Le Monde - 12.09.2019

(lily) #1

14 |économie & entreprise JEUDI 12 SEPTEMBRE 2019


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Arnaud Lagardère se donne


« du temps » chez Europe 1


Le patron du groupe de médias était présent pour la première fois,
mardi, à la conférence de rentrée de la station en difficulté

P


lus que Nicolas Canteloup,
Christophe Hondelatte ou
Anne Roumanoff, la vraie
surprise de la conférence de ren­
trée d’Europe 1, mardi 10 septem­
bre, était la présence d’Arnaud La­
gardère, qui assistait, pour la pre­
mière fois depuis son arrivée à la
tête du groupe, en 2003, à ce ren­
dez­vous annuel de la radio.
Signe que les temps sont durs,
celui qui a pris la présidence d’Eu­
rope 1 il y a trois ans, mais qui a
longtemps été aux abonnés ab­
sents, effectuait son troisième dé­
placement depuis le printemps
dans les locaux de la station. Il faut
dire que la dégringolade de la radio
est sans fin : elle ne compte plus,
selon Médiamétrie, que 2,7 mil­
lions d’auditeurs, loin de RTL et de
France Inter, qui attirent chaque
jour plus de 6 millions de fidèles.
« Cette 65e rentrée est particu­
lière », a lancé le patron de Lagar­
dère, mettant en avant une « grille
en rupture » – la troisième en trois
ans –, construite autour de l’« in­
formation », de la « musique » et
du « récit ». Constance Benqué,
l’une de ses proches, qui cha­
peaute également Paris Match et
Le JDD, a été pérennisée comme
patronne de la radio.
« Si j’ai souhaité que ce soit Cons­
tance, c’est d’abord par son profil,
[issu] de la régie publicitaire », a
déclaré le patron, en marge de la

conférence, admettant qu’il avait
préféré « jouer la carte de l’in­
terne » plutôt que « de chercher
une troisième personne à l’exté­
rieur » après les évictions successi­
ves, ces deux dernières années, de
Frédéric Schlesinger et de Laurent
Guimier. Le départ de ce dernier a
d’ailleurs été présenté comme le
fruit « d’un commun accord ».

Choix internes
Une professionnelle de la publi­
cité fera­t­elle mieux que des spé­
cialistes de la radio? « Peut­être
qu’elle va démontrer qu’elle se dé­
brouille aussi bien, voire mieux », a
balayé le patron, assumant le rôle
joué par Ramzi Khiroun. Le porte­
parole de Lagardère, qui n’appa­
raît pas dans l’organigramme
d’Europe 1, était très présent dans
les locaux de la station ces der­
niers mois pour écouter les ma­
quettes et donner son avis.
« Il a mis les mains dans le cam­
bouis. Il m’est précieux et il a le
droit d’avoir de bonnes idées », a
précisé Arnaud Lagardère. Pour
Constance Benqué, Ramzi Khi­
roun fait bien partie de l’équipe à
l’origine de la grille, au côté du di­
recteur de l’information, Donat
Vidal Revel, d’Anne Fauconnier, la
secrétaire générale, ou du direc­
teur des études. Le recrutement
d’un directeur des programmes
n’est donc plus d’actualité.

