12 |coronavirus SAMEDI 28 MARS 2020
0123
Les syndicats
d’Amazon
ne désarment pas
Certains salariés envisagent des recours
judiciaires à l’encontre de l’ecommerçant
D
eux semaines après l’an
nonce des premières
mesures de confine
ment par Emmanuel Macron, les
syndicats d’Amazon continuent
de revendiquer l’arrêt du travail.
« Amazon continue de privilégier
ses ventes au détriment de la santé
de ses employés. Chaque jour, il y a
des milliers de contacts entre em
ployés dans les entrepôts, c’est in
cohérent avec le fait de demander
au reste des salariés de rester chez
eux pour éviter la propagation du
coronavirus », estime Julien Vin
cent, délégué central CFDT.
Signe de l’inquiétude, le taux
d’absentéisme total atteindrait
« autour de 50 % » dans la branche
logistique d’Amazon, selon
M. Vincent. Ce chiffre cumule les
droits de retrait − que l’entreprise
ne veut pas payer −, les congés, les
congés sans solde et les maladies.
Selon Alain Jeault, délégué central
de la CGT, la direction a, elle, évo
qué le taux de 30 % lors du comité
d’entreprise extraordinaire du
jeudi 26 mars. Contactée, la bran
che logistique estime ce chiffre
trop élevé. L’entreprise objecte
notamment que ces totaux intè
grent des absences liées aux
congés accordés aux parents
d’enfants sans mode de garde.
L’absentéisme total avoisinerait
plutôt les 20 %, selon la direction.
Nouvel angle d’attaque
L’intersyndicale continue d’esti
mer les mesures de sécurité insuf
fisantes : « Manque de gel hydroal
coolique, pas de masques, pas de
gants », liste Tatiana Campagne,
élue SUDSolidaires du site de
LauwinPlanque (Nord). Venir au
travail chez Amazon implique
aussi des contacts dans les trans
ports en commun et il n’y a pas de
contrôle de température, ajoute
JeanFrançois Bérot, élu SUDSoli
daires du site de Saran, cité par La
République du Centre. Dans cet en
trepôt du Loiret, un employé a été
diagnostiqué positif au Covid19,
lundi, et 32 collègues ont été en
voyés en quarantaine pour avoir
été à son contact.
Le géant américain a renforcé
progressivement sur ses sites les
mesures pour tenter de faire res
pecter l’hygiène et la distanciation
sociale entre salariés. « Avec une
distance minimum de deux mè
tres, nous sommes mieuxdisants
par rapport aux recommanda
tions des autorités », soutient la di
rection. Le gel hydroalcoolique est
disponible sur les sites, selon l’en
treprise. Quant au port de mas
ques et de gants, « ce n’est pas une
recommandation » des autorités.
Les syndicats ont un nouvel an
gle d’attaque : selon eux, Amazon
a menti en assurant ne distribuer
que des « produits essentiels »
pour répondre à la crise due au
coronavirus. L’entreprise a an
noncé, le 18 mars, se concentrer
sur les produits pour la maison,
alimentaires, médicaux, de soins
de beauté... Or, le groupe livre
aujourd’hui des transats, ironise
une salariée du site de Boves, près
d’Amiens, dans une photo parta
gée sur un groupe Facebook.
« On voit des ballons de foot, des
consoles de jeu vidéo, de l’engrais
pour gazon... et pas plus de riz ou
de pâtes qu’avant », renchérit
M. Vincent, qui a écrit au cabinet
du ministre de l’économie, Bruno
Le Maire, pour l’alerter. De fait,
sur Amazon.fr, tout semble dispo
nible, de la robe à l’appareil photo.
Certes avec des délais de livraison
rallongés. Ces derniers sont en
moyenne plus longs pour les pro
duits non prioritaires , assure la
direction. Selon cette dernière, la
politique de restriction est bien
réelle et devrait être « de plus en
plus visible ». « Nous sommes les
seuls à avoir pris ce genre de déci
sion », ajouteton.
Dans ce conflit, Amazon peut se
prévaloir d’une forme de soutien
du gouvernement. Interrogée
mercredi 25 mars sur Europe 1,
Muriel Pénicaud, la ministre du
travail, a d’ailleurs répondu : « De
ce que je sais, maintenant, les
conditions de sécurité sont là. »
Tout en demandant le respect du
« dialogue social ».
Face à la fermeté d’Amazon, les
salariés ne se découragentils
pas? « En tout cas, certains devien
nent plus radicaux : on voit des
profils qui faisaient du zèle se met
tre à haïr l’entreprise », selon
M. Vincent. « Nous n’allons pas lâ
cher le morceau, dit M. Jeault.
