Beef_Magazine_N_20__D_233_cembre_2018-F_233_vrier_2019

(Maria Cristina Aguiar) #1
On trouve le plus beau steak de France au
sous-sol d’un centre commercial. Paris,
neuvième arrondissement : aux « Galeries
Lafayette Gourmet », entre un mur et un
stand de fromages, où les touristes asia-
tiques goûtent des petits morceaux de
camembert, se trouve la boucherie
d’Yves-Marie Le Bourdonnec (50 ans). Il
tend la main dans une vitrine réfrigérée
et en sort un épais T-bone qu’il tient à
deux doigts. Il est finement marbré, sur
le côté il a une couche de graisse incroy-
ablement épaisse qui a été coupée en épis
et ressemble maintenant au dos d’un
dinosaure. « Je ne vois un tel steak qu’une
fois par an », explique Le Bourdonnec, et
bien que peu de gens ont pu voir plus de
viande que lui.
Le Bourdonnec est l’un des bouchers-
stars en France : il est en ašaires depuis
34 ans et possède quatre boucheries à
Paris. Cela fait de lui une célébrité dans
la capitale – mais ce qui l’a fait connaître

dans le monde entier est le film « Steak
(R)évolution », pour lequel il a accom-
pagné en 2014 le réalisateur Franck
Ribière à la recherche du meilleur steak
du monde et a parcouru entre autres le
Royaume-Uni, le Japon, l’Espagne et les
États-Unis.
Alors qu’est-ce qui fait que le morceau
de viande que Le Bourdonnec vient de
déposer sur une planche de bois fait tant
admirer son travail, et le considérer
comme un artiste? Il provient d’une race
bovine créée par le boucher lui-même :
dans une ferme de Fajac-en-Val près de
Carcassonne, il fait croiser une vache
française de Gascogne, un animal robuste
aux muscles forts, avec un taureau
Angus. Lorsque l’animal témoin avait 24
mois, il l’a abattu et a fait mûrir la viande
pendant 120 jours. « Si l’on mesure la
qualité de la viande sur une échelle »,
explique Le Bourdonnec, « le travail de
l’éleveur permet d’améliorer la qualité
jusqu’à atteindre le milieu de l’échelle. En
revanche, atteindre le haut de l’échelle
dépend de l’habileté du boucher. »
Il accompagne son propos de gestes de
la main en l’air, comme quelqu’un qui a
expliqué les choses cent fois et qui,
souvent, n’a pas été compris. Mais il y a
des morceaux de viande comme celui-ci,
dit-il avant de faire une petite pause,

comme si c’était par nature quelque chose
de hors du commun. La couleur, la
marbrure, l’odeur. « Le boucher n’a
presque rien à faire. »
Le Bourdonnec est un petit homme à
lunettes et à la barbe qui, à 18 ans, a
décidé de devenir le meilleur boucher de
France. En chemin, il a tellement cham-
boulé l’image de lui-même, loin de la
fierté de notre nation, qu’il a tourné
contre lui une grande partie des bouchers
du pays.
Et que dire de l’excellente viande des
grandes races bovines de notre pays, plus
nombreuses en France que dans aucun
autre pays du monde, notamment la
Limousine et la Charolaise? « Trop
maigres, en outre, les animaux sont
abattus beaucoup trop vieux. On peut en
fait oublier la cuisson au gril », explique
Le Bourdonnec. L’agriculture française,
admirée à l’étranger, entre autres pour
des systèmes tels que l’élevage des vaches
nourrices? « Ce n’est plus rentable pour
de nombreux agriculteurs. »
La France est un pays de viande, alors
comment le meilleur boucher du pays
peut-il regarder notre système avec un
tel scepticisme? Ou doit-il seulement le
faire? Et qu’est-ce que cela signifie pour
l’avenir de l’élevage bovin chez nous? La
réponse existe depuis quelques

O


Pèlerinage
En 2012, le boucher
Yves-Marie Le
Bourdonnec a repris
la Boucherie
Lamartine dans le

(^16) e arrondissement
de Paris. Elle est
protégée par son
statut de monument
historique et a été
construite au début
du XXe siècle.
Précurseur
Le Bourdonnec a
ouvert sa première
boucherie à Paris à
l’âge de 18 ans, et il
en possède
aujourd’hui quatre.
La magni
que
Boucherie Lamartine
sur l’avenue Victor
Hugo était sa
deuxième – et pour
lui, la première dans
le centre de Paris.
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