Le Monde - 13.03.2020

(Grace) #1

24 |municipales MARDI 17 MARS 2020


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A Marseille, l’héritière de Gaudin menacée


Distancée au premier tour, Martine Vassal pourrait perdre face à une union de la gauche et des écologistes


marseille ­ correspondant

E


n politique, on n’hérite
pas. Etre élu, ce n’est pas
une charge notariale. »
Pendant plusieurs mois,
Martine Vassal, la candidate Les
Républicains (LR) à Marseille, a
pris l’habitude de servir cette
punchline bien rodée aux journa­
listes qui l’interrogeaient sur son
statut d’héritière désignée du
maire sortant, Jean­Claude Gau­
din. Au lendemain du premier
tour des municipales, la formule
prend une signification que la
présidente de la métropole Aix­
Marseille­Provence et du dépar­
tement des Bouches­du­Rhône
ne prévoyait sûrement pas.
Bien droite sur son estrade, di­
manche soir, dans une perma­
nence vidée de ses militants pour
cause de coronavirus, Mme Vassal
est apparue sonnée par les résul­
tats du premier tour des munici­
pales marseillaises. A cet instant
de la soirée, elle pensait pourtant
être sortie en tête du premier tour
sur l’ensemble de la ville. Quel­
ques heures plus tard, elle a ap­
pris, coup de tonnerre dans le
paysage local, que c’était bien Mi­
chèle Rubirola, la candidate du
Printemps marseillais, qui la de­
vançait de plus de 1 800 voix
(23,44 % contre 22,32 %).
Martine Vassal ne vire en tête
que dans trois des huit secteurs
de la ville, les plus traditionnelle­
ment à droite. Elle est même me­
nacée dans son fief du 4e secteur,
cœur historique de la « Gaudi­
nie », par Olivia Fortin, une no­
vice en politique de 42 ans, fonda­
trice du collectif citoyen Mad
Mars à l’origine de l’aventure du
Printemps marseillais. Donnée
favorite par les sondages et an­
noncée « sur un boulevard » par le
quotidien local La Provence,
Mme Vassal, 57 ans, est très loin du
grand chelem qu’elle prétendait
encore réaliser lors de la dernière
semaine de campagne.
Dans une ville où la droite règne
depuis vingt­cinq ans et gère l’en­
semble des collectivités, « l’héri­
tière » LR se retrouve aujourd’hui
sous la claire menace d’une al­
liance entre les listes du Prin­
temps marseillais et Debout Mar­
seille, portée par Europe Ecologie­
Les Verts. Une alliance qui ne
butte sur aucun écueil program­

matique et dont les premières ba­
ses ont été posées, dimanche soir,
avant même que le dépouille­
ment ne soit terminé.
A Marseille, l’abstention est pré­
occupante – 67,2 % – et les condi­
tions de vote ont été exécrables.
Commencée dans la crainte du
coronavirus et la mise en place
plus ou moins respectée des me­
sures sanitaires, la journée de
vote s’est terminée dans une
confusion totale, avec l’attaque
d’un bureau à la cité Félix­Pyat par
trois hommes cagoulés et armés
de fusils à air, et des accusations
de fraude visant notamment la
candidate LR.

Abstention préoccupante
Mais la véritable surprise de ce
premier tour – au­delà du nau­
frage prévisible de la liste LRM
d’Yvon Berland à 7,88 % – reste le
score réalisé par le Printemps
marseillais. Cette union de ci­
toyens et de membres de onze
partis de gauche, dont le PS, le
PCF, Génération. s ou encore La
France insoumise, n’existait pas il
y a encore un an. Dimanche
15 mars, dans les conditions très
particulières d’un vote fragilisé
par la pandémie, elle a frappé très
fort dans les trois premiers sec­
teurs de la ville, ce centre si pro­
fondément marqué par la catas­
trophe de la rue d’Aubagne et ses
huit morts.
Ainsi, dans ce premier^ secteur
où s’est produit le drame, l’inat­
tendue Sophie Camard (39 %) dis­
tance largement la maire sortante
LR, Sabine Bernasconi, (21,21 %).
« C’est de la folie », exultait vers
minuit la suppléante de Jean­Luc
Mélenchon, que le député et La
France insoumise ont refusé de
soutenir officiellement.
« Nous avons tenu le cahier des
charges du Printemps : pas de logo
de partis, une dynamique ci­
toyenne, des candidats qui habi­
tent ces quartiers et ont des ré­
seaux locaux... Et nous avons bé­
néficié du rejet fort du bilan Gau­
din et de Martine Vassal », analyse
la candidate LFI bien partie pour
reprendre à la droite ce secteur
perdu en 2014. Michèle Rubirola,
auteure d’un score canon dans le
3 e secteur (37,38 %) tenu par le dis­
sident LR Bruno Gilles, et Benoît
Payan, dans le très houleux 2e sec­
teur, virent également en tête.

