DÉLINQUANCE// Pénurie de matériel, confinement, chute des marchés
financiers : l’épidémie offre un terreau fertile au marché noir et aux arnaques
en tous genres. Comme le Covid-19, le fléau contamine tous les publics.
Vols, arnaques, trafics :
ces escrocs qui profitent
du coronavirus
mais un onglet dédié au coronavirus. C’est
un signalement de ce type q ui a conduit à l a
première condamnation en justice, jeudi
dernier, contre une pharmacienne d’Issy-
les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), repartie
avec quatre mois de sursis et une amende
de 10.000 euros.
Sans qu’ils aient enfreint l a loi, nombreux
sont aussi ceux qui ont cru flairer la bonne
affaire, en misant sur une pénurie de maté-
riel de protection. Aidé de son frère, Matt
Colvin a failli réussir son coup. Après
l’annonce du premier décès lié au Covid-
aux Etats-Unis, cet habitant du Tennessee a
dévalisé les rayons de gels hydroalcooli-
ques, allant jusqu’à stocker 18.000 flacons
qu’il espérait vendre sur Amazon. Las,
après quelques ventes à prix d’or – entre 8 et
70 dollars –, son compte a été banni du site
d’e-commerce et ce père de famille de
trente-six ans a dû se résoudre à faire don de
son stock à l’église de sa ville...
Les petites annonces de particuliers
proposant des stocks de masques de pro-
tection ont aussi rapidement fleuri sur les
plateformes d’e-commerce, à des tarifs
parfois exorbitants. Antoine Jouteau,
directeur du site Leboncoin, a vu les pre-
mières o ffres apparaître en f évrier. « Puis l e
mouvement s’est accéléré pour atteindre
plusieurs centaines. Cela ne représentait
qu’un tout petit volume comparé au quelque
1 million d’annonces déposées chaque jour.
Mais, pour des raisons éthiques et morales,
nous ne pouvions pas laisser des gens faire
du profit sur un matériel précieux dont
manquent les personnels médicaux. »
Début mars, le site a donc modifié ses algo-
rithmes pour empêcher le dépôt d’annon-
ces concernant des masques. Dans la
semaine qui a suivi, 8.000 tentatives
étaient bloquées... De son côté, Amazon
assure avoir retiré un demi-million d ’offres
de produits liées au coronavirus et a sus-
pendu plus de 3.900 comptes d ’utilisateurs
violant sa politique de prix équitables rien
qu’aux Etats-Unis. Une équipe se consacre
entièrement à surveiller ce qui est posté en
matière de masques, gels hydroalcooli-
ques et autres. Pour la DGCCRF, « le
ménage a globalement été réalisé sur les pla-
teformes d’e-commerce. Même si certaines
restent peu regardantes ».
« Il est choquant de c onstater l e deux poids,
deux mesures de certaines sociétés basées à
l’étranger qui ne jouent pas le jeu, voire en
profitent », renchérit Antoine Jouteau.
Leurs noms ne sont pas prononcés, mais
figurent dans le viseur le chinois Aliexpress
et l’américain Wish. La page d’accueil de ce
dernier, spécialisé dans les produits à bas
coût fabriqués en Chine, met encore en
vitrine des offres de masques pour tous les
goûts, fabriqués selon des normes de
qualité obscures.
Vaccins, huiles, lampes
et autres solutions miracles
L’inquiétude générée par le coronavirus a
aussi fait naître u ne flopée de sites Web pro-
posant des solutions miracles : vaccins,
médicaments, purificateurs d’air, lampes à
UV, huiles essentielles, miel... tous aux ver-
tus prétendues protectrices. « Ce sont des
pratiques commerciales trompeuses, avec
parfois des produits qui n’arrivent jamais,
note la DGCCRF. Au-delà de ce risque, cela
devient dangereux si les acheteurs pensent
qu’ils peuvent éviter de suivre les gestes bar-
rières grâce à ça. Certains sites vendent égale-
ment des faux vaccins et traitements qui, au
mieux, n’ont a ucune efficacité e t, au pire, p eu-
vent être de faux médicaments aux effets
inconnus sur la santé. »
Europol a annoncé, mercredi, avoir
saisi plus de 4 millions de médicaments,
vaccins, dispositifs médicaux, masques et
gels hydroalcooliques contrefaits, pour
une valeur estimée à 13 millions d’euros.
