Le Monde - 03.10.2019

(Michael S) #1

18 |économie & entreprise JEUDI 3 OCTOBRE 2019


0123


La gratuité


des transports


publics, thème


de campagne


L’engouement de certains candidats


aux municipales pour la gratuité,


inquiète les professionnels de la mobilité


U


ne ombre plane sur
les 27es Rencontres
nationales du trans­
port public (RNTP),
ouvertes mardi 1er octobre à Nan­
tes : celle de la gratuité. A moins
de six mois des élections munici­
pales, l’idée de proposer des
transports publics accessibles
gratuitement aux citoyens des
villes françaises refait surface et
agite les professionnels de la mo­
bilité réunis cette semaine dans
la Loire­Atlantique.
Cette fois­ci, la « menace » sem­
ble sérieuse. Le nombre de muni­
cipalités offrant le transport gra­
tuit n’a jamais été aussi élevé en
France : 29, selon un rapport très
complet, dévoilé mercredi 2 octo­
bre et réalisé pour le Groupement
des autorités responsables de
transport (GART), qui rassemble
les collectivités gérant des réseaux
de bus, de tramways ou métros. Le
chiffre confirme une étude du Sé­
nat, dévoilée le 26 septembre. Sur­
tout, deux agglomérations de plus
de 100 000 habitants font depuis
peu partie du « club des gratuits »
qui, jusqu’ici, rassemblait plutôt
des réseaux moyens ou petits :
Niort (125 000 habitants) depuis
2017 et Dunkerque (200 000 habi­
tants) depuis 2018.

Et ce n’est peut­être pas fini. En­
tre tentation électoraliste et préoc­
cupation climatique, de plus en
plus de candidats déclarés ou pres­
sentis aux municipales de
mars 2020 ont fait du transport
public gratuit une de leurs pro­
messes. Nous avons repéré une
petite vingtaine de programmes
proposant la gratuité dans des ag­
glomérations parfois de taille con­
sidérable : des candidats socialis­
tes à Caen et Montpellier, une liste
communiste à Perpignan, des éco­
logistes à Rouen, Mulhouse et
Aubenas (où ils sont alliés au Parti
communiste), des candidats ma­
cronistes à Béziers et à Metz, des
« insoumis » à Tours et à Toulouse,
un candidat divers droite à Bor­
deaux, des listes citoyennes ou
gauche unie à Poitiers, Brest et Hé­
nin­Beaumont...

Pression
Parfois, ce sont les équipes sor­
tantes qui y pensent à plus ou
moins haute voix. A Clermont­
Ferrand et à La Roche­sur­Yon, on
étudie le principe. A Grenoble, le
maire (EELV), Eric Piolle, opposé à
la gratuité, doit composer avec
une partie de sa majorité qui
pousse l’idée. A Nantes, la maire
(PS) et présidente de la métro­

pole, Johanna Rolland, a promis
en juin des bus et tramways en
libre accès le week­end en cas de
réélection. A Dunkerque, la
politique du tout­gratuit avait
commencé par les samedis et
dimanches.
Face au risque d’un tsunami
électoral du parti de la gratuité,
les experts du secteur élèvent
leurs digues. « Il n’y a pas de gra­
tuité dans l’absolu. Le transport
public a un coût, et ce que l’on ap­
pelle “gratuité” n’est qu’un trans­
fert de charges des usagers vers les
contribuables », martèle Louis Nè­
gre, président du GART et maire
(LR) de Cagnes­sur­mer (Proven­
ce­Alpes­Côte d’Azur).
Sentant bien la pression d’une
partie de ses adhérents, le GART
s’est quand même penché en dé­
tail sur le sujet afin « d’objectiver
le débat ». Si la gratuité paraît
inapplicable dans les très grosses
agglomérations intégrant des