« Il y a eu une prime pour l’unité à
gauche, et une volonté de rompre
avec le système en place plus forte
que celle de placer les questions
écologistes au centre du pro­
gramme », observe Sébastien Bar­
les, la tête de liste EELV. Avec une
liste créditée de 8,94 % seulement
sur l’ensemble de la ville, loin des
13 % obtenus aux européennes, le
leader écologiste paye cher sa
stratégie d’autonomie. Dans le
contexte marseillais marqué par
le ras­le­bol d’une partie de la po­
pulation face à l’équipe sortante,
l’électorat de gauche ne lui a pas
pardonné de plomber l’unité
naissante.

« Ni système ni extrême »
Même si ses listes peuvent se
maintenir dans la moitié des sec­
teurs, Sébastien Barles appelle à
« former une large alliance pour
battre Martine Vassal », rêvant

même d’y raccrocher certains
« marcheurs » comme le député
Saïd Ahamada, ancien lui aussi
d’EELV, ou la sénatrice Samia
Ghali.
L’ex­socialiste n’a pas atteint un
score en rapport avec ses ambi­
tions sur l’ensemble de la ville
(6,47 %), mais elle sort en tête sur
son 8e secteur et rappelle qu’elle
fait, dans les 2e et 7e secteurs, « de
très bons résultats dont elle me­
sure l’importance ». Des scores
qu’elle pourrait négocier contre

un soutien face au RN dans son
propre secteur ou quelques voix
de grands électeurs pour l’aider,
en 2021, à conserver son fauteuil
de sénatrice.
En route à gauche, l’alliance à
droite semble impossible. Le sé­
nateur Bruno Gilles, ancien pa­
tron de la fédération Les Républi­
cains, digère mal la campagne
« exécrable » que vient de lui faire
vivre sa rivale LR. Dans l’après­
midi, il avait souligné la respon­
sabilité des équipes de Martine
Vassal dans les nombreux accro­
chages dans les bureaux de vote.
Dimanche soir, l’élu, entouré de
ses colistiers, a appelé, « en
conscience, à un large arc pro­
gressiste pour battre les listes de
Martine Vassal et de Stéphane Ra­
vier (...) Je l’ai toujours dit, ni sys­
tème ni extrême ».
Dans sa très brève allocution,
quelques heures auparavant, la

candidate Les Républicains
n’avait pas daigné prononcer le
nom de son ex­ami Bruno Gilles,
ni évoquer une fusion. Elle s’est
contentée d’appeler à « battre le
RN » dans le 7e secteur et à « barrer
la route à une ultragauche syno­
nyme de retour dans le déclin ».
« La continuation logique d’une
campagne où elle a cherché à écra­
ser Bruno par tous les moyens », se
désole un cadre LR.
Alors que tous les observateurs
l’annonçaient très haut à Mar­
seille, le sénateur RN Stéphane
Ravier ne dépasse finalement les
33,48 % que dans son propre
7 e secteur. « C’est le coronavirus
qui sort vainqueur de ce scrutin »,
estime­t­il, imaginant que l’élec­
torat du Rassemblement natio­
nal a été « le plus discipliné à
suivre les consignes du gouverne­
ment ».
gilles rof

A Lyon, les écologistes font s’effondrer l’empire Collomb


EELV est arrivée en tête dans huit des neuf arrondissements de la ville. Camille Augey, 28 ans, devance le maire sortant dans son fief du 9e


lyon ­ correspondant

U


ne vague écologiste sans
précédent a marqué le
premier tour des élec­
tions municipales à Lyon, diman­
che 15 mars. Les listes Europe Eco­
logie­Les Verts (EELV) sont arri­
vées en tête dans huit des neuf ar­
rondissements de la capitale des
Gaules, bien au­delà de leur score
des européennes de mai 2019.
Symbole fort d’une page qui se
tourne, Camille Augey, 28 ans,
devance Gérard Collomb, 72 ans,
dans son fief historique du 9e ar­
rondissement. Alors qu’il avait
atteint 35,76 % au premier tour
en 2014, l’ancien ministre de l’in­
térieur, officiellement investi par
La République en marche (LRM),
obtient péniblement 22,36 %, de­
vancé de huit points par la jeune
candidate écologiste (30,35 %).
Avec l’effondrement du triple
maire sortant de Lyon, un séisme
politique s’est produit dans la
deuxième agglomération fran­
çaise, et pourtant les esprits sem­
blent ailleurs. Après l’annulation
de la traditionnelle soirée électo­
rale dans les salons de la préfec­

ture, les QG de campagne ont
fermé leurs portes, dimanche soir.
Seuls les écologistes maintien­
nent une conférence de presse, en
filtrant les journalistes. En temps
normal, les candidats verts
auraient exulté. Ils sont aux portes
d’une ville de plus de 500 000 ha­
bitants, non loin de Grenoble, où
le maire sortant écologiste Eric
Piolle garde le vent en poupe.
Leur joie est contenue dans une
gravité de circonstance. « Notre
démocratie a souffert, mais elle a
fonctionné, déclare Grégory Dou­
cet. J’attends de nos plus hautes
autorités qu’elles soient à l’écoute
et ne décident pas seules. » A la
différence de Yannick Jadot, qui
plaide un report du second tour,
le candidat lyonnais espère voir
sa victoire se concrétiser diman­
che 22 mars, pour « un rendez­
vous avec l’histoire ». « Les jeunes
candidats ont convaincu partout,
c’est magnifique, quel plaisir de
leur passer la main », confie Pierre
Hémon, écologiste de la première
heure au conseil municipal de
Lyon, les larmes aux yeux.
Durant sa campagne courte et
ciblée, Gérard Collomb se voulait

