Le Monde - 03.04.2020

(lu) #1

12 |coronavirus VENDREDI 3 AVRIL 2020


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Marché automobile français : la casse du siècle


Les ventes de voitures ont chuté de 72 % en mars, et de 34 % sur le premier trimestre de l’année


U

n choc à la fois de l’of­
fre et de la demande :
pas de clients pour al­
ler dans les conces­
sions depuis le 16 mars, pas de
production de voitures pendant
la seconde quinzaine de mars, et,
de toute façon, aucun point de
vente ouvert... La crise automo­
bile que connaît la France depuis
l’épidémie due au coronavirus n’a
pas de précédent. Les chiffres sont
le reflet de ce marasme.
Au mois de mars, les ventes de
voitures dans le pays ont plongé
de 72 % par rapport à la même pé­
riode en 2019, affirme le Comité
des constructeurs français d’auto­
mobiles (CCFA). Les derniers jours
ont été économiquement dévas­
tateurs. Selon Autoways, société
disposant d’une licence d’accès
au système d’immatriculation
des véhicules (SIV) du ministère
de l’intérieur, entre le 18 mars et le
30 mars – en plein confinement
donc –, les immatriculations ont
chuté de 94 % si on compare avec
la même période en 2019.
C’est bien un coup d’arrêt total
du marché qui s’est produit, avec
une réelle activité seulement jus­
qu’à vendredi 13 mars. Sur une pé­
riode plus large, le premier tri­
mestre affiche un plongeon de

34 %. Et le deuxième trimestre
semble bien parti pour réaliser un
triste record de la même ampleur.
Aucun constructeur n’est vrai­
ment épargné. A commencer par
les français. PSA (Peugeot, Citroën,
DS, Opel) a vu ses immatricula­
tions de voitures particulières
neuves dégringoler (− 73,4 %), tout
comme le groupe Renault
(− 71,6 %), avec Dacia et Alpine,
d’après les chiffres du CCFA. Côté
industriels étrangers, le groupe
Volkswagen (Audi, Skoda, Seat,
Porsche), premier importateur, a
chuté de 78,9 % en mars. Les spé­
cialistes allemands du haut de
gamme BMW (Mini) et Daimler
(Mercedes) ont reculé respective­
ment de 61,8 % et 73,8 %. Le groupe
Hyundai (Kia) a connu un sort à
peine moins catastrophique
(− 55,1 %), tout comme Toyota
(− 57,9 %). Les autres acteurs du
marché, Ford (− 80,1 %), Fiat Chrys­
ler (− 82,5 %), Nissan (− 75,2 %) ont
complété ce sombre tableau.

Exercice délicat
Ailleurs en Europe, les premiers
chiffres qui tombent sont du
même acabit dans les pays les
plus touchés par l’épidémie de Co­
vid­19. L’Espagne affiche − 69 %,
et l’Italie un effrayant (mais pas si
surprenant compte tenu de la du­
rée de la crise là­bas) − 86 %. La
Chine, premier marché mondial
et première nation mise à l’arrêt
par le coronavirus, avait donné le
ton en février dernier avec un re­
cul de 80 %.
Maintenant que les chiffres sont
tombés, les experts s’essaient à
l’exercice délicat de prévoir la
baisse du marché français
en 2020. Le CCFA envisage un pre­
mier semestre à − 30 % et − 20 %
sur l’ensemble de l’année, ce qui
serait du jamais­vu. Une étude de
C­Ways, société de conseil en mar­
keting, publiée le 26 mars, donne
des résultats similaires. Cette der­
nière a réalisé ses prévisions en
fonction des niveaux de baisse du
produit intérieur brut (PIB) et à

la demande, commente Bernard
Jullien, économiste de l’automo­
bile, maître de conférences à
l’université de Bordeaux. Si le
pays est en récession, il n’est pas
sûr que l’achat automobile soit la
priorité des ménages. »
« Il semble clair qu’il n’y aura pas
de reprise verticale, abonde Fla­
vien Neuvy, économiste chez BNP
Paribas, directeur de l’Observa­
toire Cetelem de l’automobile et
de la consommation. Il faut s’at­
tendre à des comportements plus
que prudents de la part des ména­
ges. D’après une étude toute ré­
cente que nous nous apprêtons à
publier, l’inquiétude des sondés
sur leur avenir économique est très

forte. Plus forte même que l’inquié­
tude sanitaire. »
Tous les regards se tournent dé­
sormais vers l’Etat. Plan de re­
lance? Prime à la casse? Assou­
plissement des réglementations
environnementales? En atten­
dant, les spécialistes se satisfont
des mesures d’urgence prises. « Le
seul point pas trop négatif de la si­
tuation, c’est qu’en ce moment la
production s’est arrêtée, ce qui
évite de stocker des véhicules qu’on
bradera plus tard, note M. Jullien.
C’est l’un des avantages du chô­
mage partiel : rendre variable au
moins une partie des coûts fixes. »
Mais cela risque de ne pas suf­
fire. « La casse risque d’être inson­