modes de transport lourds
(trains, métros, RER) au réseau,
des situations particulières sem­
blent l’autoriser.
« Notre étude montre qu’il y a
deux cas où la gratuité est envisa­
geable, détaille M. Nègre : les ré­
seaux plutôt petits avec des recet­
tes commerciales très faibles
(autour de 10 % du coût total) et
des réseaux exceptionnels qui col­
lectent à des niveaux très élevés le
versement transport [VT, une taxe
versée par les employeurs desti­
née à financer localement la mo­
bilité]. » C’est le cas à Dunkerque
ou plus encore à Niort où le coût
du transport est intégralement
couvert par le VT.
De fait, le rapport du GART
montre que l’arrivée de la gratuité
entraîne une hausse immédiate
et parfois spectaculaire du trafic :
+ 23 % en deux ans à Niort, + 112 %
au bout de quatre ans à Château­
roux, + 85 % en vingt mois à Dun­

kerque. Mais les experts insistent
sur la nécessité de renforcer l’of­
fre en parallèle. « Nous estimons
qu’à Dunkerque l’effort de réorga­
nisation des lignes compte bien
plus – je dirai aux deux tiers – dans
la hausse de fréquentation que
l’absence de paiement », explique
l’un des auteurs du rapport.
Tous les spécialistes l’assurent :
la gratuité n’est pas une demande
des utilisateurs. Les associations
d’usagers y sont même plutôt op­
posées, préférant des gratuités ci­
blées en fonction des revenus ou

des situations. « Il n’y a par ailleurs
aucune preuve que la gratuité en­
traîne un report des automobilis­
tes vers les transports en commun,
ajoute Louis Nègre. Elle aurait
même plutôt tendance à prendre
au vélo ou à la marche. »
Mais, au fond, ce qui inquiète le
plus, c’est qu’une vague de gra­
tuité ne menace la pérennité du
versement transport, « poutre
maîtresse » du système de mobi­
lité français, selon M. Nègre. Les
employeurs pourraient se révol­
ter contre une situation où, finale­
ment, ils seraient les seuls à finan­
cer la mobilité. Un scénario catas­
trophe résumé par l’un des princi­
paux dirigeants du transport
public français : « Aujourd’hui,
30 villes font la gratuité, l’an pro­
chain, elles seront 70, avec, en
prime, le risque de voir disparaître
le versement transport. »
éric béziat
et olivier razemon

Immobilier : la hausse des prix se poursuit


Le nombre de transactions a progressé de 7 % sur un an au 31 juillet, dépassant le million


L


es notaires de France l’ont
confirmé ce mardi 1er octo­
bre, l’année 2019 va crever
les plafonds en nombre de tran­
sactions, qui ont, sur douze mois
au 31 juillet, déjà dépassé le mil­
lion, soit 7 % de mieux que les
douze mois précédents. Et, à en
croire l’activité des études nota­
riales, cet été, la dynamique n’a
pas ralenti.
Quant aux prix, non seulement
Paris a passé la barre symbolique
des 10 000 euros le prix moyen
du mètre carré, soit 7,3 % de
mieux en un an, mais toute l’Ile­
de­France suit cette tendance :
« Les quatre années de hausse, en­
tre 2015 et 2019, ont effacé les qua­
tre ans de baisse des années précé­
dentes, même en grande cou­
ronne », observe Thierry Dele­
salle, notaire à Paris, chargé de la
conjoncture.
La hausse touche aussi des villes
comme Rennes, dopée par le TGV
(+ 12,8 %, à 2 880 euros le mètre
carré d’un appartement ancien),
ou encore Lyon (+ 11 %,
4 310 euros), Rouen (+ 8,3 %,

2 330 euros), Toulouse (+ 7 %,
2 750 euros) et même Saint­
Etienne (+ 7 %), mais en partant de
très loin puisque le prix du mètre
carré est de 910 euros. A Nantes (+
8,6 %, 3 100 euros), « le marché est
très tendu et nous manquons de
biens à vendre », indique maître
Thierry Thomas, notaire à Rezé
(Loire­Atlantique). Si l’on en croit
les promesses de ventes déjà si­
gnées, la hausse est partie pour
durer au moins jusqu’à la fin de
l’année.
Quelques villes restent à l’écart,
comme Lille (– 1,5 % sur les appar­
tements comme sur les maisons),
Reims (0 %) et Grenoble (– 3,5 %
pour les maisons, mais encore +
2,2 % pour les appartements).

