14 |international SAMEDI 28 MARS 2020
0123
Maduro poursuivi
aux EtatsUnis pour
« narcoterrorisme »
Washington exige le départ du président
du Venezuela depuis janvier 2019
bogota et washington
correspondants
L
a politique de « pression
maximale », qui est deve
nue la ligne des EtatsUnis
visàvis de ses adversaires les
plus irréductibles, a franchi un
nouveau pas, jeudi 26 mars, à
Washington. Le département de
la justice a annoncé des poursui
tes contre l’homme fort du
Venezuela, Nicolas Maduro, et
d’un cercle de ses proches, accu
sés de narcotrafic. Les EtatsUnis
exigent son départ depuis
janvier 2019, date à laquelle ils
ont reconnu l’opposant Juan
Guaido comme président du
pays par intérim.
Les inculpations annoncées
jeudi sont assorties de primes
versées à qui fournira « des infor
mations menant à l’arrestation et/
ou à la condamnation du respon
sable vénézuélien ». Sa tête est
mise à prix pour 15 millions de
dollars (13,6 millions d’euros), des
sommes de 10 millions de dollars
et de 5 millions de dollars sont
offertes pour ses subalternes.
L’intitulé des charges retenues
contre le président actuellement
en place à Caracas peut surpren
dre. Un procureur du district sud
de New York, Geoffrey Berman,
l’accuse d’avoir « dirigé, avec ses
principaux lieutenants, un parte
nariat de narcoterrorisme » avec
l’ancienne guérilla colombienne
des Forces armées révolutionnai
res de Colombie (FARC), « au cours
des vingt dernières années ». Il
aurait, selon la justice américaine,
dirigé personnellement un
groupe mafieux, le « cartel des so
leils » , à l’origine de l’expédition
de milliers de tonnes de drogue
vers les EtatsUnis, notamment
via le Honduras.
Selon le procureur, « Maduro et
les autres accusés », par ailleurs
mis en accusation pour pillage
des ressources du Venezuela,
« avaient expressément l’inten
tion d’inonder les EtatsUnis de
cocaïne, afin de nuire à la santé et
au bienêtre de [la] nation ». « Ma
duro a délibérément utilisé la
cocaïne comme une arme »,
assure M. Berman. Une procu
reure de Floride, Ariana Fajardo
Orshan, a également mis en
cause le blanchiment des revenus
de ce trafic dans la flambée de
l’immobilier à Miami.
Ces inculpations marquent une
rupture avec la ligne adoptée par
Washington après la reconnais
sance de Juan Guaido comme le
président légitime du Venezuela.
Les autorités américaines mi
saient alors sur une pression
internationale qui provoquerait
le départ volontaire de Nicolas
Maduro. « Nous ne voulons pas
vous traîner en justice, nous ne
voulons pas vous persécuter, nous
voulons que vous quittiez le
pouvoir », résumait l’envoyé
spécial du département d’Etat
pour le Venezuela, Elliott Abrams.
A Caracas, le ministre des rela
tions extérieures, Jorge Arreaza, a
réagi en dénonçant un « coup
d’Etat » contre le Venezuela, « au
moment où le monde affronte la
plus terrible des pandémies ». Juan
Guaido a fait savoir, dans un
communiqué, qu’il espérait que
la décision du gouvernement
américain « aidera [it] à libérer le
pays du système criminel en place
au Venezuela depuis de longues
années ».
Fracturer le chavisme
La décision du département de
justice intervient alors qu’au
Venezuela le débat est vif, au sein
de l’opposition, entre les parti
sans d’un renforcement des sanc
tions américaines et ceux qui
considèrent que, coronavirus
oblige, une forme de concertation
avec le régime s’impose. « La déci
sion américaine ne peut qu’appro
fondir le fossé qui les sépare » ,
souligne l’analyste politique
vénézuélienne Elsa Cardozo.
Les premiers espèrent que la
pression internationale va finir
par fracturer le chavisme au
pouvoir depuis vingt ans. L’éco
nomiste Angel Garcia Banchs, qui
défend l’option d’une interven
tion militaire américaine, s’est ré
joui « de la décision des EtatsUnis
qui, en désignant le Venezuela
comme un Etat protégeant le ter
rorisme, bloque en pratique toute
possibilité d’issue négociée ».