Parmi les nouveautés, Nathalie
Levy, transfuge de BFM­TV, anime
désormais le 18 heures­20 heures
en remplacement de Matthieu
Belliard, propulsé à la matinale
depuis le départ de Nikos Aliagas.
Mais ce sont surtout les talents
maison, comme Sonia Mabrouk,
chargée de l’interview politique,
ou Matthieu Noël, programmé
sur la tranche 16 heures­18 heu­
res, recruté à l’origine comme as­
sistant de Marc­Olivier Fogiel, de­
venu patron de BFM­TV, qui
étaient à l’honneur. En misant sur
des choix internes, les dirigeants
répondent à une requête des jour­
nalistes, qui se plaignaient des
animateurs recrutés à prix d’or,
tout en faisant des économies.
Arnaud Lagardère, qui a insisté
sur le fait que la radio fétiche de
son père, Jean­Luc, n’était « pas à
vendre », se garde de tout pronos­
tic sur la reconquête de la station.
Mystère sur le montant des per­
tes, même si des chiffres – entre 20
et 30 millions d’euros – circulent.
Pour l’heure, le patron se « donne
du temps » et s’attend même à un
nouveau déclin des audiences sur
la prochaine vague, un phéno­
mène que connaît une radio
quand elle modifie sa grille. Frédé­
ric Schlesinger et Laurent Guimier
avaient eu, eux aussi, « du temps »,
avant que le vent tourne.
sandrine cassini

M É D I A S
Accord entre Iliad et
Altice pour la diffusion
de BFM-TV
Les groupes Iliad, maison
mère de l’opérateur Free, et
Altice, propriétaire des chaî­
nes BFM­TV, RMC Découverte
et RMC Story, sont parvenus à
un accord pour la reprise de
la diffusion de ces chaînes par
les Freebox, a annoncé Altice,
mardi 10 septembre, dans un
communiqué. – (AFP.)

N U C L É A I R E
Nouveaux problèmes
de soudure pour EDF
Des composants de réacteurs
nucléaires fournis par Frama­
tome pourraient n’avoir pas
été fabriqués correctement, a
indiqué, mardi 10 septembre,
EDF, qui enquête pour
connaître l’ampleur de ce
nouveau problème pour l’in­
dustrie française. Dans un
communiqué, l’électricien ex­
plique que les procédures pré­
vues n’ont pas été respectées
lors d’opérations réalisées
« sur certaines soudures de gé­
nérateurs de vapeur ». – (AFP.)

T R A N S P O R T S
Uber taille dans
ses effectifs
Uber va supprimer 435 em­
plois dans ses départements
d’ingénierie et de produits, a
fait savoir le groupe améri­
cain, mardi 10 septembre. En
juillet, le géant californien du
VTC (voitures de transport
avec chauffeur) avait sup­
primé 400 emplois dans son
département marketing.
Uber dit employer plus de
27 000 salariés au niveau
mondial. – (AFP.)

La crise sans fin


des papetiers


en France


Le finlandais UPM, leader mondial


du papier « graphique », menace de


fermer sa dernière usine française


L’


hécatombe va­t­elle se
poursuivre? Après la
fermeture, au prin­
temps, faute de repre­
neur, de l’usine d’Arjowiggins de
Bessé­sur­Braye (Sarthe) et le li­
cenciement de ses 568 salariés, la
papeterie historique Chapelle
Darblay, à Grand­Couronne, en
Seine­Maritime, risque de subir le
même sort. Mardi 10 septembre,
UPM, son propriétaire finlandais,
a décidé de mettre en vente sa
dernière usine française de pro­
duction de papier. Faute de repre­
neur d’ici à janvier 2020, le site du
leader mondial du papier dit
« graphique », qui emploie 236 sa­
lariés, fermera.
Les syndicats de l’une des deux
dernières usines de papier jour­
nal disent n’avoir rien vu venir.
« Nous étions en train d’évoquer
avec la direction le renouvelle­
ment de la chaudière, indiquait
sur France 3, mardi, une heure à
peine après l’annonce de la ces­
sion, Julien Sénécal, le secrétaire
général (CGT) du comité social et
économique du site. Nous savons
que la conjoncture est difficile,
mais nous ne nous attendions pas
à un tel projet. En 2014, nous avi­
ons déjà connu l’arrêt traumati­
sant d’une machine et le départ de
196 collègues. Aujourd’hui, c’est la
cession. Nous sommes dégoûtés. »
Chapelle Darblay, un site bien­
tôt centenaire, passé, un temps,
entre les mains du milliardaire
François Pinault à la fin des an­
nées 1980, est en grande diffi­
culté, comme tout le secteur du

