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SAMEDI 22 FÉVRIER 2020 france| 11
A Lyon, un « choc de la
construction » qui fait débat
Les projections démographiques annoncent 150 000 habitants
supplémentaires dans dix ans, dans la métropole
A Nice, où se loger est un casse
tête, la question reste éludée
La cinquième ville de France perd ses classes moyennes, contraintes
d’aller vivre plus loin, aggravant ainsi les problèmes de transport
nice correspondante
T
racts et débats, à Nice, se
focalisent sur l’écologie et
les transports, laissant le
logement dans l’angle mort de la
campagne. Une situation
d’autant plus difficile à compren
dre que, selon le constat de la Fon
dation AbbéPierre, les AlpesMa
ritimes sont le département où il
est le plus difficile de se loger en
France. « C’est un endroit souvent
perçu comme riche, mais à tort »,
assure Florent Houdmon, direc
teur régional de la Fondation
AbbéPierre. « Le taux de pauvreté
est plus élevé que la moyenne na
tionale, avec des logements hors
de prix. » Résultat : le taux d’effort
(la part du revenu des ménages
consacrée au logement) dans le
département est le plus élevé de
France, devant Paris.
Alors que 70 % de la métropole
niçoise est éligible au parc social,
elle joue les mauvais élèves : l’Ins
titut Montaigne, qui a étudié et
comparé plusieurs données des
onze plus grosses villes de France
à l’approche des municipales, a
conclu que Nice était celle qui
comptait à la fois le moins de lo
gements sociaux (12,7 %) et le plus
de logements vacants (13,3 %).
La cinquième ville de France
perd donc ses classes moyennes,
obligées d’aller vivre dans les vil
lages alentour, créant des trajets
domiciletravail supplémentai
res et aggravant les problèmes
liés au transport. Florent Houd
mon déplore « l’absence totale de
débat sur l’encadrement des loyers
et la création de logements
sociaux... », à Nice, même en pé
riode électorale.
Propositions clivantes
Alors que la mairie de Cannes
(LR) a bloqué, en janvier, quatre
opérations immobilières d’inves
tisseurs qui voulaient transfor
mer des immeubles d’habitation
en meublés de tourisme, et que
ses candidats à l’élection débat
tent du poids des résidences se
condaires dans la ville, les Niçois,
eux, font pour l’instant l’impasse.
Contactés par Le Monde, la plu
part des candidats expliquent ce
silence par le calendrier politique
et assurent avoir livré en priorité
leurs propositions sur les théma
tiques « vertes », « vraie priorité
politique » de cette campagne.
Toutes les listes ont été interro
gées sur leurs engagements en
termes de logement. Seules celles
de gauche ont répondu. On y
trouve des propositions clivan
tes, comme dans le programme
de l’équipe Viva! Nice 2020 (PCF,
Ensemble !, Génération.s, LFI) la
préemption systématique, par la
mairie, des terrains et immeu
bles à vendre pour atteindre les
25 % de logements sociaux obli
gatoires. Nice écologique (EELV)
met l’accent sur l’encadrement
de la pratique de la location tou
ristique de type Airbnb (Nice fi
gure parmi les trois villes ayant
reçu les plus importants mon
tants de taxe de séjour de la part
d’Airbnb, avec 1,8 million perçu,
entre janvier et octobre 2019) et
propose d’instaurer une politi
que d’encadrement des loyers.
Patrick Allemand, opposant so
cialiste à Christian Estrosi (LR), le
maire sortant, suggère de créer
« 1 700 logements sociaux par an »
et « d’améliorer ceux qui existent
déjà ». Car, assure le candidat,
« les locataires peuvent attendre
cinq mois pour qu’on répare une
fuite d’eau! » Les autres candidats
principaux, dont M. Estrosi et
Philippe Vardon (RN), n’ont pas
souhaité répondre aux sollicita
tions du Monde sur ce sujet.
