Libération - 18.10.2019

(Ron) #1
Chez Voxxx, les bruits de fessées et de

B


onne nouvelle pour l’onanisme (qui,
certes, n’en a pas forcément besoin) :
les podcasts érotiques et pornogra­-
phiques se développent. Puisqu’il en existe
sur la nourriture, la politique, les faits divers
ou encore le féminisme, il n’y avait aucune
raison pour qu’ils ne s’emparent pas du
champ du désir. Souvent orchestrés par des
femmes, ces podcasts invitent à l’exploration,
via le canal auditif plutôt que visuel, de l’ima-
ginaire sexuel et du plaisir. Principaux acteurs
de l’érotisme auditif français, Voxxx, ctrl-X ou
le Verrou s’éloignent du genre conversation-
nel pour mettre l’accent sur la «mise en sons»,
comme le dit Stéphanie Estournet de ctrl-X,
c’est-à-dire sur la façon dont les bruits com-
plètent la narration au-delà du seul usage de
la voix. Tour d’horizon alors que s’ouvre le Pa-
ris Podcast Festival, où les équipes de ctrl-X
et de Voxxx seront présentes.

«Le Verrou» et «ctrl-X» :
les plus littéraires
«Lors d’une soirée, on s’est rendu compte avec
un pote qu’on avait la même idée : faire des
spectacles de lecture érotique dans le noir. En
discutant, on a décidé de monter un site de
mise en sons de littérature érotique», se remé-
more Stéphanie Estournet, membre du collec-
tif d’une douzaine de personnes derrière la
plateforme de podcasts érotiques ctrl-X et an-
cienne salariée de Libération. C’est un peu la
même chose qui s’est passée pour Betty qui,
avec son amie Lou (1), a monté le Verrou,
nommé en référence au tableau de Fragonard :
«Avec Lou, on se passait des bouquins érotiques
depuis longtemps. On a voulu créer quelque
chose dont on avait envie et qui n’existait pas.»

Créés entre 2016 et 2017, le Verrou et ctrl-X
font découvrir des textes de la littérature éro-
tique signés par Rousseau, Colette, Pierre
Loüys, Guillaume Dustan, Catherine Robbe-
Grillet, ou par des anonymes. Des comédiens
et des amis prêtent leurs voix. Stéphanie
­Estournet : «Le domaine sonore a du sens. Par
rapport à l’image, il y a quelque chose de pré-
cieux, de pudique, où tu mets davantage de toi-
même. Je n’ai pas envie de participer à la ca-
bale contre le porno, mais on est moins dans
l’illustratif.» Même idée chez Betty : «On vou-
lait passer par d’autres canaux que le porno,
même si ça nous intéresse aussi, pour explorer
l’imaginaire. L’intérêt, c’est de travailler le
grain du son. On peut faire de jolies choses en
sortant de l’image de la voix féminine rauque
et suave à laquelle on a été conditionnés, par
exemple avec un lecteur qui a un léger cheveu
sur la langue. Ça crée de l’émotion.»
Si Betty et Stéphanie Estournet sont toutes
deux des femmes quadragénaires, elles ont
à cœur de représenter toutes les sexualités.
«On pensait faire ça pour des femmes trente-
naires qui se connaissent un peu et qui veulent
se chercher plus, dit Betty. En fait, on touche
aussi des amateurs traditionnels de littérature
érotique, des hommes hétéros ou gays... La lit-
térature permet davantage que l’image de se
mettre dans un rôle, dans un corps, dans
la voix d’un personnage d’un autre genre que
le nôtre. Je m’identifie plus souvent aux per-
sonnages masculins.» Stéphanie Estournet
abonde : «La diversité des corps, c’est aussi
celle des accents et des voix. C’est important de
la représenter, car dès qu’on parle corps, on
parle politique. La littérature érotique a cette
vertu : elle a longtemps été interdite et a tou-
jours proposé des visions du corps et des sexua-
lités qui pouvaient déranger.»
Du point de vue économique, le modèle reste
balbutiant. Le Verrou, qui revendique plus

de 215 000 écoutes depuis sa création et qui
jouit d’un partenariat informel sur l’utilisa-
tion des textes avec les éditions la Musardine,
a lancé plusieurs campagnes de crowdfun-
ding pour financer un premier projet (sortir
52 textes, un par semaine) et un autre à venir,
autour de la nourriture et de l’érotisme. Les
ingénieurs du son sont rémunérés mais pas
les narrateurs ni les deux fondatrices. Idem
chez ctrl-X (400 écoutes par jour) qui s’appuie
sur des mécènes et ne peut payer toute
l’équipe. «On a été convoités par plusieurs pla-
teformes dont les conditions ne nous allaient
pas, assure Stéphanie Estournet. Au départ
on le faisait sur nos fonds personnels, mais au-
jourd’hui on a envie de le monétiser.»

«Voxxx» :
le plus pornographique
Sa fondatrice, Olympe de G., le dit sans amba-
ges : le principe de Voxxx, c’est d’offrir un sup-
port masturbatoire à ses auditrices. Cette
­figure du porno féministe âgée d’une tren-
taine d’années, passée par la scène sex-posi-
tive berlinoise, estime que «pour certains,
l’érotisme serait un peu les Beaux-Arts du
porno, qui ­serait ce qu’on méprise. Or on peut
être cru, ­explicite, en faisant de belles choses,
faire du cash et de la poésie en même temps,
du porno féministe qui ne soit pas cucul.» Les
podcasts de quelques minutes sont conçus
d’abord pour les femmes – mais rien n’interdit
aux garçons de s’en emparer. «Des jeunes filles
nous écrivent pour dire qu’après avoir écouté
Voxxx, elles ne se sentent pas honteuses»,
­se réjouit Olympe de G.
Point de littérature érotique ici, mais des
­scénarios imaginaires, racontés par des voix
masculines ou féminines. «On travaille en
­binaural [les capteurs des micros sont dispo-
sés comme les tympans, ce qui donne une
impression de réel, ndlr] pour faire en sorte

que ce soit le plus immersif possible», indique
la réalisatrice. Sans recours à l’image, le brui-
tage et le souffle sont fondamentaux : «Les co-
médiens se demandent comment on ­signifie
un orgasme. C’est très peu représenté, d’au-
tant plus pour les hommes qui sont tradition-
nellement dans le contrôle sonore.» «Pour
jouer l’orgasme et la montée du plaisir, il y a
un travail à faire sur la respiration, il faut
­hyperventiler pendant deux-trois minutes.
­Souvent, les acteurs font un micromalaise»,
s’amuse-t-elle encore. L’un des autres intérêts
de l’audio, c’est qu’il est plus facile de tourner

Par
Kim Hullot-Guiot
Photo Amandine Kuhlmann

Avec une volonté revendiquée de représenter


toutes les sexualités, les pionniers de l’érotisme auditif


souvent créés par des femmes, comme «Voxxx» ou «ctrl-X»,


proposent des lectures de textes sensuels ou de scénarios


«cash et poétiques» pour égayer la masturbation.


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