Mercredi, l’ancien candidat
présidentiel d’opposition Henri
que Capriles s’était, lui, prononcé
en faveur de la concertation avec
le régime : « Cette pandémie doit
être l’occasion de chercher une
forme d’accord puisque [le
régime] contrôle le pays à l’inté
rieur, et nous l’aide internatio
nale ». Un infirmier de l’hôpital de
San Cristobal, une ville située près
de la frontière avec la Colombie,
résume : « Je n’aurais jamais cru
que j’allais dire ça, mais ce n’est pas
le moment de renverser Nicolas
Maduro. Le chaos politique serait
la pire des situations pour affron
ter la tragédie sanitaire qui se met
en place. »
marie delcas et gilles paris
Quatre membres d’une ONG française
libérés en Irak sur fond de retrait de troupes
Les trois Français et un Irakien de SOS Chrétiens d’Orient avaient été enlevés en janvier
T
rois Français et un Irakien,
membres de l’ONG fran
çaise SOS Chrétiens
d’Orient, qui avaient été enlevés à
Bagdad le 20 janvier, ont été libé
rés, a annoncé l’Elysée, jeudi
26 mars au soir. « Le président de
la République se félicite de la libé
ration de nos trois compatriotes
Antoine Brochon, Julien Dittmar,
Alexandre Goodarzy, et de l’Ira
kien Tariq Mattoka, tous employés
de l’ONG SOS Chrétiens d’Orient » ,
indique un bref communiqué de
la présidence française.
L’Elysée a salué « la coopération »
des autorités irakiennes dans la li
bération des membres de cette as
sociation qui vient en aide aux mi
norités chrétiennes de la région et
dont les responsables sont pro
ches de l’extrême droite.
Si peu de détails ont filtré sur les
circonstances de leur enlèvement
et sur l’identité de leurs ravis
seurs, les soupçons se portent sur
des milices chiites proches de
l’Iran. Ces dernières ont multiplié
les menaces après l’assassinat, le
3 janvier à Bagdad, dans une frappe
de drone américaine du général ira
nien Ghassem Soleimani, le chef de
la Force AlQods des gardiens de la
révolution, et de son lieutenant en
Irak, Abou Mahdi AlMohandes.
Ces factions armées, ainsi que des
partis chiites proches de l’Iran, ont
juré de bouter les forces étrangères
- notamment américaines, compo
sées de 5 200 soldats – hors d’Irak.
Confinement du pays
Le retrait d’une partie des forces de
la coalition internationale de lutte
contre l’organisation Etat islami
que (EI) en Irak a débuté la semaine
dernière, face à la propagation de
l’épidémie due au coronavirus.
Après le retrait partiel ou total des
contingents américain, britanni
que, australien et tchèque, ce sont
les 200 soldats français de l’opéra
tion « Chammal » qui ont quitté le
pays jeudi. « En coordination avec le
gouvernement irakien, la coalition a
décidé d’ajuster son dispositif en
Irak et de suspendre provisoire
ment ses activités de formation
des forces de sécurité irakiennes,
compte tenu notamment de la
crise sanitaire » , a annoncé la
veille l’étatmajor français. Le re
trait des militaires français est « a
priori temporaire » , a précisé à
l’Agence FrancePresse (AFP) le
porteparole de l’étatmajor fran
çais, le colonel Frédéric Barbry.
Les entraînements assurés par
les 2 500 instructeurs étrangers
de la coalition – un tiers des effec
tifs – ont été suspendus début
mars, selon un responsable de la
coalition. Le ministère de la dé
fense britannique avait, pour sa
part, indiqué que ces entraîne
ments et ceux de l’OTAN seraient
« mis en pause » pour soixante
jours. Si l’épidémie du nouveau
coronavirus est à ce stade conte
nue en Irak, avec 36 décès et
400 cas confirmés, la menace de
propagation demeure. Le con
trôle de la frontière – officielle
ment scellée – avec l’Iran, où le vi
rus a déjà tué plus de 2 200 per
sonnes, et le respect du confine
ment en Irak, étendu jusqu’au
11 avril, sont un défi pour Bagdad.
Ces retraits coïncident avec un
redéploiement des troupes de la
coalition antiEI en Irak. Après
avoir évacué, le 19 mars, la base
d’AlQaïm, à la frontière syrienne,
elles ont rendu, jeudi, le contrôle
de celle de Qayyarah, dans le nord
du pays, aux forces irakiennes.
