J'irai manger des khorovadz
unit au-delà des clivages et où lâon oublie tout le reste. La devise du
chocolat de Lviv pourrait également sâappliquer ici avec plus
dâauthenticité : les khorovadz du bonheur.
Tout commence en amont par la confection de brochettes avec les
marinades appropriées. Plus de vingt recettes existent liées aux
habitudes locales. Dans la tradition les hommes sont chargés de les
préparer et de sâoccuper du feu. Puis viennent les odeurs et quelles
odeurs! On respire les légumes grillés les épices dâOrient le plaisir du
partage la jubilation des retrouvailles la force des liens de la
communauté et de la famille. Au-delà de la jouissance de mâcher un
morceau de mouton de poulet de bÅuf ou de porc lâessentiel est dâêtre
ensemble et de vivre des moments dâexception.
Au fond cette portion de viande est un prétexte pour rechercher lââme
arménienne éternelle qui sây incarne et lâhéritage dâune culture plusieurs
fois millénaire. Dans un désir de réconcilier les mémoires les Arméniens
savent cultiver lâesprit communautaire sans pour autant quâil soit
exclusif.
Je prends un morceau de viande et je le porte à mes lèvres. Il se laisse
facilement apprivoiser se mélange avec les flaveurs dâoignon et de
poivron grillés et fait frétiller les papilles. Je mâen pourlèche les
babines! Un maelström de saveurs éclate dans la bouche dans la tête et
dans le cÅur qui mâont coûté 6 000 km de sueur dâénergie et de
volonté! Tout cela glisse mystérieusement depuis ma gorge pour se
dissoudre dans les tréfonds de mes entrailles amalgamé au breuvage
local dâun rouge doré qui rehausse tous ces souvenirs. Simplicité et
délicatesse.
Jâai voyagé pour arriver jusquâà ces khorovadz. Maintenant ce sont
eux qui voyagent en moi et par le miracle dâune alchimie énigmatique
déconcertante et redoutable ils ne font plus quâun avec mes cellules et
fusionnent avec mon corps.
Une symbiose du voyage. Je suis en Arménie. LâArménie est en moi.
Je suis Arménien.
Jâai mangé mes khorovadz.
Enfin.