Le Monde - 11.03.2020

(avery) #1
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MERCREDI 11 MARS 2020 planète | 7

L’Espagne prend conscience avec


retard de l’ampleur de l’épidémie


L’opposition critique le manque de réaction du gouvernement Sanchez


madrid ­ correspondante

A


vec plus de 1 220 cas con­
firmés et 29 décès recen­
sés, l’épidémie causée par
le coronavirus s’étend à grande vi­
tesse en Espagne. Entre diman­
che 8 et lundi 9 mars, le nombre
de personnes infectées a plus que
doublé. Quatrième foyer de con­
tamination d’Europe, le royaume
avait rechigné jusque­là à prendre
des mesures préventives drasti­
ques. Lundi, sa stratégie sanitaire
a pris un virage à 180 degrés.
Dès mercredi, les crèches ainsi
que tous les établissements sco­
laires, universités incluses, ferme­
ront dans la région de Madrid,
passée en vingt­quatre heures de
202 à 578 cas et de 8 à 17 morts.
Plus de 1,5 million d’élèves sont
concernés. Une mesure similaire
a été prise dans les villes de Vito­
ria et de La Bastida, au Pays bas­
que, deuxième foyer de « haute
transmission » avec plus de 120
cas diagnostiqués et trois décès.
Dans ces zones, le ministre es­
pagnol de la santé, Salvador Illa, a
demandé de privilégier le télétra­
vail et les téléconférences, ainsi
que d’organiser des rotations ho­
raires dans les lieux de travail afin
d’éviter les concentrations. Les
opérations et rendez­vous médi­
caux non prioritaires pourront
être annulés. Les maisons de re­
traite doivent limiter les visites,
après la détection de deux foyers
de contagion, dans deux centres
différents, l’un en grande ban­
lieue, à Valdemoro, l’autre dans
Madrid, dans la Résidence La Paz,
non loin du parc du Retiro.

Partout en Espagne, il est de­
mandé aux personnes malades
de ne pas sortir de chez elles :
elles doivent être examinées à
leur domicile par des profession­
nels de santé chargés de réaliser
les prélèvements sur place et de
les envoyer aux laboratoires afin
d’éviter les déplacements de
personnes à risque. Celles souf­
frant habituellement de mala­
dies chroniques ou présentant
des facteurs de risques doivent
« limiter leur activité sociale » et
« rester chez elles au maximum ».
La population, en général, est in­
vitée à « limiter les voyages non
nécessaires ». Il est aussi recom­
mandé que les matchs de football
se jouent à huis clos.

Rassemblements de masse
« Nous changeons de scénario et
passons de la phase de contention
à la contention renforcée », a ex­
pliqué M. Illa, dans la soirée. Et,
alors que la gestion de la crise est
de plus en plus remise en cause, il
s’est défendu : « Le gouvernement
n’est pas en retard. »
Après plus d’un mois de silence,
le chef du gouvernement, le so­
cialiste Pedro Sanchez n’a fait ses
premières déclarations publiques
sur le nouveau coronavirus que
lundi midi. Et seulement pour
« lancer un message de sérénité »,
vanter « le système de santé ro­
buste » espagnol et annoncer un
« plan choc » visant à pallier les ef­
fets négatifs de l’épidémie sur
l’économie, élaboré « sans se pré­
cipiter », a­t­il précisé. Ce flegme a
fini par faire exploser l’unité exis­
tant jusqu’alors entre les partis

autour du traitement de la crise
du coronavirus, amenant le lea­
der de l’opposition, le président
du Parti populaire (PP, droite),
Pablo Casado, à qualifier lundi la
situation d’« assez critique », pour
mieux demander au gouverne­
ment de « réagir ».
Sous prétexte de ne pas vouloir
être alarmiste, le gouvernement
avait en effet pris peu de mesures
jusque­là en Espagne. Le premier
cas a été détecté dans les Canaries
le 31 janvier, dans la petite île de la
Gomera, puis d’autres, enregis­
trés dans les Baléares, ont d’abord
donné la sensation d’une épidé­
mie contrôlable et contrôlée. Ce
n’est que le 25 février que le
coronavirus a été officiellement
dépisté dans la péninsule... jus­
qu’à ce que, le 3 mars, un change­
ment de méthodologie et une
analyse post­mortem révèlent
que le premier cas de décès dû au
Covid­19 en Espagne datait en
réalité du 13 février, et concernait
un homme de 69 ans de retour
d’un voyage au Népal. Le virus
circulait donc depuis des semai­
nes dans le royaume.