Investisseurs plus nombreux
« Il y a une très forte aspiration à
devenir propriétaire et elle con­
cerne 70 % des Français, soit
10 points de plus que la part ac­
tuelle de propriétaires, en France »,
note Delphine Martelli­Banegas,
de l’institut Harris Interactive
(qui a questionné 1 505 Français

entre le 28 juin et le 8 juillet 2019
pour les Notaires de France). Les
raisons sont multiples : réaliser
son projet familial, investir, être à
l’abri en vue de la retraite... Pour
87 % des sondés, acheter de la
pierre est un bon investissement
et acheter sa résidence principale
est rassurant, et même enthou­
siasmant ; 58 % des locataires ju­
gent que « payer un loyer c’est je­
ter l’argent par les fenêtres » et
52 % disent subir leur situation.
« Dans une société anxiogène,
l’immobilier rassure et répond aux
trois principales préoccupations
des Français, la retraite, le pouvoir
d’achat et la sécurité », conclut
Mme Martellli­Banegas. Enfin,
26 % des personnes interrogées
renoncent à acheter parce que
c’est difficile et inabordable.
Après quelques années de bou­
derie, découragés par des législa­
tions contraignantes et la pers­
pective de rendements maigre­
lets, les investisseurs ont réap­
paru en force depuis 2018. Le
réseau d’agences Century 21,
dans sa note du 1er octobre, relève
que 27 % des transactions con­
clues par ses 880 agences, entre
le 3e trimestre 2018 et le 3e tri­
mestre 2019, l’ont été par des in­
vestisseurs. C’est un record, de
20 % supérieur à leur part, l’an­
née précédente, et du double par
rapport à 2009. « A Paris, les in­
vestisseurs, nullement découra­
gés par l’encadrement des loyers,
sont encore plus nombreux et
comptent pour 33 % des ache­
teurs, contre 22 % en Ile­de­
France, précise Laurent Vimont,
PDG de Century 21, et les retraités
sont les plus actifs. »

Après vingt ans d’absence, les
investisseurs institutionnels, as­
sureurs, fonds de pension, socié­
tés civiles de placement immobi­
lier (SCPI) ou organismes de pla­
cement collectif immobilier
(OPCI) reviennent également à
l’immobilier résidentiel qui a,
en 2018, capté 4 milliards d’euros
et s’apprête à faire encore mieux
en 2019. La France, et son contexte
économique et politique plutôt
rassurant, attire les capitaux du
monde entier et « le rendement du
logement, de 7,1 %, reposant essen­
tiellement sur la valorisation du
bien plutôt que sur les loyers, est
aujourd’hui plus intéressant que
celui du bureau, qui plafonne à
6,4 %, ou du commerce, à 3,5 % »,
estime Magali Marton, directrice
de recherche du conseil immobi­
lier Cushman & Wakefield.
Le fonds d’investissement AEW
a lancé, en 2017, son fonds Residys
doté de plus de 600 millions
d’euros. La compagnie écossaise
Aberdeen a créé un fonds euro­
péen résidentiel, Asper, doté de
1,5 milliard d’euros qui a réalisé sa
première acquisition, en France, à
Suresnes, dans les Hauts­de­
Seine. Après avoir misé sur les ré­
sidences pour seniors, leurs cibles
privilégiées sont le logement in­
termédiaire, si possible neuf et
acheté en l’état de futur achève­
ment, et les nouvelles formes
d’habitat comme le « coliving »,
des immeubles conçus pour vivre
à plusieurs par appartement et
partager des espaces communs.
Selon Mme Marton, « la difficulté
est qu’il y a peu de marchandises
pour tant d’appétits ».
isabelle rey­lefebvre

Dunkerque est la plus grande ville française à avoir fait le choix de la gratuité totale des transports publics. PHILIPPE HUGUEN/AFP

