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MERCREDI 2 OCTOBRE 2019 france| 13
En Corse, des initiatives contre l’emprise mafieuse
Après la constitution d’un collectif, 800 personnes se sont réunies dimanche à Corte pour dénoncer les violences
bastia correspondant
C
inq hommes encagou
lés et vêtus de noir der
rière une table barrée
du sigle FLNC : la sé
quence vidéo diffusée lundi
30 septembre sur le site du quo
tidien CorseMatin ne rappelle
pas seulement des images que
l’on pensait disparues depuis le
dépôt des armes annoncé par les
nationalistes clandestins du
Front de libération nationale de
la Corse le 25 juin 2014. Elle réac
tive la crainte d’une escalade de
la violence : dans un communi
qué d’une page, le groupe me
nace explicitement d’avoir re
cours à « la force ».
Depuis l’assassinat de Maxime
Susini dans sa paillote de Cargèse
(CorseduSud), le 12 septembre,
la Corse traverse une période de
tensions sur fond d’initiatives vi
sant à dénoncer les dérives d’une
île accoutumée à la violence, au
racket généralisé et à la corrup
tion. Ultime sursaut moral ou dé
but d’une prise de conscience
inédite : quelques jours après la
mort de ce militant nationaliste
de 36 ans, un collectif baptisé « A
maffia nò, a vita ié! » (« Non à la
mafia, oui à la vie! ») est porté sur
les fonts baptismaux à Ajaccio
par une trentaine de personnali
tés, dont plusieurs figures res
pectées du monde universitaire
et culturel, à l’image de Jérôme
Ferrari, Prix Goncourt 2012, ou
JeanClaude Acquaviva, chanteur
du groupe polyphonique A Fi
letta. Le texte fondateur dresse le
constat d’« une emprise mafieuse
d’une intensité jamais atteinte
dans l’histoire de la Corse ».
« Nous irons plus loin que cette dé
nonciation, assure Léo Battesti,
l’un des initiateurs de la démar
che, en organisant des ateliers de
réflexion pour formuler des pro
positions concrètes, comme la
création d’un délit d’association
mafieuse. »
Dans une région à la mémoire
longue et vivace, l’initiative sus
cite espoir mais aussi scepti
cisme : ancien responsable du
FLNC, Léo Battesti n’avaitil pas
critiqué il y a quelques années
« l’acharnement » de la juridic
tion interrégionale spécialisée
(JIRS) de Marseille à l’encontre de
Guy Orsoni, fils de l’ancien res
ponsable nationaliste Alain Or
soni et régulièrement mis en
cause dans des affaires de droit
commun? « J’étais opposé à cette
juridiction d’exception depuis que
des amis avocats m’avaient alerté
sur ses dysfonctionnements. Je les
aurais condamnés pour n’im
porte qui », balaietil désormais
avant d’admettre que « beaucoup
de gens doutent, c’est vrai. Mais
l’adhésion est sans précédent : en
quatre jours, 1 500 personnes ont
signé notre texte. »
« Aucun soutien des natios »
Dimanche, à Corte (HauteCorse),
plusieurs de ces signataires sont
venus se mêler aux 800 person
nes réunies à l’appel de Core in
Fronte, un parti indépendantiste
minoritaire duquel était proche
Maxime Susini, pour débattre de
la situation locale. Loin des circon
locutions d’usage, les échanges
parfois très vifs ont oscillé entre
examen de conscience et inter
ventions remarquées, notam
ment de la part de militants d’as
sociations de défense de l’environ
nement. « Lorsque nous attaquons
un permis de construire, a déclaré
l’un d’eux, nous sommes obligés
d’évaluer le rapport de force physi
que auquel nous nous exposons. Et
nous ne recevons aucun soutien
des natios au pouvoir! »
Gilles Simeoni et JeanGuy Tala
moni, présidents du Conseil exé
cutif et de l’Assemblée de Corse,
étaient absents de la réunion cor
tenaise : le premier était retenu au
Pays basque, le second au congrès
des Régions de France, à Bor
deaux. De quoi alimenter la gro
gne d’une frange de la mouvance
nationaliste, qui reproche ses
« atermoiements » à la majorité
territoriale. « La collectivité doit
couper les sources de financement
des réseaux mafieux, en traitant
directement les dossiers jusqu’ici
confiés à des tiers opérateurs, no
tamment dans le secteur des trans
ports, des déchets, de la fibre, où
des millions sont en jeu », avance
PaulFélix Benedetti, responsable
de Core in Fronte. Une gageure
technique et juridique, compte
tenu de l’actuelle architecture ins
titutionnelle de la région.
