Le Monde - 11.03.2020

(avery) #1

14 |france MERCREDI 11 MARS 2020


0123


En Corse, le front désuni


des nationalistes


Les municipales sont l’occasion, pour les différentes composantes « natio »,


de se jauger en vue des élections pour la Collectivité de Corse, prévues en 2021


corse ­ envoyé spécial

L


a fête est finie. L’euphorie de la
victoire remportée par la coali­
tion autonomistes­indépendan­
tistes Pè a Corsica (« Pour la
Corse ») aux élections territoria­
les du 10 décembre 2017 a laissé
place au désenchantement chez une partie
des électeurs qui, en votant « natio »,
avaient cru en la promesse d’un change­
ment et d’une rupture avec les vieilles prati­
ques claniques. Les résultats ne sont pas à la
hauteur des attentes.
La Collectivité de Corse (CdC), qui concen­
tre depuis 2018 les attributions – et les quel­
que 4 600 agents – de l’ancienne Collectivité
territoriale de Corse et des deux départe­
ments de l’île, peine à trouver ses marques.
La majorité nationaliste s’est claquemurée
dans un rapport de force institutionnel sté­
rile avec l’Etat. La dynamique unitaire de la
conquête du pouvoir s’est craquelée, con­
frontée à la réalité de son exercice. Le camp
nationaliste se présente en ordre dispersé

aux élections municipales et intercommu­
nales des 15 et 22 mars en Corse.
Or, nul n’en doute, ces municipales seront
la rampe de lancement des élections territo­
riales de 2021. Elles sont l’occasion de se
mesurer en vue de cette prochaine échéance
majeure pour la collectivité. « La réélection
de Gilles Simeoni en mars 2021 est le premier
objectif, et les élections municipales doivent
en assurer la perspective », marque très clai­
rement l’éditorialiste d’Arritti, l’hebdoma­
daire proche du parti Femu a Corsica, qui y
voit « le début d’un nouveau cycle politique ».
Une manière d’enjamber le bilan mitigé
des deux premières années de la collectivité
dirigée par Gilles Simeoni, allié aux indé­
pendantistes de Corsica libera et à leur chef
de file, Jean­Guy Talamoni, président de
l’Assemblée de Corse, et à l’autre branche
autonomiste, le Parti de la nation corse
(PNC), dirigé par Jean­Christophe Angelini,
conseiller exécutif et président de l’Office
foncier et de l’Agence de développement
économique de la Corse, qui a désormais
créé son groupe à l’Assemblée de Corse. Le
président du conseil exécutif reconnaît les

difficultés mais les met sur le compte de
l’inexpérience de la majorité nationaliste et
de l’intransigeance de l’Etat. « Les victoires
électorales se sont enchaînées sans forcé­
ment que nous soyons prêts et sans forcé­
ment que nous ayons intégré ce que cela en­
traînait en termes de responsabilités, estime
M. Simeoni. Si on y ajoute que l’Etat a fermé
la porte... »

TROIS LISTES NATIONALISTES À BASTIA
Les divergences stratégiques au sein du
camp nationaliste s’exposent au grand jour à
l’occasion de ces élections municipales. A
commencer par Bastia, la ville symbole, celle
où la conquête nationaliste a commencé
avec la victoire aux élections municipales de
2014 de M. Simeoni, mettant fin à près d’un
demi­siècle de règne de la famille Zuccarelli
sur la deuxième ville de Corse. Elu en dé­
cembre 2015 président du conseil exécutif,
M. Simeoni a depuis cédé son fauteuil de
maire à Pierre Savelli. Si ce dernier mène la
liste investie par Femu a Corsica, le « patron »
y figure en septième position et mène acti­
vement campagne.

Au grand dam de ses alliés à la CdC, qui dé­
noncent un non­respect des engagements,
le président de la collectivité n’a pas voulu
reconduire aux municipales l’accord Pè a
Corsica conclu dès le premier tour aux terri­
toriales de 2017. « Cet accord ne prescrit pas
que nous devions être ensemble aux munici­
pales », rétorque M. Simeoni. Sa liste agrège
des personnalités de droite et de gauche et
elle est soutenue par Europe Ecologie­Les
Verts (EELV). « On ne peut pas, d’un côté, dire
que nous voulons construire avec tous les Cor­
ses et, de l’autre, se rétracter dans un entre­
soi », plaide M. Simeoni.
Femu devra donc affronter à Bastia la con­
currence de deux autres listes nationalistes.
L’une conduite par Eric Simoni, membre de
l’exécutif de Corsica libera, en alliance avec
le PNC. L’autre est menée par Paul­Félix
Benedetti, le chef de file de la formation
indépendantiste Core in Fronte, non repré­
sentée dans l’Assemblée de Corse, qui es­
père bien récupérer des déçus de la majorité
territoriale. Le choix de ce dernier de venir
défier M. Simeoni dans son fief n’a rien
d’anodin. Comme l’annonce Core in Fronte
partout où le mouvement présente une
liste, il n’y aura ni alliance, ni fusion, ni dé­
sistement avec qui que ce soit au second
tour, pas plus avec Femu a Corsica qu’avec
Corsica libera et le PNC. « On ne s’alliera avec
aucun des deux. Ce serait se déjuger que de
faire une alliance », estime Jean­Marc Lan­
franchi, chef de file de la liste soutenue par
« Core » à Ajaccio, qui dresse « un constat
clair d’échec de la CdC » et parle d’« une
énorme déception ».
Le scénario dans le camp nationaliste est
peu ou prou identique à Ajaccio, avec, outre
la liste Lanfranchi, une autre adoubée par
Femu a Corsica, conduite par Jean­André
Miniconi, rallié de fraîche date à Femu, qui
mêle des personnalités de tout bord, de la
droite à la gauche en passant par des macro­
nistes, avec le soutien d’EELV. Les deux
autres composantes de la majorité territo­
riale, Corsica libera et le PNC, présentent
aussi leur propre liste, menée par Jean­Fran­
çois Casalta. Ce dernier déplore de ne pas
être parvenu à élaborer une liste d’union
dès le premier tour. « La division de la majo­
rité territoriale nous gêne, assure­t­il. Ce se­
rait une folie de ne pas faire l’union au se­
cond tour. » Celle­ci, cependant, est encore
loin d’être acquise.