Dans le fond,
les réticences
concernent
la pérennité
du versement
transport

« Ma tante » n’a plus de banque


C


ette fois, c’est la fin. Dans quelques mois, « Ma tante », le
surnom du Crédit municipal de Paris (CMP), n’aura plus
de banque. L’institution parisienne s’apprête à délester
sa filiale bancaire de ses ultimes créances d’ici au 31 décembre,
puis à la dissoudre « au début de l’année 2020 », selon un docu­
ment présenté, ces prochains jours, au conseil de Paris. La CMP­
Banque sera alors définitivement enterrée et, avec elle, l’ambi­
tion du Crédit municipal d’être non seulement le prêteur sur
gages le plus connu de France, mais aussi la banque des exclus.
Face au déclin de son activité classique, l’ancien Mont­de­
piété avait commencé à se diversifier dans les années 1950 en
proposant du crédit aux Français, en particulier aux fonction­
naires. Au début des années 2000, la direction accélère le pas et
crée une filiale spécifique, CMP­Banque. Sa spécialité : le rachat
de crédits. Il s’agit de regrouper plusieurs crédits en un seul
pour diminuer la mensualité globale payée par les particuliers.
Pour la Mairie, seule actionnaire du Crédit municipal, l’enjeu
est autant social qu’économique : la banque doit « assurer des
secours d’argent peu onéreux aux
plus démunis ».
Mais, très vite, le projet prend l’eau.
Le Crédit municipal a vu grand. Trop.
Le marché a été surestimé. Une struc­
ture coûteuse a été montée, tout un
réseau d’agences qui ne peut être
amorti qu’au prix d’une extrême ri­
gueur de gestion. Ce qui n’est pas le
cas. Quand les grandes banques arri­
vent à leur tour sur le créneau, elles
récupèrent les clients les plus renta­
bles et laissent les plus fragiles au
Crédit municipal. Résultat, la filiale plonge dans le rouge et il
faut réinjecter des fonds, sans grand espoir de redressement.
En 2015, la décision de mettre fin à cette aventure malheu­
reuse est prise. Les guichets sont fermés et une « gestion extinc­
tive » mise en place. Peu à peu, les 120 salariés sont « recasés » au
Crédit municipal, à la Ville ou ailleurs. Il n’en reste plus que
deux, les dirigeants. La banque ne prend plus aucun nouveau
client et les dossiers sont cédés les uns après les autres à EOS,
une filiale spécialisée du groupe allemand Otto, plus connu
pour ses catalogues de vente par correspondance Quelle.
EOS devrait reprendre les dernières créances fin décembre, ce
qui permettra de dissoudre CMP­Banque dès le début 2020, soit
trois ans plus tôt qu’imaginé au départ. En cumulant les pertes
depuis 2012, le coût final de ce ratage est évalué à 45 millions
d’euros, comme attendu. La Ville n’aura donc pas à remettre d’ar­
gent au pot, comme elle avait dû le faire en 2015. Quant au Crédit
municipal, il se concentrera sur son métier historique, plus ren­
table. Jamais l’encours de ses prêts sur gage n’a été aussi élevé.
denis cosnard

LE CRÉDIT MUNICIPAL 


DE PARIS A DÉCIDÉ


DE DISSOUDRE


SA FILIALE BANCAIRE 


«  AU DÉBUT 


DE L’ANNÉE 2020 »


L’essor du crédit immobilier inquiète


Le ton est de plus en plus pressant. Dans une note publiée mardi
1 er octobre, le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) déplore
« une augmentation des pratiques a priori les plus risquées » chez
les banques en matière de crédit immobilier. Entraînées par des
taux historiquement bas – autour de 1 % – et un allongement
des durées de remboursement – une vingtaine d’années en
moyenne –, les crédits ont pour la première fois dépassé
1 000 milliards d’euros d’encours en 2018. Près du quart de ces
prêts ont été attribués alors que le poids du remboursement re-
présente plus de 35 % du revenu des ménages emprunteurs. Le
Conseil craint un ralentissement de la consommation, les parti-
culiers auraient moins de revenus à accorder.
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