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JEUDI 12 SEPTEMBRE 2019 culture| 23
Meero se défend d’être le « Uber de la photo »
La société proposant des images à bas prix pour des sites Internet a été fraîchement accueillie à Visa pour l’image
REPORTAGE
perpignan envoyée spéciale
E
scroc », « fossoyeur », « ma
chine à pognon »... Les
noms d’oiseaux ont volé,
le 4 septembre, au Palais
des congrès de Perpignan. Lors
d’un débat à Visa pour l’image, le
festival de photojournalisme de
la ville dont les expositions sont
présentées jusqu’au 15 septem
bre, la startup française Meero
venait défendre son modèle et
ses ambitions auprès des profes
sionnels de la photographie, et
l’accueil a été plutôt frais. Depuis
juin, cette entreprise a fait couler
beaucoup d’encre et suscité
nombre d’inquiétudes, à la suite
d’une levée de fonds record
(230 millions de dollars, soit
208 millions d’euros) qui l’a fait
entrer dans le cercle fermé des
« licornes » françaises – startup
dont la valorisation dépasse 1
milliard de dollars.
Le principe de Meero, surnom
mée « l’Uber de la photo », est
dans l’air du temps numérique : à
travers son site, elle met en rela
tion des photographes et des en
treprises, en général des plates
formes de l’immobilier ou de la li
vraison de repas, comme Airbnb
et Uber Eats, pour réaliser des
photos immobilières ou culinai
res uniformisées, en quelques
clics et à bas prix – le client paie
environ 90 euros pour une série
de photos d’appartement. Les
photographes sont des indépen
dants qui paient leurs propres
charges et assurances et qui sont
en concurrence pour répondre à
des « missions » avec leur propre
matériel. La postproduction auto
matisée est assurée par Meero, et
la rétribution est faible : les prix
commencent à 50 euros de
l’heure pour le photographe,
mais s’élèvent jusqu’à 200 euros
pour des tâches plus complexes.
L’entreprise ferait travailler
60 000 photographes dans le
monde, 700 en France, qui ga
gnent « en moyenne 700 euros par
mois », selon Maxime Riché, res
ponsable de la photo chez Meero.
Au Palais des congrès, face aux
photographes et aux éditeurs
photo, il a défendu le rôle de
Meero – « On offre un revenu com
plémentaire aux photographes » –
et contesté que la startup soit un
concurrent pour la photo
d’auteur : « Avant, les employés
d’hôtel ou les chefs faisaient eux
mêmes ces photos. Nous répon
dons à un besoin éphémère d’un
client. Si c’est quelque chose de
plus personnel qu’il veut, nous di
sons non. » Mais le photographe
Pierre Morel, à ses côtés, a dé
noncé avec virulence ce modèle
« ubérisé » : « On revient des an
nées en arrière, avec des tra
vailleurs payés à la tâche. Les pho
tographes, qui sont ceux qui ap
portent la valeur, sont laissés à la
marge, n’ont aucune garantie sur
l’avenir, aucun contrôle sur les ta
rifs, sur le capital ou sur la gouver
nance de l’entreprise. Comme tou
tes les autres activités ubérisées, ça
produit de la précarité... et Meero
n’est pas rentable. »
« Un autre métier »
Présent sur scène, le photogra
phe Gaël Turine, fondateur de
l’agence MAPS, a, lui, tenu à rela
tiviser le « scandale » Meero. « Il
faut voir de quoi on parle, atil
souligné. Ce genre d’images de
plats ou d’appartements, très
standardisées, c’est presque un
autre métier que le mien. Je pense
que ça ne concerne personne dans
la salle. Les prix sont faibles mais,
sur ce secteur, Meero n’est pas le
moins cher. Je me sens bien plus
trahi quand un organe de presse,
pour un reportage, paie des tarifs
dérisoires et diffuse les images
sans payer de droits supplémen
taires. » Olivier Laurent, éditeur
photo au Washington Post, poin
te pour sa part l’incapacité des
photographes à s’organiser pour
obtenir des conditions plus
avantageuses : « Oui, Meero peut
faire baisser les prix et créer de la
précarité. Mais s’ils ont réussi à le
ver des fonds sur ce créneau de la
photo de masse, c’est que la pro
fession n’a pas réussi à s’unir pour
l’occuper. »
Maxime Riché a défendu les
projets futurs de son entreprise,
qui dit vouloir « œuvrer pour sa
communauté de photographes en
créant du contenu ». Sont prévus
une fondation, au budget de
1,5 million d’euros sur trois ans,
pour passer des commandes à
une dizaine de photographes do
cumentaristes sur un thème an
nuel, des tutoriels réalisés avec
l’agence Noor pour aider les pho
tographes à se former, un maga
zine gratuit en ligne, Blind, des do
cumentaires sur des figures du
métier inspirantes...
