Les Echos Lundi 24 février 2020 EXECUTIVES// 37
Cinq conseils pour
attirer les talents
américains
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echo.st/m335134
termes de prises de décision stratégique »,
précise Emilie Mouren-Renouard, mem-
bre du comité exécutif, notamment
chargée de l’innovation, du digital et de
l’IT. Deux ans plus tôt, Benoît Potier
expliquait, sur le réseau LinkedIn, que
ces voyages « peuvent même remodeler
une partie de la stratégie de l’entreprise ».
Ainsi, en 2017, alors qu’Air Liquide
s’interroge sur la digitalisation et les
problématiques IT, une équipe resserrée
prend la direction de la Silicon Valley.
L’escale sera décisive pour la politique
IT du groupe. « Ce voyage nous a permis
de réaliser une plongée immersive chez les
acteurs clés du numérique, relate la
dirigeante. Et grâce à ces visites, nous
avons pu poser les bases de notre stratégie
cloud et la déployer. C’est aujourd’hui l’un
des facteurs qui contribue à la maturité
digitale de l’entreprise et la distingue »,
revendique-t-elle.
Diversité des interlocuteurs
En 2019, le géant du CAC 40 engage une
réflexion sur la résilience. N’est-il pas
temps de renforcer ses démarches dans
l’économie circulaire? Direction :
l’Angleterre et la Norvège. L’échappée
d’une semaine va permettre de valider la
piste selon laquelle une carte doit être
jouée avec ce business model émergent.
L’un des objectifs est alors d’aller à la
rencontre d’acteurs appelés à jouer un
rôle dans la transformation de la société
et de l’entreprise – et qui pourraient
devenir de nouvelles parties prenantes
de l’entreprise. « Nous nous étions, par
exemple, rendu compte du rôle grandis-
sant des villes dans les problématiques de
transition énergétique. Cela nous a
encouragés à aller rencontrer des acteurs
que nous n’étions pas allés voir aupara-
vant, comme des élus de la mairie
d’Oslo », confie Emilie Mouren-Re-
nouard [la ville d’Oslo a annoncé un
objectif de réduction de 95 % des émis-
sions de carbone en 2030, NDLR].
Géants du numérique, start-up, fonds
d’investissement, grandes structures, ou
TPE, écrivains, philosophes, leaders
d’opinion, pouvoirs publics... « Dans une
learning expedition, la diversité des
interlocuteurs est essentielle. Nous ren-
Valérie Landrieu
@ValLandrieu
A
5 minutes à pied d’une station
d’approvisionnement en biogaz
Air Liquide, la Magiske Fabrik-
ken est une petite usine unique au
monde. Située à Sem, au sud de la Nor-
vège, elle transforme des milliers de
tonnes de déchets alimentaires et de
fumier en biogaz et en engrais organi-
ques. Elle alimente ainsi en carburant
75 bus et 40 camions-poubelles, et
permet de fertiliser les terres de
45 fermes environnantes. Elle est aussi
capable d’attirer Benoît Potier, PDG
du leader mondial des gaz industriels,
escorté d’une partie de son comex,
dans le cadre d’une learning expedi-
tion. La destination n’a pas été
sélectionnée au hasard.
« Nous choisissons le thème d’une lear-
ning expedition en fonction de l’impact
qu’elle peut avoir sur l’entreprise, en
Le groupe de gaz industriels a fait
de ses learning expeditions un axe
de sa démarche d’open innovation.
Et les inscrits dans sa politique
RH d’entreprise apprenante.
Chez Air Liquide,
le voyage
d’apprentissage
est stratégique
BUSINESS CASE
controns des personnes de tout niveau, et
tout profil, pour avoir un angle de vue
différent sur un sujet donné. » Cette
variété grandissante des acteurs mar-
que d’ailleurs l’une des principales
évolutions de l’exercice, ces dernières
années.
Ici, pas de prestataire extérieur. La
direction de l’innovation a la haute
main sur ces voyages. Le département
est relayé sur le terrain par les équipes
locales pour une organisation cousue
main et un ancrage géographique. Les
learning expeditions s’inscrivent dans
une politique de ressources humaines
axée autour de l’entreprise apprenante.
Ces déplacements « ne doivent pas être
considérés comme une nouvelle forme de
divertissement d’entreprise itinérant,
écrivait notamment Benoît Potier. Par-
tant d’un objectif clair et d’un itinéraire
convaincant, (ils) aident [...] à sortir de
notre bulle, à découvrir de nouvelles
façons de penser [...] », clarifiait-il, en
évoquant à mots couverts l’un des axes
de la politique d’open innovation du
groupe. Le principe de sélection des
destinations est explicite : « Nous choi-
sissons le thème, puis nous en déduisons
les destinations les plus pertinentes et les
interlocuteurs à rencontrer », explique
Emilie Mouren-Renouard. Autres prin-
cipes à respecter pour assurer la réus-
site de l’expérience : « Il ne s’agit pas
d’un voyage patchwork, chacun de ces
déplacements obéit à une ligne directrice
forte. Nous n’enchaînons pas les visites
les unes après les autres et prenons des
temps de réflexion collective », détaille-t-
elle. Les participants sont invités à
partager photos, vidéos et commentai-
res sur le réseau social interne. Pas
question de passer pour un déplace-
ment de happy few. n
Vincent Bouquet
Comme tout projet d’entreprise, un
learning trip ne s’improvise pas. Revue
de conseils pour anticiper l’avant, le
pendant et l’après, et permettre aux
participants de maximiser leur expé-
rience et à l’entreprise de s’assurer un
retour sur investissement.
