu
d’hospitaliser les patients infec­
tés, mais aucune consigne n’a été
donnée quant à la durée de ce
confinement.

Démarrage des essais cliniques
Comme à Paris, les soignants de
Tours ont déjà en tête l’étape
d’après. « Des patients qui ne relè­
vent pas d’une hospitalisation,
mieux vaut les laisser à la maison,
confirme Adrien Lemaignen, spé­
cialiste de maladies infectieuses
au CHU de Tours. On craint tous ce
qui s’est passé à Wuhan où cela a
explosé très rapidement, car les
capacités hospitalières ont été dé­
bordées avec beaucoup de conta­
minations dans les hôpitaux. »
Au CHU de Rennes, quatre per­
sonnes infectées ont été hospitali­
sées et isolées au cours du week­
end. Deux sont de retour de

voyage, et deux autres sont liées
aux chaînes de transmission déjà
identifiées dans l’Oise, la Haute­
Savoie et le Morbihan. « Elles vont
bien », indique Pierre Tattevin,
chef du service des maladies infec­
tieuses, qui s’attend lui aussi à une
évolution rapide des consignes
nationales. « Les premières semai­
nes, cette stratégie nous a permis
de gagner du temps, mais quand il
y a beaucoup de cas, cela n’a plus de
sens », considère­t­il. A l’hôpital,
les cas suspects sont prélevés

deux fois par jour, avec une capa­
cité de 30 à 40 tests quotidiens.
A l’avenir, cet outil diagnostique
servira à orienter les soins et éli­
miner d’autres causes possibles
d’infections respiratoires comme
la grippe. Des médicaments sont
en cours d’évaluation, mais en rai­
son de leur toxicité, ils doivent
être « réservés aux patients dont la
cause de l’infection est certaine »,
explique Pierre Tattevin.
Une combinaison de plusieurs
antiviraux (lopinavir, ritonavir et
ribavirine) peut être utilisée sous
la responsabilité du médecin
prescripteur, car ces molécules
sont déjà autorisées pour le traite­
ment du VIH et de l’hépatite. Le
remdesivir, une molécule encore
en développement, a déjà été ad­
ministré aux patients en réanima­
tion après autorisation de l’Agence
nationale du médicament. Selon
nos informations, un essai clini­
que devrait être mis en place dès la
fin de la semaine pour évaluer l’ef­
ficacité de ces médicaments.
chloé hecketsweiler

Des tests de
dépistage
étaient
en cours,
lundi 2 mars,
à l’école
Jean­de­la­
Fontaine
de Crépy­en­
Valois (Oise).
FRANCOIS NASCIMBENI
/ AFP

« ON CRAINT TOUS CE QUI 


S’EST PASSÉ À WUHAN, OÙ 


LE NOMBRE DE MALADES A 


EXPLOSÉ, AVEC BEAUCOUP 


DE CONTAMINATIONS 


DANS LES HÔPITAUX »
ADRIEN LEMAIGNEN
CHU de Tours

Les médecins généralistes inquiets et mal informés


Alors que le matériel de protection manque, les praticiens de premier recours soulignent la faible réactivité des autorités de santé


A


partir du mardi 3 mars
dans les zones à risque, et
d’ici à la fin de la semaine
dans le reste du pays, chaque pro­
fessionnel de santé libéral pourra
se rendre dans une pharmacie
pour retirer un premier lot de
50 masques antiprojection, sur
présentation de sa carte profes­
sionnelle. Cette distribution de dix
millions de masques chirurgicaux
issus des stocks stratégiques de
l’Etat, décidée le 26 février par le
ministre de la santé, Olivier Véran,
est jugée tardive, voire insuffi­
sante, par des médecins de ville
inquiets de se retrouver démunis
dans la prise en charge de l’épidé­
mie de coronavirus.
« Les médecins se rendent compte
que le passage en phase épidémi­

que est imminent et qu’on n’est pas
tout à fait prêts, que les consignes
ne sont pas explicites pour l’ins­
tant », constate Jacques Battistoni,
le président de MG France, le pre­
mier syndicat de généralistes. A la
Fédération des médecins de
France, Jean­Paul Hamon estime
que « l’absence de protections
(masques, lunettes, blouses) est un
message désastreux envoyé à la
médecine de premier recours. Etre
sans moyens énerve l’ensemble des
médecins généralistes ».
Parmi les griefs des praticiens :
l’arrivée tardive des masques chi­
rurgicaux alors que, lundi soir,
191 cas de contamination avaient
été recensés en France, et l’impos­
sibilité pour les médecins de ville
de se procurer des masques dits

