J'irai manger des khorovadz
Je savais quâun objectif précis et une date dâarrivée avaient été fixés
je nâai donc pas de regrets. Le défi personnel a été relevé la mission a
été parfaitement remplie. Il ne me reste plus quâà profiter pleinement de
ces dernières heures. Elles mâappartiennent.
Je suis subjugué par ces paysages spectaculaires ces sommets
découpés dans lâazur immaculé du ciel une couleur fondatrice du
drapeau arménien. Je mâoctroie une halte dans un champ pour avaler
mon ultime pot de 500 g de matsoun portion dâArménie qui se dissout
en moi. Je déplie ma tente une dernière fois sans pour autant en avoir la
nécessité car nous sommes en pleine journée mais uniquement pour le
plaisir et pour lâidée de conserver des photos des différentes étapes du
montage quotidien de ma thébaïde ambulante.
Au même moment deux adolescents surgissent de derrière les rochers.
Lâun est revêtu dâun pull vert usagé un peu grand pour sa taille lâautre
dâun simple tee-shirt gris à rayures et dâun pantalon qui aurait besoin
dâune visite technique. Intrigués et médusés ils me regardent installer
mon bivouac. Je les inclus dans mon « jeu » et ils mâaident à dresser la
tente. Ils arborent un sourire radieux et leur visage est fier. Je les laisse
prendre la pose sur le vélo et sâallonger sous la tente. Leurs yeux
sâilluminent de contentement leur ravissement remonte mon niveau
dâénergie. Avant de repartir jâoublie de leur demander leurs noms et
adresses. Je regretterai de ne pas pouvoir leur envoyer ces photos.
Au bout de la longue ascension matinale le col de Spitak mâélève Ã
2 378 mètres dans le sillage du soleil et je débouche sur Tsilkar tapi au
pied de la colline. Câest le village porte dâentrée dâun immense plateau.
Je suis tiraillé dâun côté entre lâenvie de faire le vide dans ma tête de
savourer intensément cette mirifique journée et ces derniers tours de roue
sur les routes arméniennes de me nourrir de ces paysages enchanteurs
de profiter simplement du présent et de lâautre par la tentation de me
recroqueviller et de revivre tous les instants magiques de bonheur de ces
semaines passées de mâaccrocher à ces souvenirs de les fixer en moi
pour ne rien en perdre. Une aporie outrancière privilège du voyageur.