Dans une île où le jeu politique
tient du théâtre d’ombres chinoi
ses, d’aucuns ne manquent pas de
voir dans ces propositions les ja
lons d’une future campagne mu
nicipale. « D’ailleurs, analyse un
élu de gauche, “PaulFé” [Bene
detti] a déclaré sa candidature à la
mairie de Bastia dès le lendemain
de la réunion de Corte. »
Unanimité de façade
« La parole se libère doucement,
tempère ce militant associatif.
Mais l’accouchement sera long et
douloureux. C’est notre dernière
chance de montrer que nous som
mes un peuple responsable : l’Etat,
lui, se fout éperdument de ce qui
se passe. » Muet, sinon absent, le
gouvernement ne semble tou
jours pas avoir pris la mesure de
la situation. Pis, alors que le pro
cureur général de Bastia a de
mandé la mutation du directeur
régional de la police judiciaire en
raison d’un manque de con
fiance persistant, un nouveau ca
fouillage judiciaire est venu
ponctuer la rentrée. Comme l’a
révélé L’Obs, le Conseil supérieur
de la magistrature a émis un avis
défavorable – quoique purement
consultatif – sur la nomination
de l’actuel procureur adjoint de
Toulon au poste de procureur de
la République à Ajaccio.
Reste que la société civile insu
laire, encore en gestation, se
montre aussi prompte à manifes
ter son exaspération, sotto voce
le plus souvent, qu’elle peine à se
défaire d’une promiscuité sociale
interdisant, pour le moment,
toute mise à distance durable du
phénomène criminel. « S’indi
gner est sain, résume JeanMartin
Mondoloni, chef de file du
groupe d’opposition de droite à
l’Assemblée de Corse. Mais com
ment lutter contre le crime dans
une société tribale où, au nom de
la proximité familiale ou sociale,
prime une certaine forme de bien
veillance à l’égard des criminels? »
Derrière une unanimité de fa
çade sur la question de l’em
preinte mafieuse, les responsa
bles politiques insulaires n’échap
pent pas à ces contradictions.
Jeudi 26 septembre, à l’occasion
d’une session de l’Assemblée de
Corse, une motion déposée par le
groupe présidé par JeanCharles
Orsucci, maire de Bonifacio (Cor
seduSud) et seul représentant de
poids de La République en mar
che en Corse, exigeait ainsi de
l’Etat « un renforcement des puis
sances régaliennes, notamment de
justice et de police ». Soumis au
vote, le texte a été rejeté par la ma
jorité nationaliste.
antoine albertini
Certains ne
manquent pas
de voir dans
les propositions
du collectif
les jalons d’une
future campagne
municipale
xavier crettiez, professeur de
science politique à SaintGer
mainenLaye (Yvelines), est éga
lement directeur du diplôme
d’établissement sur le renseigne
ment et les menaces globales.
Assisteton à une libération
de la parole en Corse?
Oui, parce que c’est une bonne
chose d’inscrire à l’agenda public
la question de la violence crimi
nelle, d’assister à la mobilisation
de la société civile et des acteurs
politiques, à la condition toutefois
que les uns et les autres soient
euxmêmes irréprochables. Non,
parce que persiste ce sentiment
surprenant : tout le monde sait
qui sont les criminels et de quelle
manière ils agissent, mais le seul à
être dénoncé et nommé, c’est
l’Etat. En Corse, on entend sou
vent dire « une » bande ou « des »
élus plus ou moins compromis,
mais ça va rarement plus loin.
Pourquoi cette dénonciation
de la « mafia » intervientelle
à ce moment précis de
l’histoire de la Corse?
La première raison tient sans
doute à la prise de conscience
d’un niveau de criminalité de
plus en plus important et, en
tout cas, qui paraît sans com
mune mesure avec ce à quoi la
Corse avait été habituée jus
quelà. Ce qui surprend, en re
vanche, c’est la labellisation de la
violence sous le terme de « ma
fia », qui s’incarne en théorie
dans une organisation tout à fait
particulière avec ses rituels, son
rôle social, parfois son interna
tionalisation. Or, il me semble
que cela ne correspond pas à la
réalité de la grande criminalité
en Corse. Utiliser ce terme, c’est
un moyen de mettre à distance
toute responsabilité d’autres for
mes de violence dans la situation
de la Corse d’aujourd’hui.
Lesquelles?