le garant du développement
économique, en proposant de
boucler le périphérique lyonnais.
Sa stratégie a échoué. Dans une
courte allocution nocturne, aux
grilles de l’hôtel de ville, le maire
sortant reconnaît l’appel envi­
ronnemental des électeurs : « Il y
a incontestablement une poussée
des Verts. » Mais le pionnier de la
marche présidentielle d’Emma­
nuel Macron en 2017 regrette
amèrement les déchirures de son
propre camp : « Il y a aussi le fruit
de nos divisions. Si on ajoute les
deux listes de l’ancienne majorité,
on s’aperçoit qu’on serait en tête. »

Gérard Collomb fait allusion à la
Gauche unie, et surtout à Georges
Képénékian, son ancien premier
adjoint, qui l’avait remplacé
durant son intermède ministé­
riel. Devenu dissident LRM, le
médecin passe la barre des 10 %
dans six arrondissements lyon­
nais. Il se tourne désormais vers
les écologistes pour proposer une
alliance. « Les Lyonnais ont envoyé
un message de changement fort »,
a déclaré, dans la soirée, M. Képé­
nékian, qui veut rester dans l’air
du temps en rappelant les mots­
clés de son programme : « Santé et
environnement. »

Imposer l’idée d’un duel
Les écologistes ont toutes les
cartes en main. Les négociations
entre EELV, la Gauche unie et
Georges Képénékian pourraient
s’avérer définitivement fatales à
Gérard Collomb. D’autant que
l’ancien ministre est menacé sur
sa droite. Dans son unique com­
mentaire de l’élection, diffusé par
vidéo sur Facebook, le candidat
Les Républicains (LR) Etienne
Blanc se présente en recours con­
tre « le choix de l’aventurisme ».

Le candidat LR cherche à impo­
ser l’idée d’un duel entre lui et les
écologistes. Il n’a pas réussi à
transformer dans les urnes la
dynamique favorable de sa cam­
pagne de fond. Maire sortant du
bourgeois 6e arrondissement,
Pascal Blache est le seul candidat
LR en tête au premier tour à Lyon.
Ailleurs, les listes d’Etienne Blanc
restent à distance, oscillant de 9 à
22 % des voix selon les secteurs.
Autour de Lyon, les maires
sortants ont plus de chance. Hé­
lène Geoffroy (Parti socialiste) est
largement en tête à Vaulx­en­Ve­
lin, avec 40,38 % des suffrages. Mi­
chèle Picard (PCF) obtient 28,38 % à
Vénissieux, où cinq listes peuvent
se maintenir au second tour. A Vil­
leurbanne, la stratégie d’union de
la gauche de Cédric Van Styven­
dael s’avère payante, avec 33,30 %
des voix, devant la candidate éco­
logiste Béatrice Vessiller (27,48 %).
Successeur désigné de Jean­Paul
Bret, Cédric Van Styvendael ouvre
la discussion avec les Verts, pour
un programme de « lutte pour le
climat et contre les inégalités ».
Dans la région lyonnaise, cas
unique en France, les bureaux de

vote étaient séparés en deux com­
partiments. D’un côté, les élec­
tions municipales, de l’autre, le
premier scrutin direct pour les
quatorze circonscriptions de la
métropole. Là aussi, les écologis­
tes ont marqué des points, avec un
score d’ensemble de 22,5 %. Ils arri­
vent en tête dans les cinq circons­
criptions de Lyon, ainsi qu’au sud,
dans celle de Lônes et Coteaux. La
liste emmenée par Jean­Charles
Kohlhaas (20,36 %) y coiffe d’un
point le sénateur Jean­Noël Buffet,
tête de liste LR pour la métropole.
Ailleurs, la situation politique
est éparpillée en trois ou quatre
listes aux scores assez proches. La
droite (17,65 %) résiste vers Saint­
Priest ou Caluire, autour des
maires Gilles Gascon et Philippe
Cochet. Ce qui laisse présager un
second tour complexe, s’il a lieu.
David Kimelfeld, président sor­
tant, dissident LRM (16,92 %), en
appelle immédiatement aux trac­
tations avec les écologistes. Ce qui
fait dire à Bruno Bernard, tête de
liste EELV à l’élection métropoli­
taine : « L’époque de Gérard
Collomb est plutôt révolue. »
richard schittly

« Les jeunes
candidats
ont convaincu
partout, quel
plaisir de leur
passer la main »
PIERRE HÉMON
conseiller municipal
écologiste

Martin Vassal, candidate LR, dans son bureau de vote à Marseille, le 15 mars. FRANCE KEYSER/MYOP POUR « LE MONDE »

Martine Vassal
ne vire en tête
que dans trois
des huit secteurs
de la ville,
les plus à droite
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