Autant de mesures séduisantes
qui viennent à point pour contre
balancer l’idée de « photo à la
chaîne » attachée à Meero, et
qu’Olivier Laurent, du Washing
ton Post, a résumées en « bon
plan com pour l’entreprise ». « Ce
ne sont pas des choses qui vont
nous rapporter de l’argent, a ré
torqué Maxime Riché. Mais ça
peut nourrir notre modèle, et don
ner aux photographes envie de
travailler pour nous, on préfère ça
plutôt que d’aller les démarcher. »
Dans le public, plusieurs res
ponsables d’associations de pho
tographes ont interpellé avec vi
rulence Meero sur la question
des droits d’auteur. L’entreprise,
qui considère que les photos uni
formisées et très codifiées pro
duites ne sont pas des œuvres (ce
qui est légal), fait appel unique
ment à des photographes au sta
tut commercial (microentrepre
neurs), et non à des photogra
phes au statut d’auteur. Consé
quence : les images produites
dans le cadre de Meero appar
tiennent au client et ne sont pas
soumises aux droits moraux et
patrimoniaux.
Un « système à deux vitesses »
que rejette totalement Pierre Ciot,
de la Société des auteurs des arts
visuels et de l’image fixe (SAIF) : « Il
n’y a pas d’un côté les pressebou
ton et de l’autre les artistes! »
Maxime Riché, qui a souligné
l’ambiguïté de la loi, assure vouloir
aller dans le même sens : « On ne
demande pas mieux de considérer
toute photo comme créative et de
céder des licences à nos clients. No
tre service juridique a lancé un
audit international pour avancer
sur ces questions. » Il en faudra
sans doute plus pour rassurer les
professionnels, déboussolés ces
dernières années par la multiplica
tion des photographes, la crise de
la presse et la baisse généralisée
des prix.
claire guillot
Simon Goubert, le batteur qui aime les voix
Le musicien publie sous son nom un neuvième album admirablement composé, « Nous verrons... »
JAZZ
V
if comme un enfant sans
écran, très délicat dans
l’existence, soudain dé
chaîné, d’une présence de feu en
scène, Simon Goubert fait partie
de ceux dont le seul nom à l’affi
che fait lever la musique. Premier
batteur à recevoir le prix Django
Reinhardt de l’Académie du jazz
en décembre 1996, né à Rennes
en 1960, il pratique aussi bien les
claviers. C’est le cas dans le groupe
Offering, du fondateur de Magma,
Christian Vander, qu’il retrouve
dans les Les Voix de Magma (1992).
On le lie naturellement à sa com
pagne Sophia Domancich (pia
niste) ; à toute une famille indis
tincte mais très repérable de mu
siciens ; à son goût de l’extrême et
des grands ailleurs ; à sa passion
du grand jeu, enfin, comme à la
plongée sousmarine, qu’il prati
que sérieusement.