Celles mises en œuvre par les
structures nationalistes clandesti
nes, notamment, à la fois à travers
les attentats, mais aussi d’autres
pratiques, qui paraissent anecdo
tiques ou folkloriques en Corse
mais choqueraient ailleurs,
comme ces tags très violents qui
couvrent les murs de l’île depuis
des décennies. Certains nationa
listes portent une part de respon
sabilité dans l’acceptabilité d’une
partie de la population au recours
à la violence, dans la diffusion
d’une rhétorique de l’action illé
gale, pas nécessairement perçue
ni présentée comme illégitime.
La Corse estelle sortie de
l’agenda politique national?
L’Etat ne semble pas se soucier
du niveau de violence dans l’île,
peutêtre parce que la Corse est
considérée comme un nain élec
toral et démographique et qu’elle
représente toujours un risque po
litique pour un gouvernement.
On sait bien que taper sur la
Corse, c’est souvent bien vu élec
toralement et, au contraire, trop
aider les Corses, plutôt mal vu.
Reste que le peu de résultats en
matière judiciaire s’explique
aussi par des facteurs locaux,
comme la difficulté à obtenir des
informations. Mais sans doute
l’Etat s’estil longtemps focalisé
sur les nationalistes. Son logiciel
de lutte contre la violence crimi
nelle de droit commun a périmé.
C’est ce que l’on observe pour
n’importe quelle politique publi
que : un assez long délai pour que
le logiciel de l’Etat s’adapte enfin à
une nouvelle réalité. La Corse n’y
fait pas exception.
a. al. (bastia, correspondant)
« Tout le monde sait qui sont
les criminels »
SALONDU LIVRE
DÉBATS
CINÉMA
EXPOSITIONS
Entrée libre - Plus d’informations sur :www.rdv-histoire.com
f14h-15h30 / Salle des conférences,
Château Royal de Blois
LA CHINE MODÈLE DUCAPITALISME
AU XIXESIÈCLE?
AvecMichel AGLIETTA, Jean-François DUFOUR,
Isabelle FENG, Laurent MALVEZIN.
Animé parAntoine REVERCHON.
f15h15-16h15 / Café littéraire du Salon du livre
ITALIE-ÉTHIOPIE : UNE HISTOIRE COLONIALE
DE MUSSOLINI À BERLUSCONI
Grand entretien avecFrancesca MELANDRI
parJulie CLARINI.
f17h45-19h15 / Salle des États Généraux,
Château Royal de Blois
FRANCE-ITALIE, JE T’AIME MOI NON PLUS
AvecSandro GOZI, Elena MUSIANI, BernardVALLI,
Sergio ROMANO(sousréserve).
Animé parMarc SEMO.
f18h-19h / Salles des conférences,
Châteauroyal de Blois
GRAND ENTRETIEN DE BRANKO MILANOVIC
ParAntoine REVERCHON.
DIMANCHE 13 OCTOBRE
f14h30-15h30 / Salle des conférences,
Châteauroyal de Blois
DE DRUMONT À ZEMMOUR.AUX RACINES
DU DISCOURS RÉACTIONNAIRE
Grand entretien avecGérard NOIRIEL
parNicolas TRUONG.
VENDREDI 11 OCTOBRE
f14h-15h30 / Salle des conférences,
Château Royal de Blois
ALMA MATER STUDIORUM.L’UNIVERSITÉ DE
BOLOGNE DU MOYEN-ÂGE À NOS JOURS
AvecNathalie GOROCHOV, Simona NEGRUZZO,
JeanTALON SAMPIERI
Animé parFlorent GEORGESCO.
f15h45-16h45 / Salle Gaston d’Orléans,
Château Royal de Blois
UNE ÉCOLOGIE DES RELATIONS
Grand entretien avecPhilippe DESCOLA
parJean BIRNBAUM.
SAMEDI 12 OCTOBRE
f10h-11h / Salle des conférences,
Château Royal de Blois
LES LEGS DE LA RENAISSANCE ITALIENNE
À L’EUROPE
Grand entretien avecCarlo OSSOLAparFlorent GEORGESCO.
f11h 30-13h /Auditorium de la Bibliothèque Abbé-Grégoire
D’OÙ VIENT MATTEO SALVINI?
Grand entretien avecGiovanni ORSINA,
parJérôme GAUTHERET.
f11h30-13h / Salle des conférences,
Château Royal de Blois
GUERRES ET TENSIONS INTERÉTATIQUES
SONT-ELLES DE RETOUR?
AvecDelphine ALLÈS, Jean-Vincent HOLEINDRE, Olivier ZAJEC.
Animé parGaïdz MINASSIAN.
RENCONTRES PILOTÉES ET MODÉRÉESPAR DES JOURNALISTES
DE LA RÉDACTION DU JOURNALLE MONDE
BELLEVILLE 2019 © CHRIST
OPHE URBAIN