1
Associer les participants
Pour éviter que la learning expedi-
tion ne se résume à une « sortie de
classe » avec son lot de visites subies, les
participants doivent pleinement contri-
buer à son élaboration. Après avoir
concocté un préprogramme où figurent
les organisations à voir, les experts à
rencontrer et les temps forts proposés,
un questionnaire peut être distribué
aux futurs voyageurs pour connaître
leurs attentes tant professionnelles
qu’individuelles.
En fonction des réponses récoltées, le
programme définitif de la learning
expedition peut être affiné afin d’être en
adéquation avec les visées stratégiques
de l’entreprise et les objectifs person-
Christian Forthomme.
Quelques règles du jeu peuvent aussi
être édictées pour encadrer le fonction-
nement du groupe et faire de ce
moment privilégié un bon moment
pour chacun. Qu’importe leur échelon
hiérarchique au sein de l’entreprise,
tous les participants pourront, par
exemple, être considérés au même
niveau afin d’aborder ce voyage sur un
pied d’égalité.
3
Organiser des points
d’étape collectifs
Une fois le learning trip engagé, les
voyageurs doivent contribuer à son
déroulement. « On peut imaginer que,
chaque jour, un petit groupe présente aux
autres, en quelques mots, les entreprises
au programme de la journée » , conseille
le dirigeant de RealChange.
Une session de débriefing peut égale-
ment être organisée, de bon matin, pour
dresser un bilan des expériences vécues
la veille, tant d’un point de vue profes-
sionnel que personnel. « Il faut que
chaque participant puisse dire ce qui l’a
intellectuellement intéressé, ce qui l’a
touché au cœur, et ce qui l’a pris aux
tripes et lui donne envie d’agir, précise
Christian Forthomme. Un tel système
permet de démultiplier l’impact de la
learning expedition, de partager son
voyage intérieur et d’apprendre de celui
de ses collègues. »
4
Tirer des leçons
Pour préparer le retour et capitali-
ser sur la richesse des expériences
vécues, le voyageur doit être capable
d’en tirer quelques leçons très concrè-
tes. « A la fin du learning trip, chacun
doit repartir avec une vision et cristalliser
un projet ou un plan d’action à partir de
ce qu’il a vu et entendu » , soutient le
fondateur de RealChange.
Que ce soit en matière de leadership, de
vision ou de regard porté sur leurs
collègues, les participants ont tout
intérêt à matérialiser ce qu’ils ont appris
sous la forme d’une feuille de route
business, capable de faire fructifier les
enseignements de leur voyage.
5
Encadrer le retour
d’expérience
Comme lors de tout séjour, les voya-
geurs doivent prendre garde à l’atterris-
sage. Chaque participant doit veiller à
préparer son retour et les premiers
contacts qu’il aura. « Après une expé-
rience aussi enrichissante et inspirante, il
faut tout de suite se mettre au niveau des
personnes à qui vous parlez, avoir cons-
cience qu’eux aussi ont vécu des choses
pendant que vous n’étiez pas là et veiller à
ne pas les déconnecter » , conseille Chris-
tian Forthomme.
Avant de livrer son ressenti émotionnel,
plus difficile à appréhender pour autrui,
le participant doit se concentrer sur un
retour d’expérience factuel fondé sur les
visites d’entreprises et les rencontres
avec les différents experts. Quant aux
éléments plus intangibles, ils pourront
faire l’objet d’un événement spécial
- dîner, petit déjeuner... – où plusieurs
participants, y compris extérieurs à
l’entreprise, pourront prendre la
parole.n
nels de ses cadres. « Le but est d’adopter
une approche active, plutôt que passive,
du voyage d’affaires », souligne Christian
Forthomme, dirigeant-fondateur
du spécialiste des learning trip dans
la Silicon Valley, RealChange.
2
Préparer les esprits
Parce qu’elle offre une plongée dans
un environnement éloigné du quoti-
dien, avec une culture et des façons de
travailler forcément différentes, la
learning expedition requiert une ouver-
ture d’esprit qui se cultive en amont.
« Les participants doivent aborder cette
expérience comme des enfants, sans
jugement par rapport aux pratiques
qu’ils vont découvrir » , recommande
Pour que les participants puissent
en tirer pleinement profit,
le voyage d’affaires doit être
scrupuleusement préparé, son
déroulé dûment encadré et son
atterrissage savamment contrôlé.
Cinq conseils pour réussir
son learning trip
Qu’importe leur
échelon hiérarchique
au sein de l’entreprise,
tous les participants
pourront, par exem-
ple, être considérés
au même niveau afin
d’aborder ce voyage
sur un pied d’égalité.
« Nous choisissons le thème, puis nous en déduisons les destinations les plus pertinentes et les interlocuteurs à rencontrer »,
explique Emilie Mouren-Renouard, membre du comité exécutif. Photo Getty Images/500px
MODE D’EMPLOI
De nombreuses villes sont capables de donner aux entreprises françaises
et à leurs cadres dirigeants des idées pour doper leur transformation numérique
et/ou écologique. Photo Getty Images