papier graphique en Europe. Dans
un communiqué, UPM assure
que l’usine est l’une des moins
compétitives du Vieux Continent,
d’où son choix de la sacrifier, une
assertion que rejette la CGT.
D’ailleurs, depuis dix ans, le
géant finlandais n’a pas fait mys­
tère de sa stratégie dans l’Hexa­
gone : il s’en retire irrémédiable­
ment. Sur la période, il a vendu
ou fermé l’ensemble de ses sites.
En 2014, lors de la cession de son
usine de Docelles (Vosges), UPM
n’avait pas hésité à endommager
ses machines, afin qu’elles ne
tombent pas entre les mains d’un
concurrent.

Refus de diversification
Cette dernière annonce n’étonne
guère les observateurs. Avec le vi­
rage numérique de la presse, le
marché de ce produit a été divisé
par deux en dix ans, selon les
données de la Copacel, la fédéra­
tion des fabricants de cellulose.
Et, entre 2013 et 2018, pas moins
de quinze papeteries ont mis la
clé sous la porte en France, tandis
que d’autres réduisent leur capa­
cité de production. En cinq ans, la
filière a ainsi vu ses emplois pas­
ser de 15 000 à un peu plus de
11 000, début 2019.
Si le papier à usage graphique
plonge, les autres secteurs de la
filière résistent, voire connais­
sent une nouvelle jeunesse.
« C’est très schumpétérien. Des si­
tes ferment, d’autres rouvrent »,
confie un spécialiste du secteur.
Alors que le marché du papier

d’hygiène (essuie­tout, serviet­
tes, draps médicaux...) reste cons­
tant depuis de nombreuses an­
nées, les cartons d’emballage et
de conditionnement sont en
plein essor, du fait de l’explosion
du commerce en ligne et de l’ar­
rêt des sacs plastique. « Contraire­
ment aux plastiques, souvent is­
sus du pétrole, la cellulose est issue
d’une ressource renouvelable, le
bois, elle est facilement recyclable
et est biodégradable », rappelle
Paul­Antoine Lacour, le délégué
général de la Copacel.
Si l’avenir de la production à
usage graphique est compromis,
les usines actuelles peuvent entre­
voir un avenir en s’adaptant à la
fabrication d’autres produits. Ces
dernières années, trois anciennes
papeteries ont montré la voie.
En 2014, à Strasbourg, l’usine Stra­

cel, cédée par UPM, a été transfor­
mée par Bluepaper, un consor­
tium belgo­allemand, pour y pro­
duire du papier d’emballage.
Wizpaper a repris l’ex­usine Ar­
jowiggins de Wizernes (Pas­de­Ca­
lais), fermée en 2015, pour relan­
cer, en janvier, la fabrication de pa­
pier, passant du graphique à l’on­
dulé nécessaire au carton. Enfin, à
Charavines, en Isère, Global Hy­
giène mène actuellement des tra­
vaux pour transformer cet ancien
site d’Arjowiggins pour y fabri­
quer de la ouate de cellulose né­
cessaire à ses produits d’hygiène.
En Dordogne, l’usine de Condat,
propriété de l’espagnol Lecta,
cherche également à réorienter
une partie de sa production vers
les papiers spéciaux (abrasifs, ad­
hésifs...). Un secteur en plein dé­
veloppement, mais, pour l’ins­

tant, les financements man­
quent. C’est d’ailleurs tout le
nœud du problème.
« Aujourd’hui, si des transforma­
tions sont possibles, car on voit
bien qu’il existe désormais un bou­
levard pour de nombreux produits
à base de cellulose, on se heurte au
refus des industriels d’investir
pour se diversifier, explique Pa­