FEMU A CORSICA VISE L’IMPLANTATION
La situation n’est guère plus limpide à Porto­
Vecchio, avec une liste Corsica libera­PNC
conduite par le chef de file du PNC, M. Ange­
lini, et la liste de Don­Mathieu Santini soute­
nue par Femu. Au cours de la campagne,
Gilles Simeoni s’est déplacé pour soutenir ce
dernier, contre M. Angelini. « La stratégie de
la division est suicidaire, avance ce dernier.
J’espère clairement qu’elle sera abandonnée
au second tour. »
A Corte, la capitale « historique » de la
Corse, en revanche, Femu a décidé de faire al­
liance avec le PNC. Tandis qu’à Ghisonaccia,
sur la côte orientale, où le conseiller exécutif
du PNC, Xavier Luciani, s’est allié au maire
sortant « giacobbiste », Femu apporte son
soutien à la liste d’opposition de Ghju­
van’Santu Le Mao. Toutefois, à Lucciana, la
commune où est situé l’aéroport de Bastia
Poretta, c’est Femu a Corsica qui soutient la
liste du maire sortant (dvd) en place depuis
1995 face à une liste Corsica libera­PNC. Pour
justifier ce positionnement à géométrie va­
riable face à ses alliés à la CdC, le secrétaire
national de Femu, Jean­Félix Acquaviva, in­
voque, dans un entretien à Corse­Matin, la
« politique du fait accompli » qu’eux­mêmes
auraient adoptée vis­à­vis de leur partenaire.
« Pour Femu, il est hors de question qu’on
torde le bras du président du conseil exécu­
tif », proclame­t­il fièrement.
Le choix de Femu a Corsica apparaît claire­
ment de privilégier son implantation afin
d’être libre de sa stratégie lors des prochai­
nes élections territoriales. Cela n’est pas allé
sans quelques accrocs, le plus marquant
étant le rétropédalage intervenu à Sarrola­
Carcopino, commune limitrophe d’Ajaccio,
dirigée depuis des décennies par la famille
Sarrola et devenue le symbole de l’urbanisa­
tion à outrance et de l’implantation de gran­
des surfaces commerciales comme les natio­
nalistes disent vouloir en stopper le dévelop­
pement. Alors qu’une liste nationaliste
s’était constituée face au maire sortant, la re­
présentante de Femu a Corsica a conclu un
contrat d’alliance avec ce dernier, avant de
devoir faire marche arrière face au tollé pro­
voqué dans les rangs nationalistes. L’histoire
a cependant laissé des traces et semé le
doute sur les intentions du mouvement
autonomiste. « C’est un peu le couac de la
campagne », reconnaît M. Simeoni.

« GILLES SIMEONI 


CHERCHE LE 


LEADERSHIP ABSOLU 


SUR LE CAMP 


NATIONALISTE, DANS 


L’INTENTION DE FAIRE 


SA LISTE L’ANNÉE 


PROCHAINE SANS


LES AUTRES »
LAURENT MARCANGELI
maire sortant d’Ajaccio,
ex-Les Républicains

M U N I C I P A L E S


CS


HC


Ajaccio


Propriano

Sartène

Bonifacio

Porto-Vecchio

Ghisonaccia

Alata
Bastelicaccia

Afa Prunelli-di-Fiumorbo

Borgo

Lucciana

Penta-di-Casenca

Corte


Bastia


Furiani

Calvi

L’Ile-Rousse
Biguglia

Ville-di-Pietrabugno

Mer Méditerranée

Mer Tyrrhénienne

Cap Corse

10 km

Viggianello 1 Viggianello 2

Moltifao

Tallone
Giuncaggio
Vico

(^1063)
13
18
10
6
6
Président du Conseil exécutif :
Gilles Simeoni (autonomiste)
Nationalistes
Indépendantistes
Autonomistes
Droite régionaliste
LRM
LR
Assemblée de Corse
En activité, mais saturé
Sites temporaires (liste partielle, compilée à partir
de la presse, 14 sites sur 23)
En projet, mais contesté
Divers gauche
LRM
LR
Divers droite
Divers (nationaliste, autonomiste)
Une île plus pauvre que la moyenne des régions françaises
37 % de résidences secondaires
soit 4 fois plus qu'au niveau national
Les déchets, un enjeu territorial
Une saturation des centres d’enfouissement
Des sites de stockages temporaires pour faire face
à la crise des déchets de l’hiver 2019-
Couleur politique des maires sortants
des villes de plus de 3 000 habitants
Commune dont la part de résidences secondaires
est comprise entre 50% et 70 %
Entre 70 % et 83 %
Fermé en 2015 et 2017
Sources : Insee ; Assemblée de Corse ; Le Monde
Taux de pauvreté des ménages en 2014, en %
France
Corse-du-Sud
Corse
Haute-Corse
14,
1 7, 7
20,
22,
Ajaccio
65
45
10
5
Population communale,
en milliers d’habitants
Chef-lieu
de région

Free download pdf