Les PME face au casse-tête de l’égalité
femmes-hommes
En 2016, à peine une PME sur trois était couverte par un plan d’action ou un accord égalité,
contre 84 % des grands groupes. Photo Stephane Audras/RÉA
président élu de cette société nan-
taise détenue à 85 % par ses salariés.
« Nous sommes dans un métier mas-
culin car la filière étudiante est très
masculine », justifie le dirigeant,
admettant que la loi sur l’égalité peut
avoir le mérite d’être un « déclen-
cheur social ». Pour autant, chez Pro-
ginov, le genre n’est et ne sera jamais
un critère de recrutement. « Les tests
ne tiennent pas compte du sexe, ce qui
importe, c’est l’individu et ses capaci-
tés », insiste le dirigeant.
La société, qui a récemment
dépassé les 250 salariés, a com-
mencé à calculer son index Péni-
caud dans la perspective de devoir
le publier en mars prochain. En
tant qu’é diteur, elle t ravaille
d’ailleurs à l’intégration d’un outil
de calcul de cet index dans les logi-
ciels de gestion qu’elle conçoit. « Il
se trouve que chez Proginov, les fem-
mes sont légèrement mieux rémuné-
rées que les hommes, mais cela n’est
pas voulu », note le dirigeant.
L’entreprise s’estime aussi dans les
clous sur le critère des salariés aug-
mentés lors des retours de congé
maternité. « Qu’il s’agisse d’une
femme ou d’un homme, nous accep-
tons systématiquement l’aménage-
ment du temps de travail au retour
du congé parental, poursuit Phi-
lippe Plantive. Car la vie personnelle
doit être en phase avec la vie profes-
sionnelle pour que chacun soit en
pleine possession de ses moyens. »
Stratégie sociale
C’est là l’une des facettes d’une straté-
gie sociale assez poussée : 97 % des
embauches se font en CDI, chaque
nouvelle recrue peut investir immé-
diatement au capital, lequel est obli-
gatoirement libéré par les plus de
50 ans. Les rémunérations sont
contenues dans une échelle de 1 à 3 et
sont connues de tous. Et chaque
salarié peut choisir son chef. « Nous
ne faisons pas de publicité sur ce
modèle, mais cela se sait », men-
tionne Philippe Plantive. De fait, sur
un marché de l’emploi ultra tendu
dans le numérique, la société reçoit
chaque année près de 400 CV spon-
tanés pour 15 à 20 postes à pourvoir.
La recette est payante puisque
l’entreprise connaît une croissance à
deux chiffres depuis sa fondation en
1996, son chiffre d’affaires s’établis-
sant à 38,5 millions d’euros l’an der-
nier. En revanche, Proginov sait qu’il
a peu de chances d’obtenir la note
maximale sur l’index Pénicaud avec
un conseil d’administration com-
posé de 12 hommes. Cela tient, dit le
dirigeant, à la primauté des fonc-
tions d’ingénierie, très masculines.
Cette non-mixité pourrait être inflé-
chie à terme par un holding de tête
qui, lui, compte 20 % de femmes.n
Emmanuel Guimard
— Correspondant à Nantes
Le monde du numérique est, en
matière d’effectifs, à dominante
masculine. Proginov, éditeur de logi-
ciels de gestion (ERP) et hébergeur,
n’échappe pas à la règle. Un quart
environ de ses salariés sont des fem-
mes. « Ce n’est pas si mal pour le sec-
teur », tempère Philippe Plantive, le
Proginov cherche l’équilibre dans un secteur très masculin
Chez cet éditeur de logiciels
de gestion, la parité
salariale est de mise,
mais la gouvernance reste
masculine, à l’image du
monde de l’informatique.
Bénédicte Weiss
— Correspondante à Strasbourg
Le 5 mars 2019, la brasserie Kronen-
bourg, basée à Obernai (Bas-Rhin),
annonçait détenir un score de 83
sur 100 pour son index d’égalité fem-
mes-hommes. Deux points lui ont
fait défaut : les augmentations de
salaires dans l'année suivant le
retour de congé maternité et l’éga-
lité salariale. Kronenbourg connaît
en e ffet un écart de rémunération de
2 % en faveur des femmes, indique
sa direction. L’index Pénicaud peut
aussi servir la cause des hommes.
