Le Monde - 12.03.2020

(Tina Meador) #1
0123
JEUDI 12 MARS 2020

styles

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treuse du château bordelais Calon
Ségur, à Saint­Estèphe, y déploie
son mobilier d’exception – des
banquettes en tressage de daim et
des tables basses en velours de
soie capitonné –, qui entre en dia­
logue avec les créations sensibles

de Spazio Nobile. Ces dernières
poursuivront leur voyage jusqu’à
Paris, sous la tente du Pavillon des
arts et du design, le PAD, dans le
jardin des Tuileries, du 12 au
17 mai.
v. l. (bruxelles)

à petit feu. Et son ami l’Allemand
Fabian von Spreckelsen, qui marie
la brutalité d’un piétement en mé­
tal et la sensualité d’une peau tan­
née dont il fait une banquette ou
un bureau d’allure moyenâgeuse.
Ils peuvent préférer la délicatesse
immaculée des poufs et des étagè­
res à base de papier solidifié à la
colle de riz, par l’artiste taïwanaise
basée aux Pays­Bas Pao Hui Kao.
Ou bien l’insolite console en char­
bon noir surmontée d’un simple
plateau de verre du Suédois Jesper
Eriksson, qui, installé à Londres,
s’approvisionne directement en
combustible fossile dans les mi­
nes du Pays de Galles, soucieux de
le rendre autrement désirable.
Une sélection de ces œuvres est à
voir dans l’exposition collective
« Le Sacre de la matière », située
dans l’Ancienne Nonciature de
Bruxelles, jusqu’au 25 mars. De ce
bâtiment historique, qui était
autrefois l’ambassade du Vatican,
sa propriétaire, l’architecte d’inté­
rieur Anne Derasse, a fait un
showroom et un lieu ouvert,
comme une « nouvelle ambassade
des arts et de la culture ». Cette his­
torienne d’art, qui a signé, récem­
ment, la restauration de la char­

voyageant entre arts appliqués
et beaux­arts, la galerie bruxel­
loise Spazio Nobile, qui fête ses
quatre ans d’existence, compte
déjà dans son écurie une flopée
d’artistes, de la célèbre céramiste
portugaise Bela Silva au peintre et
photographe allemand Jörg
Bräuer, en passant par les jeunes
designers franco­polonais Mar­
lène Huissoud et Marcin Rusak,
installés à Londres, dont le mobi­
lier à base de cocons de vers à
soie a fait sensation dans plu­
sieurs expositions, telle « La Fa­
brique du vivant » , au Centre
Pompidou, en 2019.
« Ce qui réunit nos créateurs?
C’est leur amour de la matière, leur
capacité à faire dialoguer art con­
temporain, nature et minéralité »,
explique Lise Coirier, cofondatrice
avec Gian Giuseppe Simeone de la
galerie, située dans le quartier
prisé d’Ixelles.

Dans les mines du Pays de Galles
Côté mobilier d’art, les collection­
neurs ont le choix ici entre le Belge
Hamacher Kaspar, né en 1981, qui
découpe ses bancs à même les
troncs d’arbres, patiemment, à la
gouge, avant de les brûler, parfois

à l’état brut, ou presque


LE COLLECTIF 


D’ARCHITECTES GANTOIS 


STAND VAN ZAKEN 


S’AMUSE DE


CES MATÉRIAUX QUE


L’ON CACHE D’ORDINAIRE, 


ET AVEC LESQUELS


ILS TRAVAILLENT


AU QUOTIDIEN


SUR LEURS CHANTIERS


DE CONSTRUCTION


DESIGN
bruxelles

L


a collection s’appelle All­
tubes et elle dit tout du
challenge relevé par le
couple de designers et ar­
tistes flamands Fien Muller et
Hannes Van Severen, du studio
Muller Van Severen : créer des
chaises, bancs et armoires avec
pour unique matériau des tubes
d’aluminium brut. Présentée en
avant­première par la galerie Va­
lerie Traan sur Collectible – foire
internationale consacrée au de­
sign du XXIe siècle, qui a fermé ses
portes dimanche 8 mars à Bruxel­
les –, elle est emblématique d’une
forme d’écriture minimaliste qui
continue de sévir en Europe du
Nord. « Le dessin et la répétition
des formes rondes font paraître ces
objets moins austères, tempère
Veerle Wenes, à la tête de la galerie
Valerie Traan, basée à Anvers. Cela
produit aussi un effet ondulatoire
très sensuel, qui permet à la lu­
mière de jouer à la surface des ob­
jets », précise la galeriste, qui a su
révéler, dès 2011, le talent de ce
duo belge, en proposant leurs
tout premiers meubles.
Derrière l’apparente simplicité
de la série Alltubes se cache une
prouesse technique, puisqu’il n’y
a pas de poignées, d’ouvertures de
porte, de charnières ou de joints
visibles. Ouvrir la porte d’un petit
cabinet, c’est découvrir la dentelle
des tuyaux qui le composent. Ces
pièces minimalistes ne dépare­
ront pas à la Villa Cavrois de Croix
(Nord), ce chef­d’œuvre moder­
niste de Mallet­Stevens qui abri­
tera, du 17 mars au 18 octobre, la
première rétrospective des créa­
teurs – tout juste quadragénai­
res – de Muller Van Severen, pour
ce qui devrait être l’un des temps
forts de Lille 2020, capitale mon­
diale du design.
Autre joli coup de Veerle Wenes
sur le salon Collectible : cette pre­

mière ligne de meubles du duo
d’architectes Gijs Van Vaeren­
bergh (Pieterjan Gijs et Arnout
Van Vaerenbergh), connus jus­
qu’ici pour leurs installations ur­
baines, telle l’église singulière
Reading Between the Lines (« lire
entre les lignes »), près du village
de Looz (Belgique), composée de
plaques horizontales d’acier au
travers desquelles s’inscrit le ciel.
Ils ont signé cette bibliothèque
épurée dont les lignes semblent
nées d’un jeté de mikado, et ce
rangement horizontal transpercé
de disques en acier, comme une
évocation contemporaine du dis­
cobole de l’Antiquité.

