Libération - 06.04.2020

(Axel Boer) #1

Libération Lundi 6 Avril 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 13


plus de 600 000 ont besoin de soins réguliers. Photo Romain Longieras. Hans Lucas


aux 10 000 par semaine début
mars. Conséquence, les télé-
consultations constituent ces
jours-ci plus de 11 % de l’en-
semble des consultations, con-
tre moins de 1 % avant la crise.
Avec donc une augmentation
très forte du nombre de méde-
cins qui la pratiquent : un sur
trois a facturé au moins une té-
léconsultation la semaine der-
nière. Chez les généralistes,
cette proportion a quadruplé,
de 11 % à 44 %.

«Pesanteur»
Indéniablement, les pratiques
ont bougé. «Mais cela ne suffit
pas, souligne Jacques Battis-
toni. Aujourd’hui, nos cabinets
sont désertés, et ce n’est pas une
bonne nouvelle. Il y a des pa-
tients que l’on doit voir : ils peu-
vent développer une pathologie
grave, une ­appendicite ou une
pyélonéphrite, c’est-à-dire une
infection urinaire aggravée.
Et ils ne viennent pas. Nous
avons des malades cardiaques
qui doivent faire un examen.
­D’accord, ils peuvent attendre
quinze jours, mais on ne peut
pas toujours repousser. Et les
téléconsultations ne répondent
pas à tout.»
Autre lieu, une maison de
santé dans le XIe arrondisse-
ment de Paris, liée au service
de maladies infectieuses de
l’hôpital Saint-Antoine. La
­médecin a pris le pli. Elle n’en
revient pas. «Avec la Sécu, c’est
incroyable : avant elle bloquait
tout, là tout marche et tout est
facilité pour les paiements.
Et c’est bien que les ordon­-
nances déjà écrites aient pu
être ­prolongées automatique-
ment.» Mais, corrige-t-elle,
«j’ai des collègues libéraux qui

ne font presque plus rien. C’est
étrange».
Près du Havre, le docteur Jean
Méheut-Ferron, a, lui, rouvert
sa maison de santé. Ce méde-
cin généraliste avait été inter-
dit d’exercice pendant un mois
pour avoir utilisé du midazo-
lam, ce médicament qui adou-
cit la fin de vie (mais réservé
aux médecins hospitaliers). «Je
dors même maintenant dans
mon cabinet, j’ai besoin d’être
à fond, raconte-t-il. Mon souci,
c’est comment préserver le droit
des patients. Ce n’est pas facile
avec toutes les recommanda-
tions que l’on a faites. Quand
c’est grave pour une personne
âgée, que faire? J’hésite à hos-
pitaliser.» Il note, dans sa pra-
tique, des changements : «Par
exemple, je ne prends plus
­systématiquement la tension,
car je n’ai pas assez de produits
pour désinfecter à chaque fois
le tensiomètre. Mais, ici, à la
campagne, on n’a pas encore
subi tous les effets du confi­-
nement. Et pourtant, cela a
changé. Il y a une pesanteur
que je ressens, on fait des arrêts
de travail qui n’ont pas beau-
coup de sens, les gens sont
­souvent moins exposés à leur
boulot que chez eux mais ils ont
peur...» Du côté de l’assurance
maladie, pour l’heure, on se
veut rassurant : «Rien n’indique
une détérioration des critères
de morbidité.» On aimerait les
croire...•

(1) Sur la base de 1 647 réponses ob-
tenues en France, entre le 17 (début
du confinement) et le 30 mars. Care-
nity est un réseau social qui ras­-
semble plus de 400 000 patients et
aidants dans le monde autour des
maladies chroniques.

sors plus. Alors que
j’avais une grande ­confiance
dans l’hôpital, là, j’hésite à
­aller à mes séances de contrôle.»
«Il n’y a aucun argument ac-
tuellement, au vu de la situa-
tion épidémiologique française,
pour suspendre ou reporter les
traitements de votre cancer»,
insiste pourtant sur son site
la Ligue contre le cancer. Pour
les ­personnes greffées, envi-
ron 64 000 en France, le pro-
fesseur Olivier Bastien, res-
ponsable du ­prélèvement et
des ­greffes à l’Agence de la
­biomédecine, a lancé dans
le Parisien un appel pour «ne
pas interrompre le traitement
antirejet car ce ­serait une
­erreur majeure».
La situation est incertaine,
avec en ­arrière-fond la crainte
qu’une partie des patients,
­atteints de maladies chroni-
ques, mettent entre parenthè-
ses leur prise en charge. On
peut le redouter à la lecture
d’un sondage réalisé par Care-
nity (1) auprès de patients
­atteints de maladies chroni-
ques. Les ­résultats sont alar-
mants. Il ­apparaît que 41 % des
­patients interrogés ont eu une
consultation ou intervention
chirurgicale ­annulée ou repro-
grammée, 25 % ont du mal
à trouver un médecin dispo­-
nible, 12 % ont arrêté ou inter-
rompu leur traitement de
fond, 8 % ont des difficultés
à trouver leur traitement en
pharmacie, 7 % ont inter-
rompu provisoirement la prise
de leurs médicaments et 5 %
ont totalement arrêté leur
­traitement.
Pour le tout-venant des
­consultations en médecine
­générale, le Covid-19 semble
aussi avoir tout chamboulé.
Médecin généraliste près de
Caen, Jacques Battistoni pré-
side le plus important syndicat
de médecins généralistes,
MG France. Il s’avère égale-
ment surpris. Mais aussi un
rien agacé. «Tous nos ­collègues
le disent, dans leur cabinet
comme dans les maisons de
santé, il y a beaucoup moins de
monde : nos patients ne vien-
nent pas, ou moins. Mais à leur
décharge, ils ont été assommés
d’une communication gouver-
nementale très négative : “Sur-
tout ne dérangez pas pour rien,
surtout n’allez pas voir votre
médecin traitant.”»
Le message des autorités sani-
taires était en effet ambigu :
­téléphoner plutôt que passer.
Et parallèlement ont été vantés
les mérites de la téléconsul­-
tation. Résultat, selon l’assu-
rance maladie, qui évoque une
«croissance exponentielle
­depuis l’annonce du confine-
ment», près de 500 000 télé­-
consultations ont été réalisées
la semaine dernière. Avant
cela, elle en a recensé quelque
80 000 lors de la première se-
maine de confinement (du 16
au 22 mars), puis 486 369 lors
de la suivante. A comparer

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presente par elisabeth quin
du lundi au jeudi a 20h05 sur
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