Selon Florent Houdmon, l’ab
sence de débat aux municipales
peut s’expliquer par « un manque
de courage politique » mais sur
tout « une confusion de l’électorat
quant à qui est compétent sur
quoi : le logement n’est pas vu
comme une compétence des mai
res et ceuxci entretiennent parfois
euxmêmes la confusion, quand
ça les arrange ».
sofia fischer
A Nantes, l’élan vert tempère
les ardeurs bâtisseuses
Les préoccupations écologiques teintent le programme
des candidats à la mairie, sur fond d’émergence d’EELV
nantes correspondant
L’
heure est au vert, à Nan
tes. Et tant pis si cela fait
quelques projets de loge
ments en moins. Mercredi 5 fé
vrier, Johanna Rolland, la maire
PS, qui brigue un second man
dat, a fait part de sa volonté de
créer un vaste « parc nourricier »
- mêlant vergers, jardins maraî
chers et ferme urbaine – en lieu
et place du centre hospitalier
universitaire (CHU), au cœur de
la ville, qui doit déménager à
l’horizon 2026. En 2005,
Mme Rolland préférait évoquer
l’implantation de logements et
de commerces, sur ce terrain.
Ce site de 10 hectares aiguise
l’appétit des promoteurs, dans
une métropole sujette à une
flambée des prix. Selon la cham
bre des notaires de LoireAtlanti
que, le prix médian d’un apparte
ment ancien a atteint 3 110 euros
du m² en 2019, soit un bond de
9,4 %, et celui d’un logement
neuf, 4 330 euros/m² (+ 5,5 %).
Défendant le projet d’un quar
tier fluvial pourvu de logements
sur le site du CHU, Laurence Gar
nier, élue LR, fustige la « mesure
d’affichage » de Mme Rolland. La
chef de file de l’opposition mar
tèle son intention « de poursui
vre les programmes de construc
tion ». Pour autant, Mme Garnier
n’est pas insensible à l’air du
temps : elle entend veiller « à pré
server l’identité des quartiers » et
souhaite battre en brèche, à l’ins
tar de toutes les équipes en lice,
« l’hypermétropolisation ».
« Il faut cesser de vouloir une
ville qui croît à toutva, mettre fin
à la politique d’attractivité et à
l’emballement », expose ainsi
Margot Medkour, 28 ans, soute
nue par La France insoumise.
« Gentrification »
Vraie menace électorale pour
Mme Rolland, Julie Laernoes
(EELV), qui a fait partie de la ma
jorité durant le mandat écoulé,
fustige « la gentrification de Nan
tes » et « le manque de vision » de
la maire sortante, lors de ses an
nées à la mairie : « On fait la
danse du ventre devant les pro
moteurs en se basant sur la vieille
rhétorique keynésienne selon la
quelle plus il y a d’offres, plus les
prix baisseront. Sauf que non
seulement on construit à marche
forcée, mais, en plus, les prix s’en
volent. » Selon Mme Laernoes,
« l’exemple criant » de cette pro
blématique, « c’est le projet Yello
Park », programme qui, avant
d’être stoppé à l’automne 2018,
prévoyait un nouveau stade
pour le FC Nantes adossé à une
vaste opération immobilière.
Pas question « de mettre la ville
sous cloche », rétorque cepen
dant Mme Rolland. Le territoire,
faitelle valoir, a « une chance
inouïe : on est la seule métropole
en France à avoir un potentiel de
200 hectares à l’intérieur du péri
phérique ». Mme Rolland prévoit
5 000 nouveaux logements so
ciaux (la ville en compte déjà
plus de 41 000, soit un taux de
27 %), 3 000 autres en accession à
la propriété et 2 000 pour le
marché locatif.
L’édile envisage aussi de met
tre en place un office foncier
libre – si la proposition de loi qui
doit le permettre est votée –,
afin de proposer aux classes
moyennes « des habitations à
des prix inférieurs de 20 % à 40 %
à ceux du marché », en misant
sur la dissociation de la pro
priété des murs de celle du ter
rain, le foncier restant « dans les
mains de la puissance publique ».
L’équipe LRM de Valérie Oppelt
entend, de son côté, réviser à la
baisse le parc HLM « tout en res
pectant la loi ». Selon elle, le fi
nancement de ce type de loge
ments « induit une hausse des
prix sur le marché libre ».
Les candidates LFI et EELV
prônent un encadrement des
loyers. Elles souhaitent que la
ville exerce son droit de
préemption et militent pour le
développement de coopératives
immobilières chargées de ra
cheter des logements et de les
ouvrir à la location à prix modé
rés. Enfin, Mme Laernoes veut fa
voriser « une logique de modula
rité des habitations », permet
tant d’échanger des pièces, en
fonction des besoins : « Il faut
baisser le nombre de mètres car
rés utilisés par habitant, 30 m²
par personne suffisent. »
yan gauchard
NICE EST LA VILLE QUI
COMPTE À LA FOIS
LE MOINS DE LOGEMENTS
SOCIAUX (12,7 %) ET
LE PLUS DE LOGEMENTS
VACANTS (13,3 %)
lyon correspondant
A
la fin du mois de janvier,
un studio de 9,5 m² a été
mis en vente pour
95 000 euros, dans le quartier
bobo de la CroixRousse, à Lyon
(4e arrondissement). Le franchis
sement du seuil symbolique des
10 000 euros par mètre carré a
enflammé le débat sur le loge
ment, alors que le thème restait
en retrait dans la campagne élec
torale de la deuxième métropole
de France, derrière la transition
écologique et la sécurité.