dable si l’Etat ne met pas en place
des mesures de soutien du marché,
alerte Eric Champarnaud, diri­
geant et cofondateur de C­Ways. La
distribution automobile ne vit que
grâce aux primes de volume ver­
sées par les constructeurs en fin
d’année. » « Attention aux consé­
quences d’une prime de soutien à
l’achat, nuance Bernard Jullien.
Elle aurait un effet négatif sur le PIB
car les petites voitures, qu’elle avan­
tagerait, sont désormais fabri­
quées à l’étranger. L’idée d’une
prime sur les véhicules utilitaires
serait plus efficace : la totalité de
ceux de Renault et la moitié de ceux
de PSA sont fabriqués en France. » 
éric béziat

Dans une concession Renault, à Paris, le 26 mars. FRANCK FIFE/AFP

L’augmentation des retards de paiement


menace la survie des entreprises


Selon la Banque de France, 13 milliards d’euros de factures sont aujourd’hui en souffrance


C


onfrontées à un arrêt total
ou partiel de leur activité
pour cause de confine­
ment, les entreprises doivent dé­
sormais affronter un autre virus,
tout aussi dangereux que la
baisse du chiffre d’affaires : les re­
tards de paiements de la part de
leurs clients, qui mettent à mal
leur trésorerie et risquent de
conduire nombre d’entre elles à
mettre la clé sous la porte.
« Il y a les sociétés qui, dès le dé­
but de la crise, ont compris qu’il
fallait préserver les filières et payer
leurs fournisseurs, mais ce n’est
pas la majorité , résume Laurent
Vronski, secrétaire général de l’as­
sociation CroissancePlus. Et il y a
les autres, celles qui, grâce au coro­
navirus, ont une excuse toute trou­
vée pour ne pas payer les factures,
qui ont choisi de préserver leur tré­
sorerie et fermé tous les robinets.
Et il y a encore pire : celles qui de­
mandent à leur fournisseur une re­
mise commerciale comme condi­
tion préalable au paiement. Un vé­
ritable racket! »
Selon les chiffres de la Banque
de France, 13 milliards d’euros de
factures seraient ainsi en souf­
france, sur un total de 700 mil­
liards de crédits interentreprises.
De quoi mettre en péril la survie
même de milliers de petites struc­
tures pour lesquelles la trésorerie
est réellement « le nerf de la

guerre », et occasionner des dé­
faillances en série.
La situation est telle que Bruno
Le Maire, le ministre de l’écono­
mie, et François Villeroy de Gal­
hau, le gouverneur de la Banque
de France, ont réuni par vidéo­
conférence, mardi 31 mars, un co­
mité de crise. Animée par Pierre
Pelouzet, médiateur des entrepri­
ses à Bercy, et Frédéric Visnovsky,
médiateur national du crédit à la
Banque de France, cette instance
réunit les organisations profes­
sionnelles patronales (AFEP,
CPME, Medef, U2P), ainsi que les
chambres de commerce.

« Situation d’abus généralisé »
Tous sont tombés d’accord pour
adopter une démarche « de sensi­
bilisation » des grands donneurs
d’ordres et les inciter à payer leurs
sous­traitants ou fournisseurs
dans les délais, plutôt qu’une ap­
proche plus coercitive. « Nous al­
lons appeler directement tous les
patrons ou les directeurs finan­
ciers qui ne seraient pas solidaires
pour les ramener dans le droit che­
min , explique M. Pelouzet. On l’a
déjà fait avec quelques­uns. Cela a
très bien fonctionné. »
Qui sont ces mauvais payeurs?
Si les regards se tournent vers les
grands groupes, les grosses PME
ne sont pas irréprochables non
plus. « On est aujourd’hui dans

une situation d’abus généralisé ,
remarque Alexandre Bardin, fon­
dateur de Rubypayeur, une entre­
prise spécialisée dans le recouvre­
ment de créances. Ce qui est sur­
prenant, c’est que nos clients nous
renvoient tous à peu près le même
mail, écrit dans les mêmes termes,
qui dit que le client n’est pas en me­
sure de payer compte tenu du
contexte économique. »
Rubypayeur, qui s’est vu confier
des centaines de milliers d’euros
de créances impayées en quel­
ques jours, atteint un taux de re­
couvrement de 30 %, contre 80 %
en temps normal. « Il n’y a pas que
de la mauvaise volonté en jeu ,
tempère Stéphanie Pauziat, re­
présentante de la CPME au comité
de crise. Beaucoup de grandes so­
ciétés ont entrepris une réorgani­
sation des services à cause du télé­
travail. Les choses vont peut­être
se mettre en place petit à petit. »