Boulons et lanières
Peut­on imaginer plus radical?
Probablement le travail de Johan
Viladrich, un Français de 29 ans
diplômé en 2017 de la Design
Academy Eindhoven et installé à
Rotterdam. Il utilise des élé­

ments standard de l’industrie


  • gaines d’aération, plaques
    d’aluminium, poutrelles – qu’il
    découpe et assemble, en limitant
    au maximum son intervention
    et en visant le zéro déchet. Il les
    recompose en les dotant d’une
    fonction de lit, banc, bibliothè­
    que... et en starifiant les détails
    d’assemblage, comme les bou­
    lons et les lanières. « J’aime son
    rapport à la matière industrielle,
    qui est une matière comme une
    autre, sauf qu’elle est déjà trans­
    formée... », souligne Jean­Marc
    Dimanche, directeur artistique
    du tout nouveau centre d’art
    bruxellois Eleven Steens qui, en
    plus de promouvoir Johan Vila­
    drich par une monographie à
    Collectible, lui a confié l’aména­
    gement d’un appartement té­
    moin sur son site, une ancienne
    friche industrielle où il a posé ses
    meubles réduits à l’essentiel (à
    voir jusqu’au 15 mars).


Comme s’ils avaient fait leurs
emplettes dans un magasin de
bricolage, le collectif d’architectes
gantois Stand Van Zaken, pré­
senté par Atelier Jespers, crée un
sofa cubique à base de mousse
isolante, une table avec des con­
duits d’égout en céramique en
guise de piétement, des étagères
avec des dalles de terrasse, des lu­
minaires avec des tuyaux de che­
minée en acier... Ils s’amusent de
ces matériaux que l’on cache d’or­
dinaire, et avec lesquels ils tra­
vaillent au quotidien sur leurs
chantiers de construction. Hu­
mour, dérision et euphorie créa­
tive... « Stefanie Everaert et Theo
De Meyer, de Stand Van Zaken,
trouvent leur inspiration dans le
mouvement d’avant­garde Alchi­
mia, fondé en 1976 par Alessandro
Guerriero à Milan, qui était une
contestation d’un certain fonc­
tionnalisme imposé par l’indus­
trie, souligne Jean­François De­

clercq d’Atelier Jespers. Leur logi­
que est aussi de créer ensemble et
de faire mieux avec moins. »
Centenaire du Bauhaus oblige,
l’humeur serait­elle chez les jeu­
nes designers à la redécouverte
des volumes dépouillés, de la géo­
métrie et des matériaux bruts?
Du Belge Ben Storms aux jeunes
talents Design Brutalists, pré­
sents sur la foire Collectible, l’af­
faire semble entendue. Et pour­
tant, « le design belge est à l’image
du pays, avec une influence fla­
mande plus radicale et minima­
liste, et une autre, francophone,
plus tournée vers les arts décora­
tifs. C’est ce mélange bigarré qui
fait notre spécificité », commente
Clélie Debehault cofondatrice,
en 2018, avec Liv Vaisberg, de la
foire internationale Collectible.
En effet, au détour d’une allée
du salon, on peut voir la nouvelle
galerie anversoise Everyday Gal­
lery qui oppose, à la montée du
brutalisme, son « softalisme »,
avec ce lampadaire en fausses
rocailles et vraies mousses de
plastique coloré du collectif Tou­
che­Touche. Ou ces fauteuils
comme gonflés à l’hélium des
jeunes diplômés de la Design
Academy Eindhoven, Schimmel
& Schweikle. Du kitsch avec des
matériaux mous ultracontem­
porains, dessinés en 3D, voilà
donc une nouvelle voie... « C’est
la naissance du chewing­gum de­
sign », susurre­t­on d’un palier à
l’autre de Collectible, qui compte
cinq étages!
L’une des stars du pays, le déco­
rateur belge Lionel Jadot, assume
le mélange des genres, bigarré
certes. Sur le stand de son gale­
riste new­yorkais, Todd Merrill, à
la foire Collectible, il a présenté ce
fauteuil asymétrique et coloré, la
Crushed Chair, fait d’un assem­
blage de panneaux médium, de
sangles et de pinces industrielles,
qui se veut « un manifeste physi­
que contre le “bon goût” ». Dans
l’Hôtel Jam, au cœur de Bruxelles,
cet autodidacte au style un peu
déjanté réussit un autre mix im­
probable, plus « fun » : murs de
béton brut, banque d’accueil à
l’emblème de motos et plafond
aux découpes géométriques po­
lychromes, à mi­chemin entre
Mondrian et Memphis.
véronique lorelle

Bureau
métal et
peau tannée
de Fabian
von
Spreckelsen.
KAREN JOHN

Chaises en tubes d’aluminium, sofa en


mousse isolante, luminaires en acier...


au dernier salon Collectible, à Bruxelles,


les créations reviennent à l’essentiel.


Mais derrière cette apparente simplicité


se cachent des prouesses techniques


Du papier, du charbon et du bois brûlé chez Spazio Nobile


Eléments
de la collection Alltubes
par le studio flamand
Muller Van Severen.
FIEN MULLER
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