Nous étudions avec les syndicats
des recours judiciaires. Aux
prud’hommes, pour faire payer les
jours de droit de retrait. Et aussi au
pénal, pour mise en danger de la
vie d’autrui. »
alexandre piquard
Bruxelles réclame des données d’opérateurs
téléphoniques pour évaluer le confinement
Les informations recueillies seront agrégées et non nominatives. En France, Orange a été choisi
L
es données personnelles
des Européens vont être
mises à contribution con
tre la pandémie de Covid19 : la
Commission européenne a, en ef
fet, demandé aux opérateurs télé
phoniques de plusieurs pays de
fournir des données agrégées sur
leurs abonnés mobiles pour
mieux comprendre et anticiper
l’évolution de la pandémie.
La demande a été formulée par
Thierry Breton, l’actuel commis
saire européen au marché inté
rieur – par ailleurs ancien diri
geant de France Télécom – direc
tement auprès de la GSMA, une
association représentant 750 ac
teurs du secteur de la téléphonie
mobile dans le monde.
L’idée, expliqueton au cabinet
du commissaire français, est
« d’analyser la densité de popula
tion dans le temps pour voir le lien
entre les mesures de confinement
et la propagation du virus, avec
comme objectif clair d’anticiper les
pics de contamination ».
La vitesse de propagation de
l’épidémie étant directement liée
au respect du confinement, la
Commission veut donner aux
chercheurs européens du Centre
commun de recherche, récipien
daires des données, les moyens
d’aider les autorités locales à « di
mensionner » correctement l’offre
de soins en vérifiant, grâce aux
données mobiles, « si les consignes
de confinement sont appliquées ».
Les données n’ont pas encore
été fournies et les travaux statisti
ques n’ont donc pas commencé.
Mais aucun opérateur européen
n’a manifesté de refus, faiton sa
voir au cabinet de Thierry Breton,
mercredi 25 mars. Les premières
informations devraient arriver
« dans les prochains jours ». Un
seul opérateur par pays devrait
être désigné, suffisamment im
portant pour que ses données
soient statistiquement représen
tatives des mouvements de po
pulation dans son pays. En
France, c’est Orange qui a été
choisi. Telecom Italia (pour l’Ita
lie) et Telefonica (en Espagne) ont
aussi été sollicités.
Dans les clous de la législation
Cet appel a eu lieu alors que cer
tains opérateurs ont déjà com
mencé à partager ce type de don
nées avec leurs autorités nationa
les. La Commission espère faire
œuvre de centralisation et de ra
tionalisation en la matière.
Le cabinet de M. Breton l’assure :
ce projet est parfaitement dans
les clous de la législation en ma
tière de vie privée, à la fois la di
rective ePrivacy et le règlement
européen sur la protection des
données personnelles (RGPD).
D’abord, les données des abon
nés aux services de téléphonie
mobile (qui peuvent être récol
tées, par exemple, lorsqu’une
carte SIM se connecte à une
antenne relais) feront l’objet d’un
traitement purement statistique :
elles ne seront pas directement
accompagnées d’identifiants,
mais agrégées en grandes masses
et, donc, « anonymes ». « Cela ne
ressemble ni de près ni de loin à ce
qui est fait en Chine ou en Corée, où
les utilisateurs sont tracés à titre
individuel pour voir s’ils respectent
individuellement le confinement » ,
assureton au cabinet de M. Bre
ton. Les chercheurs devraient
pouvoir évaluer l’effet des mesu
res de confinement « à l’échelle
d’un code postal » et non pas d’un
quartier ou même d’une ville.
La Commission européenne de
venant responsable de ces don
nées personnelles, elle sera sou
mise au contrôle de l’autorité de
protection des données des insti
tutions européennes, le Contrô
leur européen de la protection
des données (CEPD).
Ses équipes confirment avoir
été « consultées » par la Commis
sion et confirment que le projet,
utilisant des « informations agré
gées » , ne permettra pas de « tra
cer des individus ». « Sur la base
des informations disponibles, [ce
projet] est en effet anonyme » , fait
savoir un porteparole de l’orga
nisation, déclarant s’intéresser
attentivement à la suite des opé
rations.
Les opérateurs téléphoniques
ont été mis à contribution dans
de nombreux pays dans le
monde pour comprendre l’épi
démie, évaluer les mesures de
confinement, voire, dans cer
tains cas, contrôler leur applica
tion au niveau individuel. En
Autriche, en Italie ou au Royau
meUni, des études statistiques
sur la base de données téléphoni
ques ont déjà été entreprises
ou sont en projet, non sans polé
miques sur la question des don
nées personnelles. En France,
Orange collabore déjà étroite
ment avec l’Institut national de
la santé et de la recherche médi
cale (Inserm) en lui fournissant
des données mobiles de géoloca
lisation agrégées.