Ces derniers jours, les images de
rassemblements de masse ont
commencé à faire tache dans le
contexte européen de lutte pour
freiner l’épidémie. Près de
120 000 personnes ont ainsi ma­
nifesté dans les rues de la capitale
espagnole dimanche, à l’occasion
de la journée des droits des fem­
mes. Et des dizaines de milliers
d’autres à Séville, à Barcelone ou à
Bilbao. « Je veux inciter les person­
nes qui présentent des symptômes,
s’il vous plaît, à ne pas assister aux
manifestations et à s’isoler »,
s’était contenté de recommander
M. Illa, peu avant les manifesta­
tions du 8 mars.
Au même moment, plus de
10 000 personnes remplissaient
les arènes de Vistalegre de Madrid
pour assister à un congrès du parti
d’extrême droite Vox. Partout, le
soir, les stades de football faisaient
le plein pour la vingt­septième
journée de la Liga. Et, à Valence,
des milliers de personnes assis­
taient aux traditionnels feux d’ar­
tifice qui précèdent les grandes fê­
tes de la ville, les Fallas. Lesquelles
ne devraient pas être annulées,
bien que plus d’un million de per­
sonnes soit attendu dans les rues
de la cité méditerranéenne pour
l’occasion, entre le 15 et le 19 mars.
L’Espagne, pays dont 13 % du PIB
et 12 % des emplois dépendent du
secteur du tourisme, espère en­
core ne pas avoir à limiter les évé­
nements festifs, alors que la haute
saison est sur le point de com­
mencer avec les vacances de la
Semaine sainte et ses immenses
processions.
sandrine morel

PEU DE MESURES AVAIENT 


ÉTÉ PRISES JUSQUE­LÀ EN 


ESPAGNE. CE N’EST QUE LE 


25 FÉVRIER QUE LE COVID­


19 A ÉTÉ OFFICIELLEMENT 


DIAGNOSTIQUÉ DANS 


LA PÉNINSULE


Pour Xi Jinping, la


situation est désormais


sous contrôle en Chine


Le président chinois s’est rendu pour la
première fois à Wuhan, foyer du coronavirus

shanghaï ­ correspondance
taipei ­ envoyé spécial
,

L


e président chinois Xi
Jinping a effectué, mardi
10 mars, au matin, une vi­
site surprise à Wuhan, la ville de
l’épicentre de l’épidémie due au
coronavirus, afin « d’inspecter le
travail de prévention et de con­
trôle » au Hubei. Il devait y ren­
contrer, selon la presse chinoise,
du personnel médical, des béné­
voles, et des patients. Ce déplace­
ment hautement symbolique si­
gnale que les autorités chinoises
considèrent avoir maîtrisé la pro­
pagation du virus. Le pays a an­
noncé seulement 19 nouvelles in­
fections mardi 10 mars, dont
17 cas dans la province du Hubei
et dix­sept décès des suites de la
maladie, toutes dans le Hubei.
Cette province a annoncé mardi
une levée partielle des restric­
tions aux déplacements de ses
habitants : une application mo­
bile délivrera aux utilisateurs des
codes QR sur leur état de santé.
Un code « vert » dans des zones
moyennement ou faiblement
touchées permettra de voyager à
l’intérieur de la province, bouclée
depuis fin janvier.
C’est la première fois que le pré­
sident chinois se rend à Wuhan
depuis le début de l’épidémie. Le
premier ministre, Li Keqiang, s’y
était rendu fin janvier. D’abord
discret dans la gestion de l’épidé­
mie, Xi Jinping est revenu sur le
devant de la scène mi­février,
après la publication par un maga­
zine dépendant directement du
comité central du Parti commu­
niste, Qiushi, d’un discours du
président dans lequel il affirmait
avoir demandé dès le 7 janvier
quelles mesures étaient prises
pour « prévenir et contrôler l’épi­
démie ». « C’est comme si la propa­
gande insistait sur le fait que Xi
Jinping avait prévenu tout le
monde de ce qui allait arriver, et
que personne ne l’avait écouté »,
explique sous couvert d’anony­
mat un diplomate européen en
poste à Pékin.

Discours volontariste
Depuis quelques semaines, les
autorités chinoises indiquent
qu’elles se préoccupent désormais
davantage des risques d’infection
en provenance de l’étranger, et de
la nécessité de relancer les activi­
tés quotidiennes, et l’économie,
que des foyers d’infection en
Chine, qui semblent maîtrisés. Il y
a quelques jours, le chef adjoint du
« groupe central de guidage de la
lutte contre l’épidémie », Chen
Yixin, un proche de Xi Jinping,
avait annoncé depuis Wuhan que
des décisions de reprise partielle
du travail dans la capitale du Hu­
bei étaient imminentes, tandis
que les personnes restées dans la
ville depuis le début de la quaran­
taine, le 23 janvier, allaient pro­
gressivement être autorisées à re­
gagner leurs lieux d’habitation
d’origine. Onze des quatorze hôpi­
taux provisoires construits pour
accueillir des gens qui présen­
taient des symptômes ont été fer­
més le 8 mars.
Depuis que la courbe de progres­
sion de l’épidémie s’est infléchie
dans la seconde partie du mois de
février, la direction chinoise mar­
tèle un discours volontariste : la
bataille est bientôt gagnée, et la
Chine doit désormais prendre ses
responsabilités de grande puis­