L’agence européenne de police a mené
plus de 120 arrestations et démantelé
37 organisations criminelles qui opé-
augmentation sensible, selon les profes-
sionnels du secteur, le coronavirus servant
régulièrement de leurre au « phishing »
(hameçonnage). Les entreprises, qui ont
parfois dû se convertir au télétravail à mar-
che forcée, sont particulièrement concer-
nées. Dans certains c as, l es hackers p euvent
par exemple se servir du réseau wi-fi d’un
salarié pour s’introduire dans celui de la
société. Même en pleine épidémie, le sec-
teur médical n’est pas épargné. Le 22 mars,
une partie des serveurs informatiques de
l’AP-HP a ainsi subi une attaque par déni de
service (DDoS), perturbant le travail du
personnel hospitalier – sans pour autant
affecter l’offre de soins.
Du côté des particuliers, la vigilance est
également de mise. Même si la plateforme
Pharos, qui permet de signaler un contenu
illicite ou suspect en ligne, n’a reçu que
400 notifications d’internautes liés au coro-
navirus. « Il s’agit d’un chiffre plutôt faible et
pour l’instant o n peut dire qu’il s’agit d’un épi-
phénomène », indique François-Xavier
Masson, le patron de l’Office central de la
lutte contre la cybercriminalité (OCLCTIC).
Vols de données personnelles
Au début de la période de confinement,
l’apparition d’applications permettant de
télécharger des attestations de déplace-
ment a aussi fait craindre une tentative de
vol de données personnelles. Mais « aucun
cas de ce type ne nous a été remonté et le phé-
nomène a vite disparu », a ssure le
responsable. Pour écarter tout risque, le
ministère de l’Intérieur a toutefois décidé
d’interdire lesdites attestations sur smart-
phone. Malgré tout, le nombre de signale-
ments ne préjuge pas d u nombre d’attaques
lancées et une vigilance de tous les instants
est recommandée. « Il faut être attentif. Pour
l’heure, il s’agit d’une envolée des petites
arnaques, mais il faut se méfier que le risque
ne passe pas à une autre échelle », prévient
Jacques de La Rivière, P DG d e Gatewatcher,
spécialisé dans la cybersécurité. « Il ne faut
plus croire que les “hackers” sont de gentils
adolescents “geek”. Depuis une dizaine
d’années, le “hacking” est devenu une activité
criminelle organisée qui analyse les contextes
pour maximiser ses rendements. Et le
contexte est favorable. »
La situation a toutefois pour mérite de
mettre un coup d’arrêt aux trafics de
drogue, ralentis par les fermetures de
frontières, et aux cambriolages, puisque la
moitié de l’humanité est confinée chez elle.
Enfin presque : des malfrats ont profité de
la fermeture prolongée d’un musée aux
Pays-Bas pour dérober un tableau de Van
Gogh, « Le Jardin du presbytère de Nuenen
au printemps », estimé entre 1 et 6 millions
d’euros. Contrairement aux masques et
aux gels hydroalcooliques, pas certain
qu’on le retrouve dans une annonce sur
Amazon ou Leboncoin...n
Les gels hydroalcooliques et les masques donnent lieu à de nombreuses escroqueries sur Internet. Photo Olivier Morin/AFP
raient derrière 2 .500 sites ou annonces e n
ligne faisant référence au Covid-19. Der-
rière l’écran, les malfaiteurs usent des
recettes éprouvées de l’escroquerie en
ligne. En surfant sur les thèmes d’actua-
lité, ils utilisent la publicité ciblée, notam-
ment s ur les r éseaux s ociaux, o u l’envoi de
courriels pour attirer les futures victimes
dans leur toile.
Tous les prétextes sont bons : l’Autorité
des marchés financiers (AMF) s’inquiète
déjà d’une recrudescence des arnaques aux
placements financiers vantant des valeurs
refuges contre l’actuelle chute des Bourses.
Depuis le début de l’année, le gendarme a
par exemple ajouté 13 sites de faux place-
ments sur l’or à sa liste noire des acteurs
frauduleux. Ils viennent s’ajouter aux
autres investissements déjà en circulation
dans l e vin, le whisky, dans d e fausses SCPI...
Les escrocs en ligne profitent aussi des
envies de boursicotage qui titillent des par-
ticuliers confinés chez eux et en mal d’acti-
vités pour s’occuper : il suffit d e voir t ous ces
conseils d ’investissement d ans des
biotechs, fabricants de matériel médical et
autres entreprises dont la valorisation
serait sur le point d’exploser grâce à l’épidé-
mie, selon ces spécialistes prêts à faire
fructifier vos économies plutôt que de les
laisser s’assécher sur un Livret A...