Equilibre entre vies per-
sonnelle et professionnelle
Le sujet de l'égalité professionnelle
n’est pas nouveau pour l’entreprise :
en avril 2012, elle a signé un accord
dédié avec les organisations syndi-
cales, pour une durée de trois ans.
Par la suite, les négociations annuel-
les obligatoires, notamment, ont
permis d'y travailler. Les dispositifs
mis en place depuis 2012 visent
notamment l’équilibre entre vie pro-
fessionnelle et vie personnelle.
Par exemple : une vingtaine de pla-
ces en crèche et un congé maternité
plus long de dix jours ouvrés par
rapport au congé légal.
Fin octobre, d eux des t rois organi-
sations syndicales représentées au
comité social et économique, à
savoir la CFDT (majoritaire) et FO,
ont signé u n nouvel accord « relatif à
l’égalité professionnelle et à la qualité
de vie au travail », d’une durée de
trois ans renouvelable. Il compte
neuf articles, dont plusieurs concer-
nent directement l'égalité entre
hommes et femmes. Parmi les diffé-
rentes mesures, la mise en place
d’une charte des bonnes pratiques
de recrutement d’ici à la fin 2020.
Des indicateurs de suivi sont égale-
ment prévus à plusieurs sujets
(accès à la formation, mixité du
recrutement, écarts de rémunéra-
tion...) et doivent permettre l’é tablis-
sement de bilans annuels.
Kronenbourg compte environ un
tiers de femmes parmi s es
1.200 salariés, dont la majorité sont
cadres. Le « colead », strate située
sous le comité de direction, compte,
lui, 50 % de femmes tandis que ce
dernier ne compte que deux fem-
mes parmi ses neuf membres. Eric
Assy, vice-président des ressources
humaines, souligne à ce sujet que
cela dépend avant tout de « critères
de performance et de potentiel ».n
La brasserie Kronenbourg,
à Obernai, a obtenu un score
de 83 sur 100 pour son index
d’égalité femmes-hommes
et vient de signer un nouvel
accord « relatif à l’égalité
professionnelle », d’une
durée de trois ans.
La brasserie
Kronenbourg
renouvelle
son accord
sur l’égalité
professionnelle
Le congé maternité
est plus long de dix
jours ouvrés par
rapport au congé légal.
Laurence Albert
@LAlbert
Le compte à rebours a commencé.
En mars 2020, les entreprises de 50
à 250 salariés devront faire leur
aggiornamento en matière d ’égalité
salariale femmes-hommes : la loi
avenir professionnel leur impose
de publier leur premier index. Cet
outil mêlant autodiagnostic, plan
d’action, et vitrine des pratiques en
matière de rémunérations est
publié depuis mars par les grands
groupes, et septembre par les ETI.
Pour a ider l es P ME à franchir le cap,
le ministère du Travail doit publier
ce mardi 5 novembre un simula-
teur dédié. Il a aussi dépêché sur le
terrain 120 référents des directions
régionales des entreprises
(Direccte). Enfin, des chefs d’entre-
prise ont été estampillés « ambas-
sadeurs », à l’instar de Charles
Lebaudy, à la tête de la Biscuiterie
de l’Abbaye et de ses 270 salariés à
Lonlay-l’Abbaye (Orne).
Quatre indicateurs
Si le ministère déploie les grands
moyens, c’est que, pour les PME, la
barre est haute. Certes, l’index,
publié sous la forme d’une note sur
100, a été réaménagé avec quatre
indicateurs au lieu de cinq. Il s’agit
de l’écart de rémunération, de la
part d’augmentations (liées à des
promotions ou des augmentations
individuelles), du pourcentage
d’augmentations post-congé mater-
nité et du nombre de femmes parmi
les dix plus hautes rémunérations.