L’évacuation de la base K1 devrait
suivre. Les troupes devraient être
en parties redéployées sur les
cinq autres bases que partage la
coalition avec les forces irakien
nes, et en partie envoyées en Syrie
et au Koweït, selon des responsa
bles américains. Si ces derniers as
surent que ce redéploiement était
programmé depuis plusieurs
mois, du fait des capacités accrues
des forces irakiennes dans la lutte
antiEI, les bases évacuées sont les
plus exposées aux attaques des
milices chiites proTéhéran.
hélène sallon
En Israël, Benny Gantz renonce
au poste de premier ministre
Le dirigeant du parti Bleu Blanc devient président de la Knesset et se
prépare à participer à un gouvernement d’union avec M. Nétanyahou
jérusalem correspondant
L
e général Benny Gantz est
fatigué. Las des divisions
insolubles de son mouve
ment, Bleu Blanc. Las
après trois campagnes législati
ves en un an. Las de la majorité de
députés qu’il avait su rassembler
à la Knesset, après le dernier
scrutin du 2 mars. En accord sur
rien sinon sur leur détestation du
premier ministre, Benyamin
Nétanyahou, ils demeuraient in
capables de former un gouverne
ment d’alternance.
Jeudi 26 mars, M. Gantz a jeté
l’éponge. L’ancien chef d’étatma
jor, entré en politique il y a un an à
peine, ne cherchera pas à déposer
le premier ministre. Il met de côté
la promesse sur laquelle il avait
rassemblé un million d’électeurs.
Au contraire, M. Gantz a fait explo
ser son propre mouvement, dans
l’espoir de rallier à terme « un gou
vernement d’urgence nationale »
dirigé par M. Nétanyahou. Afin de
mettre fin, ensemble, à une crise
politique dans laquelle l’Etat
s’abîme, pour faire face à l’urgence
de l’épidémie due au SARSCoV2.
Ce « deal » n’est pas encore pu
blic. Pour l’heure, M. Gantz s’est
fait élire temporairement à la tête
du Parlement, jeudi, avec le sou
tien du « bloc » de droite de M. Né
tanyahou. Il fait ainsi barrage aux
plans de son propre camp, au mo
ment crucial où celuici prenait le
contrôle de l’institution législa
tive. Ils entendaient nommer à ce
poste Meir Cohen, membre de la
faction libérale et centriste de Bleu
Blanc, opposée à tout accord avec
M. Nétanyahou. Sous sa houlette,
ils se proposaient de voter un pro
jet de loi conçu sur mesure pour
empêcher M. Nétanyahou de bri
guer un nouveau mandat, tant que
durerait son procès pour corrup
tion, fraude et abus de confiance.
M. Nétanyahou avait clairement
indiqué que cette nomination
rendrait caduques des semaines
de négociations menées avec
Bleu Blanc et directement avec
M. Gantz. Face à cet ultimatum, le
général a plié. Devant un hémicy
cle quasi vide – mesures anticon
tagion obligent –, il a mis en avant
l’urgence de la crise sanitaire, et sa
détermination à contribuer à la
résoudre. « Ce ne sont pas des
jours ordinaires : ils demandent
des décisions extraordinaires, a
til affirmé. Ce n’est pas le moment
pour les controverses et les divi
sions. Le moment est venu d’une
direction responsable, dédiée et
patriotique. Joignons nos mains et
sortons Israël de cette crise. »
Leur alliance se noue après dix
jours d’une crise inédite, lors de
laquelle les partisans de M. Néta
nyahou avaient refusé d’aban
donner la direction de la Knesset,
paralysant l’institution et défiant
brièvement la Cour suprême, au
risque de remettre en cause les
principes d’alternance démocrati
que et de séparation des pouvoirs.
« Traîtrise »
Les anciens alliés de M. Gantz ont
pris acte de ce qu’ils considèrent
comme une « traîtrise » et un
« suicide politique ». Les 32 sièges
de Bleu Blanc se divisent en deux
blocs : M. Gantz n’est plus le maî
tre que d’une faction de 15 parle
mentaires. « Tu ne peux pas ram
per ainsi dans un tel gouverne
ment et nous dire que tu l’as fait
pour le bien du pays », a affirmé
Yaïr Lapid, son ancien partenaire
au sein du « cockpit » de diri
geants qui pilotaient Bleu Blanc.
« Nous avions fait campagne en
semble parce que Benny Gantz
m’avait promis, les yeux dans les
yeux, que nous ne siégerions ja
mais dans un si mauvais gouver
nement. Je l’ai cru », atil ajouté.