Le chiffre a fait l’effet d’un si
gnal d’alerte, dans une région
encore préservée, où le prix de
l’immobilier augmente. Le prix
de vente médian du mètre
carré, pour un appartement an
cien, a atteint 4 470 euros
(+ 11,5 %) au troisième trimestre
2019 dans la ville de Lyon, selon
les chiffres des notaires. Mais le
niveau moyen des loyers, de
11,40 euros le mètre carré, reste
bien en dessous de Paris
(18,7 euros) ou même Marseille
(12,1 euros), selon l’observatoire
local des loyers.
Les deux « frères ennemis » qui
briguent la présidence de la mé
tropole, Gérard Collomb (LRM)
et David Kimelfeld, macroniste
entré en dissidence, se sont vite
positionnés sur ce sujet. M. Ki
melfeld, président sortant, a
immédiatement diffusé un
communiqué pour dénoncer le
prix de vente de ce studio, sous
le titre : « Je ne serai pas le prési
dent [de la métropole] des
10 000 euros le mètre carré. » Il
avait déjà utilisé ce slogan, le
30 septembre 2019, en présen
tant la création d’un organisme
foncier solidaire. L’outil permet
à la collectivité d’effectuer des
acquisitions foncières, ce qui
limite la hausse des prix des ter
rains et, par ricochet, le coût de
revient des logements. « Il faut
faire en sorte que la ville soit
accessible au plus grand nombre,
en portant une attention particu
lière à la classe moyenne », a
insisté l’élu.
M. Kimelfeld, troisième dans
les sondages, pour marquer sa
différence avec le favori M. Col
lomb, multiplie les mesures
sociales et solidaires en matière
de logement notamment. Dans
son programme, il ambitionne
de « produire 5 000 logements in
termédiaires sur six ans, aux
loyers de 20 % à 30 % en dessous
des prix du marché ».
Egalité géographique
Les projections démographi
ques reprises par tous les candi
dats annoncent 150 000 habi
tants supplémentaires d’ici dix
ans. Conséquence : le rythme
actuel de 11 358 logements
construits par an risque de ne
pas suffire. Dans son pro
gramme, M. Collomb joue de la
réputation de constructeur ac
quise au cours de ses trois man
dats de maire. « Nous augmente
rons notre production de loge
ment de 20 % pour répondre à la
demande comme à la montée
des prix de l’immobilie », assure
til. L’ancien ministre de l’inté
rieur utilise exactement la
même formule que son rival et
propose un « choc de l’offre ».
M. Kimelfeld fixe « l’objectif glo
bal de production de 50 000 loge
ments d’ici à 2026 » et surenché
rit dans la lutte contre la prolifé
ration des locations touristiques
en annonçant « une brigade de
contrôle Airbnb ».
La gauche, à Lyon, n’est pas en
reste. Renaud Payre, tête de liste
de la gauche unie pour la métro
pole, a choisi le quartier popu
laire de la Guillotière pour sa
première sortie de campagne, le
24 janvier. Au pied des immeu
bles vétustes ou abandonnés, le
directeur de Sciences Po a plaidé
pour l’égalité géographique par
la production de « 6 000 loge
ments sociaux par an ».
Sur 625 860 résidences princi
pales, dont environ 80 % de loge
ments collectifs, on compte
162 513 logements sociaux dans
l’ensemble des 59 communes de
la métropole de Lyon. Le taux de
25,17 % de logements sociaux a
tendance à progresser, mais la si
tuation reste sous tension, puis
que 70 575 demandeurs de loge
ments sociaux étaient en attente
au 31 décembre 2019.
Le « choc de la construction »
n’est cependant pas du goût de
tous. La deuxième place, dans les
sondages, revient au candidat
écologiste Bruno Bernard. Et du
côté d’Europe Ecologie les Verts,
la densification du bâti n’est pas
au programme.
richard schittly