Pour autant, l’exercice reste tech-
nique. En janvier, la Dares estimait
que l’index n’était calculable que par
37,1 % des PME. L’absence de don-
nées internes et la faiblesse des
effectifs compliquent les comparai-
sons. « Certaines risquent d’avoir des
difficultés », euphémise Tassadit
Tehara, à la Direccte Ile-de-France.
Les PME seront-elles bonnes élè-
ves? En septembre, 68 % des ETI
avaient répondu, et obtenu une note
moyenne de 82. « Beaucoup ont
achoppé sur la hausse de rémunéra-
tion au retour de congé maternité
- qui est pourtant une obligation
légale –, et sur la part des femmes
parmi les dix plus hautes rémunéra-
tions. Dans les PME, cela risque d’être
amplifié », anticipe Françoise Le
Rest, consultante en égalité profes-
sionnelle au cabinet Perfégal. Diffi-
cile par exemple de viser les dix
points liés au passage du fameux
« plafond de verre » quand la direc-
tion s e partage entre membres d’une
même famille. A la Biscuiterie de
SOCIAL
l’Abbaye, c’e st le départ en retraite
du PDG qui a permis de r ehausser l e
quota féminin. « La “loi des petits
nombres” complique les choses, q ue ce
soit pour le calcul de l’index ou la mise
en œuvre des mesures », souligne
Armelle Carminati-Rabasse, prési-
dente de la commission innovation
sociale et managériale au Medef.
La Biscuiterie de l’Abbaye a eu
beau décrocher un index de 93 sur
100, elle a « quand même rencontré
des soucis », de l’aveu de Charles
Lebaudy. Qui insiste : « Il faut veiller
à ces q uestions à chaque instant de l a
vie de l’entreprise. » Et le dirigeant
de citer en exemple une récente
opération de croissance qui a occa-
sionné la reprise de dix salariés,
« tous des hommes ». Ou la diffi-
culté de promouvoir et de recruter
des femmes dans le s ecteur mascu-
lin de la boulangerie.
Biais de recrutement
« La notion d’évolution est souvent
abstraite dans les petites entreprises :
les mouvements de personnel sont
rares, les dirigeants ont peu de
moyens pour fabriquer des promo-
tions et proposer des formations »,
rappelle Armelle Carminati-
Rabasse. S’y ajoute parfois, « une
forme d’angélisme, les dirigeants pen-
sant de bonne foi ne pas pratiquer de
discrimination ». En 2016, à peine
une PME sur trois était couverte par
un plan d’action ou un accord éga-
lité, contre 84 % des grands grou-
pes. « Les PME sont moins avancées :
bien souvent, pour elles, cette question
se résume à celle de la mixité ou de la
rémunération. L’index a le mérite de
remettre c es questions a u cen-
tre », renchérit Françoise Le Rest.
Il les obligera aussi à prendre le
taureau par les cornes, sous peine de
sanctions. « Au départ, cet index a
contrarié les dirigeants d’ETI, qui y
ont vu une nouvelle contrainte.
Aujourd’hui, ils sont satisfaits de dis-
poser d’indicateurs fiables dont tout le
monde peut s’emparer, y compris les
organisations syndicales », note Tas-
sadit Tehara. A ceux qui ne savent
par où commencer, le Medef pro-
pose de réfléchir a ux biais e n
matière d e recrutement. « Rien qu’en
repensant les annonces, on peut susci-
ter des candidatures féminines. »n
lLes entreprises de 50 à 250 salariés devront publier en mars prochain leur premier index d’égalité professionnelle.
lPour les aider à franchir ce cap difficile, le ministère du Travail dépêche des agents de l’Etat et des ambassadeurs.
lIl doit publier ce mardi 5 novembre un simulateur adapté aux PME.
La date
2023
Les PME qui n’atteindront pas
75 points en trois ans pourront
être sanctionnées d’une pénalité
financière représentant jusqu’à
1 % de la masse salariale.
PME & REGIONS
Mardi 5 novembre 2019Les Echos