Si cet appel à la « solidarité » en­
tre entreprises ne fonctionne pas,
le comité de crise qui « se réunira
autant que nécessaire » avec
l’appui de la Répression des frau­
des (DGCCRF), qui piste les mau­
vais payeurs et établit un fichier
(accessible sur son site), passera la
vitesse supérieure, à savoir le re­
douté Name and Shame : rendre
publics les noms des entreprises
qui rechignent à régler leurs four­
nisseurs pourrait en effet les inci­
ter à rentrer dans le rang.
« Nous veillerons rigoureuse­
ment et scrupuleusement au res­
pect des délais de paiement par
les grandes entreprises » , a dé­
claré M. Le Maire, le 24 mars, rap­
pelant que « toutes les entrepri­
ses, en particulier les plus gran­
des, qui ne respecteraient pas
leurs obligations en termes de dé­
lais de paiement n’auront pas ac­
cès » à la garantie des prêts ban­
caires promise par l’Etat.
Sera­ce suffisant? « Dans les pro­
chaines semaines, on va avoir un
nombre de défaillances jamais vu
en France à cause de cela , craint
Alexandre Bardin. Le défaut de
paiement risque de faire davan­
tage de mal aux entreprises que
l’arrêt de l’activité. » Selon l’assu­
reur­crédit Euler Hermes, les dé­
faillances augmenteront de 8 %
en France en 2020.
béatrice madeline

Si les regards se
tournent vers les
grands groupes,
les grosses PME
ne sont pas
irréprochables
non plus

partir des données économétri­
ques des récessions précédentes.
Elle conclut qu’ « avec une réces­
sion comprise entre − 3 % et − 7 % le
marché reculerait de 10 % à 22 %.
Cette chute serait plus marquée
pour les ménages, de − 22 % à
− 33 %. Le marché des sociétés ré­
sisterait mieux (de 0 % à − 14 %) et
limiterait le recul. »
Mais ces scénarios restent mal­
gré tout optimistes car ils s’ap­
puient sur l’hypothèse d’un con­
finement pas trop étiré et d’un re­
bond de la consommation auto­
mobile. « Tout le monde cultive
l’espoir qu’il s’agisse d’une paren­
thèse, mais cela n’est certain ni du
côté de l’offre, ni même du côté de

Decathlon offre une respiration


aux personnels hospitaliers


C’


est une idée un peu folle née au cœur de cette Lom­
bardie industrielle, la région la plus touchée par la
pandémie de Covid­19. Mi­mars, alors que les hôpi­
taux locaux se trouvent submergés de patients présentant des
difficultés respiratoires, un médecin de Brescia, Renato Favero,
se met en rapport avec Isinnova, une PME des environs spécia­
lisée dans l’impression 3D, qui produisait en urgence des valves
pour appareils respiratoires. Son projet est plus ambitieux : il
s’agit d’adapter le masque de randonnée aquatique ( snorkeling )
Easybreath, développé par Decathlon, afin de pallier la pénurie
générale de masques pour respirateurs.
Conçue par le groupe d’équipements sportifs à Hendaye (Py­
rénées­Atlantiques), cette innovation permet de respirer dans
le masque par le nez et la bouche et connaît un grand succès de­
puis six ans. Le groupe avait prévu de commercialiser une nou­
velle version à l’été 2020, mais, aujourd’hui, l’enjeu est tout
autre : il s’agit de sauver des vies.
Isinnova a demandé à Decathlon de procéder à des tests. « On
les leur a donnés, ainsi que nos plans de fabrications en 3D », in­
dique­t­on chez Decathlon. Les appa­
reils sont démontés, une valve spé­
ciale (baptisée Charlotte) est conçue
pour permettre le raccordement aux
respirateurs, et, en à peine une se­
maine, deux prototypes sont conçus
et testés dans des hôpitaux de Brescia.
Ces tests sont concluants, et la nou­
velle se répand en un éclair sur les ré­
seaux sociaux. « En quelques semaines,
c’était l’emballement. On a eu des de­
mandes émanant de tous nos pays » , explique­t­on chez Decath­
lon, présent dans 69 pays. Que ce soit de l’Institut polytechni­
que de Milan, des hôpitaux comme à Montbéliard (Doubs), très
avancé sur le sujet, jusqu’à récemment aux Etats­Unis, de l’Uni­
versité de Stanford et de la NASA.
A ces organismes certifiés, Decathlon abandonne son brevet,
contre une décharge concernant l’utilisation du produit. L’en­
treprise a déjà fait don de dizaines de milliers de masques en
Europe... Dans l’Hexagone, elle en a même suspendu la com­
mercialisation sur Internet pour préserver ses stocks.
jérôme gautheret (rome, correspondant)
et cécile prudhomme

LE MASQUE 


EASYBREATH A ÉTÉ 


ADAPTÉ POUR PALLIER 


LA PÉNURIE GÉNÉRALE 


DE RESPIRATEURS


Chute libre
Nombre d’immatriculations
de véhicules personnels au mois
de mars en France, en milliers

2015 2016 2017 2018 2019 2020

62,

196

211

226 231 226

Infographie : Le Monde Source : CCFA
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