« FFP2 » avec « bec de canard » et du
gel hydroalcoolique. Certains re­
grettent également le manque de
conseils clairs sur la façon de pren­
dre en charge les malades bénins
sans risquer d’être contaminé et
de propager ensuite le virus.
A Grenoble, Erwan Marsal, mé­
decin généraliste dans un cabinet
de groupe, a ainsi le sentiment
d’avoir été « abandonné » par les
pouvoirs publics. Lundi après­
midi, il ne savait pas, par exemple,
à combien de masques il allait
avoir droit, ni à quelle échéance.
« La grosse pharmacie du quartier
n’est au courant de rien », dit­il. Et
sans gel hydroalcoolique ni mas­
que de protection à proposer aux
quelque 120 patients qui poussent
chaque jour la porte du bâtiment

où il exerce au côté de plusieurs
autres professionnels de santé, sa
salle d’attente pourrait devenir
« un lieu à haut risque ». Pour le pra­
ticien, « il serait peut­être temps de
penser à ouvrir des lieux de consul­
tation comme des gymnases. On a
l’impression que les autorités réa­
gissent au cas par cas. On est dans
le flou, on ne sait pas où on va... »

« Manutention colossale »
A plusieurs centaines de kilomè­
tres de là, dans l’Oise, où 64 pa­
tients ont été contaminés par le
coronavirus, selon le décompte de
lundi soir, Philippe Véron, le prési­
dent du conseil départemental de
l’ordre des médecins, est très re­
monté. Depuis quelques jours, le
standard de l’ordre « explose », as­

sailli par des médecins en quête de
réponses sur la marche à suivre.
« Il n’y a pas vraiment d’informa­
tions cohérentes, on se sent un peu
livrés à nous­mêmes », assure­t­il.
Le médecin, qui exerce à Tracy­
le­Mont, a certes reçu quelques
heures plus tôt via l’Agence régio­
nale de santé (ARS) une dotation
« symbolique » de cinquante mas­
ques chirurgicaux, qui doivent
être utilisés par deux, tandis que
le patient doit lui­même en utili­
ser un. « Mais dans deux jours, il
n’y en a plus, dit­il. Et tout ce qui est
lunettes, blouses, masques de pro­
tection FFP2, il ne faut pas compter
dessus. L’ARS a démissionné sur le
terrain... On s’est même posé la
question de fermer complètement
nos cabinets pour une durée limi­

tée jusqu’à ce qu’on soit livrés en
masques FFP2. »
Si elle dit comprendre l’« at­
tente » des médecins, Carine Wolf­
Thal, la présidente du conseil de
l’ordre national des pharmaciens,
rappelle que la répartition des dix
millions de masques depuis les
stocks de l’Etat a demandé ces der­
niers jours une « manutention co­
lossale » et a représenté une « opé­
ration logistique d’envergure ».
Pour pallier la pénurie de solu­
tions hydroalcooliques dans les
pharmacies, elle annonce avoir de­
mandé au cabinet d’Olivier Véran
de prendre un arrêté permettant


  • pour une durée temporaire – aux
    officines en mesure de le faire de
    pouvoir fabriquer ces solutions.
    françois béguin


É P I D É M I E D E C O V I D ­ 1 9


Le préfet de l’Oise confiné


Le préfet de l’Oise, Louis Le Franc, a été placé à l’isolement di-
manche. Il « n’a pas encore été testé, mais il est confiné par me-
sure de précaution parce qu’il a côtoyé le maire [de Crépy-en-Va-
lois, touché par le SARS-CoV-2] », a déclaré lundi 2 mars la
préfecture de l’Oise, confirmant une information du Courrier
picard. Le sous-préfet de Senlis est également confiné, tout
comme le directeur de l’Agence régionale de santé (ARS) des
Hauts-de-France, Etienne Champion, et son directeur de cabinet.
Le préfet de l’Oise avait rencontré vendredi 28 février le ministre
de la santé, Olivier Véran. Au cabinet de M. Véran, on rassure tou-
tefois que « le ministre s’est protégé préventivement durant tous
ses déplacements et n’a serré la main de personne ».
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