On est cependant loin de cer
tains dispositifs mis en œuvre,
par exemple en Corée du Sud, à
Taiwan ou en Israël, où les don
nées téléphoniques permettent
aux autorités de détecter et
d’identifier les personnes ne res
pectant pas les mesures de confi
nement et, le cas échéant, de les
sanctionner.
martin untersinger
Dans la tempête,
la presse écrite navigue à vue
Les mesures de chômage partiel se multiplient, notamment dans les
titres spécialisés. Mais le public n’a jamais été aussi avide d’informations
U
n dimanche soir, on
était les maîtres du
monde. Le mardi ma
tin, c’était terminé. En
24 heures, le monde avait changé. »
Trois semaines après l’annulation
de l’Euro 2020, pour cause de co
ronavirus, et qui devait permettre
au magazine So Foot de cartonner
cette année, Franck Annese, le
fondateur de So Press, n’en re
vient toujours pas. « C’était parti
pour être notre meilleure année,
on avait plein de projets, ça nous a
séchés » , témoigne le quadra à cas
quettes, qui a créé, outre So Foot ,
Society , Pédale! (cyclisme), ou
Running Heroes (course à pieds)
ou Tampon! (rugby).
Comme toute la presse, l’édi
teur subit de plein fouet le cata
clysme du Covid19, qui fait fuir
les annonceurs, ferme les kios
ques, vide certaines rubriques
(culture, loisirs, etc.) de leurs
substances. Pour tenir la barre,
Franck Annese a « suspendu les
parutions d’avril de Tsugi , consa
cré à la musique, et de So Film , au
cinéma » , mis une soixantaine de
CDI au chômage partiel, total ou à
temps partiel, en fonction des
métiers, et ce afin de « continuer à
payer les pigistes » , le nerf de la
guerre de ses publications.
Au Parisien , l’annonce de mesu
res de chômage partiel, qui vont
concerner la régie, une grande
partie des fonctions supports, et la
rédaction, a créé l’émotion en in
terne. Tous les journalistes des ru
briques immobilier et hippisme
sont mis à l’arrêt, comme la moi
tié des rédacteurs sport, et 30 % du
service culturespectacle. « Nous
avons eu soudainement l’impres
sion de ne plus faire partie de la
grande famille de la rédaction. Le
sentiment qu’il y a désormais des
journalistes dont le travail est né
cessaire et d’autres dont on n’a plus
besoin » , s’est ému le service sport,
dans une lettre ouverte à la direc
tion, et signée par une grande par
tie de la rédaction.
« Nous sommes touchés plus que
d’autres par la fermeture de nom
breux points de vente. Sans comp
ter la chute de la pub » , justifie So
phie Gourmelen, la directrice gé
nérale du journal. Pourquoi le
propriétaire du titre, Bernard Ar
nault, qui a fait don de 40 mil
lions de masques aux hôpitaux,
ne donnetil pas un coup de
main au titre, s’interrogent cer
tains journalistes? « L’actionnaire
nous a aidés sur pas mal de cho
ses. Mais l’on doit préserver au
mieux le résultat de l’entreprise » ,
justifie la dirigeante.
Paradoxe de cette crise, le public
n’a jamais été autant avide d’in
formations. Les rédactions tour
nent à plein régime, les audiences
des sites Internet sont en hausse,
les abonnements numériques ex
plosent. « Nous avons supprimé
les rubriques tourisme et arts de vi
vre, mais le chiffre d’affaires se
maintient » , se félicite Frédérick
Cassegrain, directeur général de
l’hebdomadaire Marianne , très
peu dépendant de la publicité.
Signe de l’appétence du public,
les ventes des quotidiens d’infor
mation généraliste ont progressé
de 14 % la semaine du 16 mars
dans les kiosques encore ouverts.
D’où la forte émotion des éditeurs
quand ils ont appris que La Poste
allait réduire ses tournées. « Je
suis très inquiète des conséquen
ces à venir sur les abonnés » , indi
que Sophie Gourmelen. « Nous
déplorons que La Poste renonce à
sa mission de service public, alors
que nos lecteurs ont plus que be
soin d’informations » , s’est ému Le
Figaro vendredi dans un éditorial.
Les déboires de Presstalis
Les gros paquebots de la presse gé
néraliste, comme Le Figaro ou Le
Monde , paraissent un peu mieux
armés pour affronter la tempête,
tout en étant pénalisés par la
chute vertigineuse de la publicité.
