Le Monde - 22.02.2020

(John Hannent) #1
évidemment, avec Marine Le Pen. Il faut dire que la
marque lepéniste rapporte à Lunel. Si Marine Le Pen est
restée derrière Emmanuel Macron au second tour de la
présidentielle – avec tout de même 45,78 % des voix,
soit plus de dix points au-dessus de la moyenne natio-
nale –, la liste du Rassemblement national a pris la tête
aux européennes avec quasiment 20 points d’avance
sur celle d’En Marche.
En 2013 et 2014, la ville a connu une vague de départs
en Syrie qui lui a laissé le douloureux surnom de
« Djihad City » et quelques séquelles dans les mémoires.
Une vingtaine de jeunes qui ne sont plus « ni des
Lunélois, ni des Français » pour la candidate RN de la
ville. Figure de l’ancienne MJC, aujourd’hui animateur
socioculturel dans l’association qu’il a fondée, Tahar
Akermi les a presque tous croisés. « Quand on a eu cette
galère, les gens se cachaient limite pour en parler. » Pour
lever le tabou sur les « événements », Tahar Akermi avait
alors lancé des ateliers de discussion, d’écriture puis un
court-métrage autour des disparus du djihad en Syrie.
« Au début, c’était une façon de faire ma propre thérapie.
J’avais une espèce de culpabilité, je me disais “merde,
qu’est-ce qu’on a raté ?”... » Quant aux scores du RN, ils
interrogent le travailleur social sans l’étonner vraiment.
« Ici, les gens doivent remplir leur frigo avec un taux de
chômage record. » Alors il écoute chaque histoire,
chaque vote extrême. Et parvient souvent à la même
conclusion : « Ils ont peur. »

VAUVERT
De Patricia Coiffure, ne persiste qu’une enseigne fer-
mée au temps des numéros de téléphone à huit
chiffres. La place de l’Église n’est plus le centre du vil-
lage à Vauvert. Reste un bar, où le café est promis à
moitié prix à celui qui se montre poli. Reynald Barthes
a repris Le Paris il y a deux ans. L’été, en l’absence du
curé, c’est lui qui tamponne les coquilles sur le carnet
des pèlerins du chemin de Saint-Jacques-de-
Compostelle. Les gens d’ici, eux, ne vont plus vraiment
à l’église. Comme ils ne croient plus tout à fait en la
politique. Au comptoir, Laurent votera tout de même
pour la première fois, à 53 ans, pour le « FN », « parce
que la France maintenant, c’est la poubelle de l’Europe.
On est envahis ». Le candidat de l’extrême droite ici?
« C’est un docteur de la ville, raconte le taulier. Il aurait
une autre étiquette, il serait maire depuis longtemps. »
En triangulaire au second tour, Jean-Louis Meizonnet
n’était pas passé très loin la dernière fois. Désormais à
la retraite, il n’attend plus que ça. « Je suis un flamant
rose dans la marée noire », constate le socialiste Jean
Denat depuis sa mairie, tout en refusant que l’on
résume son territoire à « ça ». Et de raconter cette ville
perdue entre la fin de l’ère industrielle et la société de
services, le sentiment de déclassement installé et les
petites solutions pour tenter de le contrer : Noël soli-
daire, boîtes à livres, comités de quartier, navette
urbaine gratuite... « On n’invente pas la poudre, mais on
essaye. Le RN, lui, surfe sur l’absence d’avenir : il carica-
ture les problèmes comme les solutions. »

BEAUCAIRE



  • « Merci à l’État » , dit le maire.

  • « Merci à la ville surtout, vous avez fait de gros efforts »,
    répond le préfet.
    Bien endimanché dans son écharpe de maire, Julien
    Sanchez fait visiter « son » nouveau centre de


vidéosurveillance au préfet en ce mardi 28 janvier. Sur le mur d’écrans, un
zoom permet de distinguer précisément qui des 16 000  habitants fait quoi.
Sur des affiches, la municipalité RN vante une police municipale disponible
« 24/24, 7/7 » accompagnée de la devise : « La paix sociale ne s’achète pas,
elle s’impose. » À deux pas du nouveau commissariat, Julien Sanchez a
débaptisé la rue du 19-Mars-1962 – date du cessez-le-feu en Algérie – pour
lui préférer celle du 5-Juillet-1962, marquant le massacre de pieds-noirs à
Oran. Robert Ménard en a fait de même à Béziers, remplaçant ce 19 mars
par le commandant Hélie Denoix de Saint-Marc, en hommage à une figure
du combat pour « l’Algérie française ».
Pieds-noirs, harkis, même combat, pour Safia Laouazi : « On nous voit
tous comme des FN. » « Arabe » ici, « traître » en Algérie, l’auxiliaire de vie
de 33 ans, petite-fille de harkis « et fière de l’être », navigue dans une
identité déjà bien assez compliquée sans qu’on lui ajoute une étiquette
de frontiste, qu’elle n’est pas. « Nous, tout ce qu’on nous apprend, c’est que
les harkis ont trahi les Algériens », reprend son amie Najoua Naji, enve-
loppée dans sa longue doudoune rose. Safia la repousse en soupirant :
« Vous voyez ce que je vis! Et encore, elle, c’est ma copine! » Najoua éclate
de rire, avant d’ajouter « un truc » qu’elle trouve bien plus grave, depuis
que le RN s’est installé à la mairie. « On vous a parlé du porc? » Début
2018, Julien Sanchez a annoncé la fin des repas de substitution dans les
cantines, et même que du porc serait servi tous les lundis. « Bien sûr qu’il
nous vise! Qu’est-ce qu’on lui a fait pour qu’il s’acharne comme ça? »,
tempête la trentenaire. D’autant que la mesure a été annulée par le tri-
bunal administratif, mais maintenue par le maire d’extrême droite. Tout
comme la crèche de Noël installée au sein de l’hôtel de ville, une entorse
au principe de laïcité plusieurs fois attaquée en justice mais réinstallée
chaque année par les équipes de la municipalité RN.

LE PONTET
Sortie Pont-du-Gard, sans jamais l’apercevoir. La bienvenue en région
Provence-Alpes-Côtes-d’Azur à peine souhaitée, un rond-point constellé de
Sandra Mehl pour Le Monde croix fluo témoigne d’une colère jaune pas tout à fait calmée.

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