Selon de premières fuites dans
les médias israéliens, l’accord né
gocié entre le premier ministre et
M. Gantz paraît généreux. Le gé
néral, dont M. Nétanyahou n’a
cessé de répéter depuis un an qu’il
n’avait pas l’étoffe d’un chef de
gouvernement, pourrait obtenir
un poste de vicepremier minis
tre et le ministère des affaires
étrangères. Son partenaire au
sein du défunt « cockpit » de Bleu
Blanc, Gabi Ashkenazi, pourrait
obtenir la défense, et le ministère
de la justice reviendrait à l’un de
leurs alliés. Ce dernier poste pour
rait leur permettre de garantir
que le procès de M. Nétanyahou
ne subisse pas de nouveau report.
A la mimars, le ministère avait
imposé aux tribunaux des mesu
res de précaution contre l’épidé
mie, qui avaient repoussé son
ouverture au mois de mai.
M. Nétanyahou a aussi proposé
publiquement, ces derniers jours,
à M. Gantz de s’unir durant six
mois, le temps de faire face à l’épi
démie. Ou bien de façon plus du
rable, durant trois ans, en assu
rant qu’il laisserait à son rival la
tête du gouvernement à mipar
cours, en septembre 2021. Autant
dire dans une éternité. De quels
moyens M. Gantz disposeratil
alors pour le contraindre à tenir
parole? Auratil la capacité de se
distinguer, au fil des mois, dans
l’orbite de M. Nétanyahou, qui a
su effacer l’un après l’autre la plu
part de ses partenaires en dix an
nées de pouvoir?
M. Lapid en a fait les frais en son
temps, comme le dernier mem
bre du « cockpit » de Bleu Blanc, le
très droitier Moshe « Bogie » Yaa
lon, ancien ministre de la défense,
qui entend lui aussi demeurer
dans l’opposition. A leurs côtés,
M. Gantz, militaire affable au tem
pérament égal, a toujours fait fi
gure d’homme de compromis.
Durant un an, il a tout subi stoï
quement : les bilans psychologi
ques à l’emportepièce de M. Né
tanyahou, qui s’inquiétait de son
instabilité mentale, la rumeur
d’une sex tape colportée par la
droite, qui aurait été volée dans
son téléphone par les services se
crets iraniens, les fuites au sein
même de sa formation, qui je
taient une lumière crue sur leurs
divisions, les moqueries sur ses
bégaiements face aux caméras,
les accusations de traîtrise lors
que son mouvement négociait
avec les partis arabes...
Pourtant, dès le soir du scrutin
du 2 mars, M. Gantz n’avait pas
clairement exclu de former à
terme un gouvernement d’union
avec M. Nétanyahou. C’était une
manière de respecter le résultat
des urnes, puisque le pays de
meurait divisé à parts presque
égales entre partisans et oppo
sants du premier ministre, et
plébiscitait dans les sondages un
gouvernement d’union pour
sortir de l’impasse.
Le 16 mars, M. Gantz avait certes
obtenu mandat du président,
Réouven Rivlin, pour mener les
négociations en vue de former et
de diriger un gouvernement. Mais
il n’avait déjà plus que de mauvai
ses cartes en main. Bleu Blanc
s’est divisé sur le soutien que lui
apportait la Liste arabe unie, un
appui radioactif pour l’aile droite
du mouvement. M. Gantz n’est
pas parvenu à attirer des défec
teurs du « bloc » de M. Nétanya
hou. Et la crise sanitaire lui inter
disait d’envisager de prolonger le
blocage politique pour provoquer
une quatrième élection.
louis imbert
« Ce ne sont
pas des jours
ordinaires :
ils demandent
des décisions
extraordinaires »
BENNY GANTZ
dirigeant de Bleu Blanc
LE PROFIL
Benny Gantz
Fils d’immigrants rescapés
de la Shoah, Benny Gantz est né
le 9 juin 1959, à Kfar Ahim, un
village du sud d’Israël. Il a rejoint
l’armée en 1977 et obtenu le
grade de général en 2001, avant
de devenir chef d’état-major
(2011-2015). A 60 ans, il crée
le parti centriste Bleu Blanc.
Chaque samedi
20H –21h
Aurélie
Luneau
L’esprit
d’ouver-
ture.
En partenariat
avec
DE CAUSE
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Le magazine de
l’environnement