ronds-points. Un an et demi après le 17 novembre 2018,
le fameux premier « acte » des « gilets jaunes », Véronique
Scherrer est de retour dans la rue pour batailler, cette
fois, contre la réforme des retraites. Avec 23,4 % de chô-
mage à Béziers, 17,7 % dans tout l’Hérault en 2016, « c’est
très difficile ici. On trouve du boulot pendant les périodes
estivales, dans la restauration ou les melons ». Il faut alors
accepter les heures à gogo pour un salaire de misère.
Surtout avec cinq enfants, dont deux encore à la maison.
« Hou là », grimace Marie-France Almecija à ses côtés.
« Ouais, j’aurais jamais dû, j’ai les boules pour eux! »,
réplique Véronique.
Sans emploi à 47 ans, elle ose à peine imaginer s’il arri-
vait « quelque chose » à son mari chauffeur de bus. Ou
plutôt, elle l’imagine un peu trop : « On deviendrait
S D F. » Elle tente bien de se raisonner, mais la peur du
lendemain ne la quitte plus. « Sans déconner, je me
douche dans le noir pour faire baisser la facture. Mon
mari m’engueule, mais je peux pas m’en empêcher. » Alors
si elle défile avec son gilet fluo, « c’est pas pour faire
chier, mais il me reste quoi? ». En misant sur un « chan-
gement », Véronique a voté Le Pen à la dernière prési-
dentielle. « Mais là, je sais pas... » Sa camarade Marie-
France Almecija, elle, a tranché. Le soir même de la
manif, la quinqua en invalidité a ôté son gilet jaune
pour rejoindre le lancement de la campagne des muni-
cipales de Robert Ménard. Elle vote pour lui désormais,
même si le maire n’a pas évoqué une seule fois, ce soir-
là, les problèmes de fin de mois : « La ville a tellement
changé, on retrouve nos fêtes d’avant. » Le local est plein
à craquer. « Faut dire que c’est petit, ça donne l’impres-
sion qu’on est beaucoup », glousse Mado la Catalane. Elle
est « à fond » pour la réélection de Robert Ménard et fait
« de la propagande » auprès de ses copines. Les façades
rénovées dans le centre-ville, les animations de Noël...
« C’est bien joli quand même. »
SÈTE
Sortie numéro 33 : Sète. Ciel bas, pluie fine ont succédé
aux plages bondées et aux glaces à volonté de l’été. Plus
aisé d’accoler à la Sète de janvier les chiffres de sa
morne réalité : 22,4 % de chômage, taux de pauvreté à
25 %, 60 % de ménages non imposables en 2016. Alors
qu’on cherche encore à comprendre comment ces
gigantesques thoniers ont bien pu se glisser dans l’étroit
canal à deux pas de la criée, Jeanine Prost surgit sous le
vent du quai d’Alger, en tentant de dompter ses cheveux
cuivrés. Elle va « faire 72 ans » en avril. On lui en donne
dix de moins, facile. « Je touche du bois et je fais de la
muscu, mais vieillir, on y passe toutes! » Un trait de
crayon derrière ses lunettes foncées, la coquetterie
jusque dans le caractère bien trempé.
« À Sète, je suis pour le maire! » En mars, elle plébiscitera
une quatrième fois l’ancien sénateur François
Commeinhes, soutenu par Les Républicains et La
République en Marche. « Il est bien, j’ai jamais eu de
problème avec lui. Bon, j’ai jamais rien demandé faut
dire. » D’autant que le maire vit à deux pas de chez elle,
et qu’elle croise sa femme de temps en temps, « alors
bon ». Mais à la présidentielle, « ce n’est pas pareil »,
Jeanine a voté Marine Le Pen. Et elle recommencera.
Encore plus après « le coup » des retraites du chef de
l’État. « Je ne lui pardonnerai pas. »
En déclinant les générations avant et après elle, la sep-
tuagénaire résume toute la complexité du vote RN.
Sandra Mehl pour Le MondeJeanine, la fille, raconte ce père revenu des camps