Goubert est le batteur recherché
par excellence : par les maîtres
(Joachim Kühn, François Jean
neau, Martial Solal, Dave Lieb
man), mais aussi par les jeunes
musiciens. Son abondante disco
graphie, 78 albums, tous voulus,
ce qui est rare – du quartet de
Philippe Petit avec Michel
Graillier (piano) à René Urtreger
ou Ablaye Cissoko, en passant par
Riccardo Del Fra –, manifeste plus
clairement une idée qu’un rôle.
Les voix (voix parlée, voix chan
tée) augmentent sa vie. Sa très vi
vante vie ne se dit qu’en musique.
Il reste indissociable des Nuits
indigo du Riverbop, club de jazz
parisien fermé au début des an
nées 1980. Sous les voûtes de la
crypte des grands rires où officie
Jacqueline Ferrari, bassistes et bat
teurs célèbres adoptent très tôt ce
lutin surdoué, charmant, si dési
reux d’apprendre : « La musique
est tellement plus belle à partir
d’une certaine heure... Ça refaisait
le monde au comptoir, après le
troisième set, celui du bœuf... »
Le voici qui présente son neu
vième album personnel, Nous
verrons... Album qui ne ressemble
à rien de connu et à tout ce qu’on
aime. Simon Goubert y est à son
sommet : compositeur, batteur
exact, visionnaire, audacieux,
loyal, ne cédant jamais sur la mo
rale de la composition... Ni sur son
désir. L’harmonie, il l’a approfon
die au conservatoire de Versailles,
du temps qu’il apprenait les per
cussions auprès de Sylvio Gualda.
Les voix? Ce sont des voix aimées.
Superbement écrit, enregistré
avec une pointe de graveur (Vin
cent Mahey), Nous verrons... met
en scène des voix (Annie Ebrel,
Mike Ladd, PierreMichel Sivadier,
Stella Vander), des textes rares
(PierreJakez Hélias, Mike Ladd,
Sivadier pour Pina Bausch), sous
un coffret bleu nuit dont rien n’est
laissé au hasard. La troupe? Des
complices : Michel Edelin (flûte),
Vincent Lê Quang (sax), Sylvain
Kassap (clarinette), Sophia Do
mancich (piano), Emmanuel Bex
(orgue Hammond), Hélène Labar
rière (contrebasse) et lui, Simon
Goubert (batterie, claviers).
Il ne se met jamais en avant. Il
n’est jamais derrière non plus.
Son opus? Un oratorio d’émotion
dictée par l’amitié et l’idée pure.
Fulgurances comprises. Qu’estce
qu’un batteur de jazz? Un bien
grand mystère aux yeux du pro
fane ; une stupeur dodelinante
pour le fan d’enclumeurs en nage ;
celui qui vient de si loin, enfin : les
tambours étaient interdits dans
les plantations. Ils parlent, ils fo
mentent et se jouent du silence.
Le batteur, Goubert le voit en
« éclairagiste de l’orchestre, tim
bres et choix des sons » : « Contrai
rement à ce qu’on a beaucoup dit
en France, le batteur n’est pas le
gardien du tempo – je ne vois pas
quel grand musicien de l’histoire
en aurait eu besoin pour le lui indi
quer –, grands orchestres mis à
part, puisque la batterie était le
seul instrument entendu par tous
en scène. »
« Nombre de voix m’ont obsédé »
Qu’estce qu’un disque de bat
teur? « Je ne sais pas vraiment... Si
deman ou leader, je refuse de jouer
un solo si je n’en sens pas l’utilité,
l’inspiration, la nécessité de cha
que note. J’essaye juste d’enregis
trer ce que j’aimerais entendre. »
Josquin des Près, Ligeti, Billie
Holiday, Tina Turner, Fréhel, Sina
tra, James Brown, la mort
d’Isolde : la soif de musique est in
tarissable chez ce fils de comé
diens (voix parlée), initié à la mu
sique ancienne comme à la con
temporaine par Charles Ravier
(directeur de l’Ensemble polypho
nique de l’ORTF). « Nombre de voix
m’ont bouleversé et, pour certai
nes, obsédé. »
A 3 ans, il pianote sur tout ce qui
a une tête de clavier. Le 4 fé
vrier 1973, l’illustre Kenny Clarke
vient à Rennes. Autant dire à la
Maison (de la culture) que dirige
son père. Lui, Simon Goubert, il
sait le voir. Illumination. Quand
on le surprend encore
aujourd’hui en train d’observer
un partenaire, les yeux écar
quillés, toujours enthousiaste, ce
léger sourire, on comprend tout.