sance. Son gouvernement est
passé à l’offensive en matière
d’aide : Pékin multiplie les gestes à
l’égard des pays touchés par l’épi­
démie – d’abord ses propres voi­
sins, mais aussi nombre de pays en
développement – en envoyant des
kits de tests, des masques, des
combinaisons de protection.

Nouveau couac
La venue de M. Xi à Wuhan devait
être extrêmement contrôlée,
pour se prémunir de toute forme
de protestation, bien qu’il veuille
se présenter comme celui qui
vient régler les problèmes en libé­
rant la ville des souffrances pro­
duites par la quarantaine. La se­
maine dernière, les autorités loca­
les ont commis plusieurs faux
pas. Lors de la visite de Sun Chun­
lan, la vice­première ministre,
membre du Bureau politique du
Parti Communiste et l’une des
responsables de l’équipe du gou­
vernement central de lutte contre
l’épidémie, a été accueillie par des
« tout est faux » lancés par les ha­
bitants d’une résidence dont elle
inspectait l’organisation. La
presse officielle avait couvert
l’événement, pour critiquer le
gouvernement local.
Un nouveau couac est survenu
ce week­end après que le nouveau
secrétaire du parti de la ville de
Wuhan, Wang Zhonglin, a tenté de
lancer vendredi 6 mars une cam­
pagne « d’éducation à la gratitude »
pour les habitants de Wuhan.
« Nous devons être reconnaissants
envers le secrétaire général [Xi
Jinping] et envers le Parti commu­
niste », avait­il déclaré lors d’une
réunion politique. Réaction im­
médiate : sur les réseaux sociaux,
les Chinois ont fait part de leur in­
dignation. Un article de l’écrivaine
wuhanaise Fang Fang a été large­
ment partagé : « Le gouvernement
doit arrêter avec son arrogance et
exprimer humblement sa gratitude
à ses maîtres : les millions d’habi­
tants de Wuhan », a­t­elle rétorqué.
Depuis, les autorités locales ont
fait marche arrière et les référen­
ces à cette campagne ont disparu.
« Wuhan est une ville de héros, les
habitants de Wuhan ont fait preuve
d’une résilience et d’une volonté
forte », à félicité le secrétaire du
parti du Hubei, Ying Yong, lui aussi
en poste depuis un mois.
simon leplâtre
et brice pedroletti

L’Allemagne enregistre ses premiers décès


Les autorités se gardent de tout alarmisme et multiplient les mesures préventives


berlin ­ correspondant

L’


épidémie de Covid­19 a
pris une nouvelle dimen­
sion, lundi 9 mars, en Alle­
magne, avec l’annonce de deux
premiers décès à quelques heures
d’intervalle en Rhénanie­du­Nord­
Westphalie (nord­ouest).
La première personne décédée
est une femme de 89 ans, morte à
l’hôpital d’Essen, six jours après
avoir été détectée positive au coro­
navirus. La deuxième victime est
un homme de 78 ans originaire de
la circonscription d’Heinsberg, un
des principaux foyers d’infection
au SARS­Cov­2 en Allemagne :
400 habitants de cette circons­
cription proche de la frontière
néerlandaise avaient été placés en
quarantaine, mi­février, après que
deux participants à un carnaval lo­
cal avaient été contaminés.
Land le plus peuplé d’Allemagne
(22 % de la population totale), la

Rhénanie­du­Nord­Westphalie de­
meure le plus touché par l’épidé­
mie : 484 cas y ont été répertoriés,
sur 1 139 dans le pays, selon les chif­
fres publiés par l’institut de santé
publique Robert­Koch lundi
Pourquoi le taux de létalité du
Covid­19 reste­il très inférieur en
Allemagne à ce qu’il est en Italie ou
en France? Deux explications sont
avancées. La première tient à « la
présence, sur l’ensemble du terri­
toire, de laboratoires capables de
diagnostiquer le virus », a expliqué,
lundi, Christian Drosten, chef du
service de virologie de l’hôpital de
la Charité, à Berlin. Grâce à cela,
l’Allemagne est « extrêmement
avantagée », a­t­il expliqué.
La seconde explication est liée au
profil des personnes testées. En
Italie, nombre de ceux qui ont été
détectés positifs sont des indivi­
dus âgés et déjà malades. L’Allema­
gne compterait, elle, davantage de
personnes plus jeunes et moins