« Nous avons mis au chômage par
tiel 760 de nos 2 200 collabora
teurs, travaillant à la régie, la billet
terie spectacles, les voyages, etc.
Mais pas la rédaction, qui est mobi
lisée sur la crise. On a besoin de tous
les bras » , témoigne Marc Feuillée,
le patron du Figaro. Au Monde ,
dont 20 % du chiffre d’affaires dé
pend de la publicité, aucune déci
sion de chômage partiel n’a en
core été prise pour l’instant.
En revanche, les publications
spécialisées semblent plus tou
chées. Le journal L’Equipe , qui n’a
plus aucun événement sportif à
chroniquer, vient d’annoncer la
suspension du magazine du week
end à partir du 11 avril, tandis
que France Football passe d’heb
domadaire à quinzomadaire. « Le
groupe n’exclut pas un recours au
chômage partiel si la pandémie de
vait durer » , précise un portepa
role. En attendant, le quotidien a
baissé son prix de vente à 1 euro, et
a réduit sensiblement sa diffusion
dans les kiosques.
Ces difficultés interviennent
alors que Presstalis, qui distribue
75 % de la presse en France, est
au bord du dépôt de bilan. Une
situation aggravée par l’épidé
mie : 3 379 points de vente (dont
les boutiques Relay) des
20 000 kiosques ont fermé, re
présentant un manque à gagner
de 19,3 % du chiffre d’affaires. Un
redressement judiciaire était pro
grammé pour fin mars, mais le
tribunal a finalement repoussé
d’un mois la procédure de conci
liation, sans quoi « cela aurait fait
chuter toute la filière » , indique
ton chez Presstalis.
Actionnaires de la coopérative,
les éditeurs de quotidiens et de
magazines négocient encore sur
les conditions de continuité de
Presstalis. Jusquelà en guerre sur
les modalités, « les points de vue
se rapprochent » , affirme Frédé
rick Cassegrain, qui représente
les magazines.
Franck Annese, lui, est pressé de
quitter les messageries nées
aprèsguerre, pour rejoindre sa
concurrente MLP. « On est otage
du Titanic, alors que ce système ne
correspond pas du tout à nos be
soins » , se désole l’éditeur, qui
s’apprête à y perdre des plumes.
Inéluctable, le redressement judi
ciaire fera perdre 120 millions
d’euros aux éditeurs, soit les som
mes dues par les messageries
pour les ventes passées. De petits
éditeurs fragiles pourraient met
tre la clé sous la porte.
sandrine cassini
Les ventes
des quotidiens
généralistes ont
progressé de
14 % la semaine
passée, dans
les kiosques
encore ouverts
La Commission
européenne
devient
responsable
de ces données
personnelles
D I S T R I B U T I O N
Casino suspend
ses objectifs financiers
pour 2020
Le groupe de distribution
Casino a annoncé, jeudi
26 mars, avoir enregistré
une perte nette de plus de
1,4 milliard d’euros en 2019,
l’expliquant par des « dépré
ciations d’écarts d’acquisi
tion » du fait de la cession
de son enseigne discount
Leader Price. Il a suspendu
ses objectifs financiers pour
2020 en raison d’un « envi
ronnement macroéconomi
que incertain » dû au corona
virus, tout en assurant que
ses objectifs de réduction
des coûts et de cessions
d’actifs non stratégiques
sont maintenus.
A U TO M O B I L E
Recul attendu de
la production de 15 %
en Grande-Bretagne
La fédération britannique
des constructeurs automobi
les indique, vendredi
27 mars, que la fermeture
des usines pour faire face
à la crise sanitaire du Co
vid19 devrait provoquer un
repli de la production d’au
moins 15 %, soit 1,06 million
de véhicules assemblés sur
l’année, contre 1,27 million
prévus précédemment. Pour
l’organisation, le secteur, qui
emploie 800 000 personnes
dans le pays, a besoin que
« des fonds soient débloqués
urgemment » pour « le main
tenir en vie ».
É L E C T R O N I Q U E
Le fabriquant Dyson
lance la production
de respirateurs
James Dyson, le fondateur de
l’entreprise connue pour ses
aspirateurs sans fil et ses ven
tilateurs, a annoncé, jeudi
26 mars, que sa société allait
produire des respirateurs.
« Nous avons reçu une pre
mière commande de
10 000 unités par le gouverne
ment du RoyaumeUni, que
nous honorerons. Nous re
cherchons également un
moyen de rendre ce dispositif
disponible à l’international » ,
atil indiqué. Une partie des
appareils seront distribués
gratuitement. Selon CNN, ce
respirateur artificiel baptisé
CoVent sera prêt début avril.