Pour Kenny Clarke, ceci : un do
cument retrouvé dans les trésors
de l’INA fait, ces tempsci, le bou
sin (buzz) sur la Toile : ce sont les
premières images connues de Mi
les Davis. 1957, la préhistoire : son
quintet d’Ascenseur pour l’écha
faud (Barney Wilen, ténor, René
Urtreger, piano, Pierre Michelot,
basse, et Miles donc) flotte sur un
paysage de Lune, JeanChristophe
Averty filme calmement, le ca
drage est un poème, c’est pour la
soirée du 25 décembre 1957, Gou
bert n’est pas né. Des premières
rafales géométriques de cymbales
aux dernières ponctuations, c’est
Kenny Clarke, un des corévolu
tionnaires du bebop (Bird, Dizzy,
Monk), le maître du jeu. Sourire
éclatant. Plus tard viendront Tony
Williams, Elvin Jones, Simon
Goubert continue le début.
« Môme, j’étais fou de flûte et de
Tristan. A 15 ans, je voulais faire un
disque avec les voix. C’est fait. J’ai
tout pensé physiquement, chaque
maquette en tête. J’avais envie d’al
ler au bout de mes amours musica
les. » Ce qui confère à Nous ver
rons... sa familière étrangeté et
cette densité brûlante ou maîtri
sée qui vous emportent.
francis marmande
Nous verrons..., Extension
Records/Bertus, 1 CD.
« Je refuse
de jouer un solo
si je n’en sens pas
l’utilité,
l’inspiration,
la nécessité
de chaque note »
SIMON GOUBERT
« Si Meero a
réussi à lever
des fonds sur
ce créneau
de la photo de
masse, c’est que
la profession n’a
pas réussi à s’unir
pour l’occuper »
OLIVIER LAURENT
du « Washington Post »
C I N É M A
Le nombre de femmes
réalisatrices en baisse
aux Etats-Unis, selon
l’actrice Geena Davis
La proportion de femmes réa
lisatrices aux EtatsUnis est
« en baisse » malgré le mouve
ment #metoo, a assuré,
mardi 10 septembre, à Deau
ville (Calvados), Geena Davis,
qui a fondé un institut d’étu
des sur la représentation des
femmes à l’écran. L’actrice
américaine présentait hors
compétition au Festival du ci
néma américain un docu
mentaire qu’elle a produit,
Tout peut changer, et si les
femmes comptaient à Hol
lywood, qui doit sortir le 8 jan
vier 2020 en France. Sur la
base de données collectées
par l’Institute of Gender in
Media, que Geena Davis a
fondé en 2004, et des témoi
gnages de personnalités
comme Meryl Streep, Cate
Blanchett ou Natalie
Portman, le film montre à
quel point le monde du
cinéma américain conserve
des réflexes discriminatoires
dans la place qu’il donne aux
femmes devant comme der
rière la caméra. « Aux Etats
Unis, environ 4 % seulement
des films produits sont réalisés
par des femmes », alors que
dans les écoles de cinéma, la
répartition hommesfemmes
est de 5050, a précisé Mme
Davis. « Le seul grand change
ment depuis #metoo, c’est
qu’aujourd’hui, on peut par
ler », atelle constaté. – (AFP.)