vulnérables parmi celles qui se
sont fait tester.
La situation allemande explique
la tonalité peu alarmiste des res­
ponsables du système de santé.
« Le système de santé allemand est
parfaitement préparé. (...) Nous al­
lons régler ça », a ainsi assuré Frank
Ulrich Montgomery, le président
de l’Association médicale alle­
mande, lundi matin, sur la chaîne
de télévision ZDF. Soucieuses de
rassurer la population, les autori­
tés évitent désormais de se mon­
trer trop optimistes, au risque
d’être accusées de déni de réalité.
Lundi, le directeur de l’institut Ro­
bert­Koch, Lothar Wieler a pré­
venu que la différence jusqu’alors
observée entre l’Allemagne et l’Ita­
lie concernant le taux de létalité
du Covid­19 pourrait ne pas perdu­
rer. « Il est évident que nous aurons
également des cas mortels chez les
personnes âgées en Allemagne », a­
t­il déclaré lors d’une conférence
de presse aux côtés du ministre fé­
déral de la santé, Jens Spahn.
Ce dernier, qui avait refusé, une
semaine plus tôt, de préconiser
une interdiction générale des ras­
semblements au­dessus d’un cer­
tain seuil de participants, a changé
d’avis : dimanche, alors que la
barre des 1 000 contaminés était
sur le point d’être franchie en Alle­
magne, M. Spahn a fait savoir qu’il
« recommand[ait] » désormais la
suspension des manifestations de
plus de 1 000 personnes. L’emploi
du verbe « recommander » s’expli­
que par la structure fédérale du

pays, qui laisse une grande auto­
nomie aux communes. En l’occur­
rence, la loi sur la protection des
infections encadre précisément
les prérogatives du ministre fédé­
ral de la santé, laissant aux autori­
tés locales le pouvoir d’interdire la
tenue d’une manifestation pour
des raisons sanitaires.

Communication prudente
Cette complexité explique pour­
quoi le gouvernement, depuis le
début de l’épidémie, s’en tient à
une communication prudente. Et
pourquoi les décisions prises diffè­
rent tant d’un endroit à l’autre.
En Bavière, les rassemblements
de 1 000 personnes ont été inter­
dits dès lundi, comme l’a souhaité
M. Spahn. Dans le Land de Berlin,
en revanche, le ministre de l’inté­
rieur, le social­démocrate Andreas
Geisel, s’est dit « très irrité » par le
fait que le ministre fédéral de la
santé, membre de la droite conser­
vatrice, ait annoncé sa « recom­
mandation » sur les réseaux so­
ciaux sans se concerter avec les
responsables des Länder.
« Nous sommes loin d’être dans
une situation catastrophique, a dé­
claré M. Geisel. Nous verrons ce que
nous déciderons. Pour l’instant, je
ne peux rien dire. Mais j’aurais pré­
féré que tout ça se fasse la tête
froide. » Une façon de rappeler
qu’en Allemagne, le coronavirus
est un test pour le système de
santé mais aussi une mise à
l’épreuve du système politique.
thomas wieder

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LE  CONTEXTE


PANDÉMIE
« Maintenant que le coronavirus a
pris pied dans de nombreux pays,
la menace d’une pandémie est
devenue très réelle », a déclaré le
directeur général de l’Organisa-
tion mondiale de la santé (OMS),
Tedros Adhanom Ghebreyesus,
lundi 9 mars. « Nous ne sommes
pas à la merci du virus » car « les
décisions que nous prenons tous
peuvent influencer la trajectoire »
de l’épidémie, a-t-il ajouté.
Désormais plus de 110 pays
ou territoires sont touchés.

CONTAMINATIONS
Près de 115 000 personnes ont été
contaminées dans le monde par
le SARS-CoV-2, dont 64 000 ont
guéri. Plus de 4 000 sont mortes,
dont 463 en Italie et 25 en France.

La Pologne met en place des contrôles
sanitaires à ses frontières
La Pologne a mis en place, lundi 9 mars, des contrôles sanitaires
à quatre points de passage frontaliers avec l’Allemagne et un avec
la République tchèque. Des équipes de gardes-frontières, poli-
ciers, pompiers, douaniers, et services médicaux arrêtent
les autocars (mais pas les voitures individuelles ni les camions de
marchandises), afin de contrôler les températures et prendre les
coordonnées. Des contrôles aux frontières sont également menés
en République tchèque et en Hongrie. Les dirigeants des vingt-
sept pays de l’UE devaient se concerter à propos de l’épidémie de
Covid-19 mardi 10 mars, lors d’une réunion extraordinaire par vi-
sioconférence.
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