De la même manière, les cyberattaques
ne connaissent pas de trêve pendant la crise
sanitaire. Leur volume a même connu une
Europol a saisi plus
de 4 millions de
médicaments, vaccins,
dispositifs médicaux,
masques et gels
hydroalcooliques
contrefaits.
Yann Duvert
@YannDuvert
Pierre Demoux
@pdemoux
L
orsqu’elle se voit proposer un réap-
provisionnement e n masques et g els
hydroalcooliques, l’e ntreprise phar-
maceutique Cerp Rouen ne se doute de
rien. Au téléphone, l’interlocuteur bien-
veillant, qu’e lle pense être son fournisseur
habituel, lui propose d’acheter des stocks
pour éviter la pénurie. Une fois le virement
effectué, l ’é vidence s’impose : le matériel ne
sera jamais livré et l’argent a été envoyé sur
le compte d’une société fictive. Bilan :
6,6 millions d’euros évaporés, pour ce qui
constitue la première grosse arnaque
depuis le début de l’épidémie. Et certaine-
ment pas la dernière.
Chaque crise est l’occasion de saisir une
opportunité, diront les optimistes, même si
l’opération se fait parfois au mépris de la
morale, voire des lois. La pandémie de
Covid-19 porte avec elle son lot de profiteurs
et d’escrocs en tous genres. Les personnes
âgées ou vulnérables sont particulièrement
visées. Faux agents hospitaliers s e proposant
d’effectuer une « vérification » du domicile
en vue du confinement, porte-à-porte pour
vendre des attestations de déplacement à
5 euros pièce : en France, la petite délin-
quance a rapidement prospéré sur la peur de
la contagion. « On nous remonte des opéra-
tions de démarchage, proposant de déconta-
miner son appartement ou son entreprise »,
indique-t-on également à la Direction géné-
rale de concurrence, de la consommation et
de la répression des fraudes (DGCCRF).
Dans le même temps, masques de pro-
tection et gels hydroalcooliques sont d eve-
nus des denrées assez rares pour se trou-
ver au cœur de divers trafics. Dès fin
février, les p remiers vols d ans les hôpitaux
sont observés. Le 6 mars, l’Assistance
publique-Hôpitaux de Paris annonce que
près de 11.000 unités ont été d érobées dans
plusieurs établissements parisiens. A
Marseille, l’hôpital de la Conception
déplore le vol de 2.000 masques, l e CHU de
Montpellier voit 12.500 d’entre eux s’éva-
porer. Sous le manteau ou dans les
arrière-boutiques des épiceries, le com-
merce illégal fleurit, tout comme les sai-
sies. Près de Maubeuge, un commerçant
se voit retirer les 850 masques qu’il propo-
sait à la vente. Sanction identique pour un
épicier bio du quartier de Belleville, à
Paris, chez qui 15.000 masques et plus de
100 litres de s olution h ydroalcoolique sont
découverts. Un Parisien s’est même fait
pincer avec quelque 20.000 masques FFP
et FFP2 chez lui, qu’il écoulait dans la rue.
Le « record » français est pour l’instant
détenu par deux individus arrêtés au
moment où ils venaient récupérer une
commande de 32.500 masques
chirurgicaux provenant de Chine.
Des pharmacies
dans le collimateur
Depuis que les gels font l’objet d’un enca-
drement des prix, et les masques d’une
réquisition au profit des professions médi-
cales, certaines pharmacies sont aussi
dans le collimateur des enquêteurs.
Récemment, la police parisienne a mis la
main sur 16.000 unités dans une officine du
1 er arrondissement. Quand une autre,
située dans le 16e a rrondissement, a dû faire
une croix sur le millier de masques qu’elle
proposait jusqu’à 10 euros pièce. Particuliè-
rement attentive à la situation, la DGCCRF
indique avoir déjà reçu « plus de 400 signa-
lements », la plupart concernant des phar-
macies ou des parapharmacies. Le site
SignalConso, qui permet aux consomma-
teurs de rapporter les abus, possède désor-
« Le ménage
a globalement
été réalisé sur
les plateformes
d’e-commerce. Même
si certaines restent
peu regardantes. »
DIRECTION GÉNÉRALE
DE LA RÉPRESSION
DES FRAUDES (DGCCRF)
Les Echos Mardi 7 avril 2020 // 13
enquête