trick Boret, le secrétaire général
de la Filpac­CGT, le puissant syn­
dicat du secteur. Un UPM, spécia­
liste du papier graphique, ne veut
pas aller sur d’autres secteurs, tout
comme un Smurfit Kappa [groupe
irlandais], centré sur les cartons et
emballages, refuse de fabriquer
d’autres produits. »
A défaut de pouvoir compter sur
les propriétaires actuels de sites
en danger, il faut trouver des re­
preneurs capables d’investir lour­
dement. En Seine­Maritime,
adapter l’outillage de Chapelle
Darblay à d’autres papiers re­
quiert, selon un expert, un inves­
tissement d’une centaine de mil­
lions d’euros. A Bercy, on assure
que le gouvernement sera très vi­
gilant sur la qualité des éventuels
candidats à la reprise du site.
philippe jacqué

A l’usine UPM Chapelle Darblay, à Grand­Couronne (Seine­Maritime), en 2012. RAPHAEL DE BENGY I HANSLUCAS. COM

Entre 2013
et 2018, pas
moins de quinze
papeteries ont
mis la clé sous
la porte dans
l’Hexagone

Face à la pénurie de coiffeurs,


L’Oréal mise sur l’apprentissage


A


son tour, L’Oréal ouvre un centre de formation en ap­
prentissage (CFA). Après Accor, Korian et Sodexo, qui
ont lancé un CFA aux métiers de la cuisine, au mois de
mars, le fabricant français de produits cosmétiques a annoncé,
mardi 10 septembre, la création de l’école Real Campus by
L’Oréal à Paris, pour former des coiffeurs. L’établissement, qui
s’installera début 2020 au sein des anciens locaux de l’associa­
tion de la Croix­Rouge, dans le 14e arrondissement de la capi­
tale, enseignera en alternance un bachelor de coiffure et un di­
plôme de niveau bac + 3.
Les étudiants s’y formeront « à la coupe, à la coloration et au
coiffage », explique Nathalie Roos, directrice générale de la divi­
sion produits professionnels de L’Oréal, mais aussi « au mana­
gement à la gestion ». En outre, le programme pédagogique ini­
tiera les étudiants au rôle de l’économie numérique dans la
gestion quotidienne d’un salon de coiffure. Real Campus es­
père former 10 000 jeunes en dix ans.
Cette création est censée contribuer à enrayer la crise que tra­
verse la profession. Car « le métier n’attire plus », regrette Franck
Provost. Le fondateur du groupe Provalliance, mastodonte qui
exploite les enseignes Franck Provost, Jean Louis David, Mania­
tis ou Saint Algue, s’inquiète de voir combien le secteur peine à
recruter des apprentis. Bien que cette filière emploie 184 000
personnes en France, dans 86 000 établissements, elle ne par­
vient pas à pourvoir les 10 000 offres de postes d’apprentis
qu’elle propose chaque année.
Ce programme pédagogique estampillé L’Oréal pourrait sé­
duire des bacheliers, des titulaires de brevets professionnels ou
de jeunes salariés en cours de reconversion professionnelle, es­
time M. Provost. D’autant que les étudiants apprendront à gérer
et à diriger un salon de coiffure. Un enseignement qu’il juge né­
cessaire, alors que, « en CAP [certificat d’aptitude profession­
nelle], on en est encore à apprendre à enrouler des permanentes ».
A terme, ce bachelor pourrait aussi aider à relancer l’activité
dans les salons en formant des coiffeurs aux techniques numé­
riques propres à attirer la clientèle et à la conserver. C’est un im­
pératif pour L’Oréal. Depuis des années, le groupe, qui réalise
12 % de ses 27 milliards d’euros de chiffre d’affaires grâce aux
produits capillaires destinés aux professionnels, est confronté
à la crise du secteur. Les jeunes fréquentent moins les salons
que leurs aînés. Et, faute de rentabilité ou de repreneurs, 7 000
établissements ferment chaque année dans l’Hexagone.
juliette garnier
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