4 |international JEUDI 12 SEPTEMBRE 2019
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Les nouveaux « équilibres » bruxellois
Ursula von der Leyen a qualifié de
« géopolitique » sa Commission.
Sa composition révèle une volonté
d’apaisement des tensions au sein
de l’Union européenne
bruxelles bureau européen
A
plusieurs repri
ses, alors qu’elle
présentait, mardi
10 septembre, son
équipe, Ursula
von der Leyen a
qualifié de « géopolitique » la nou
velle Commission européenne,
qu’elle présidera à compter du
1 er novembre. Il y a cinq ans, à son
arrivée à la tête de l’exécutif com
munautaire, JeanClaude Juncker
préférait l’adjectif « politique ».
Simple changement de voca
bulaire ou profond renouveau?
Difficile d’en juger à ce stade. Car
si elle s’est exprimée pendant
plus d’une heure et demie, la res
ponsable conservatrice alle
mande s’en est tenue à un bon
nombre de généralités sur une
Commission « flexible, souple,
moderne », devant s’occuper des
« grandes questions », « au service
des citoyens », capable de donner
« un nouvel élan à la démocra
tie ». Et aussi d’être « plus forte
dans le monde ».
Peutêtre s’agissaitil aussi de
faire oublier la formule Juncker,
qui n’a pas laissé que des bons
souvenirs. « En 2014, il revendi
quait une Europe moins bureau
cratique et, en ce sens, plus politi
que, explique un observateur
avisé. Mais au cours de son man
dat, cette volonté est devenue
pour beaucoup d’Etats membres
un objet très négatif, d’abord fait
de manœuvres politiciennes. »
« Géopolitique », donc, pour
tourner la page Juncker. Mais
aussi, explique Amélie de Mont
chalin, secrétaire d’Etat aux affai
res européennes, parce que l’Eu
rope n’est pas naïve et « assume
d’être puissante face à la Russie ou
à la Chine ».
A écouter Ursula von der Leyen
dérouler les noms des 26 mem
bres de son futur collège, on en
trevoit toutefois une autre expli
cation : à quelques exceptions
près (l’ancien premier ministre
italien, Paolo Gentiloni, qui s’oc
cupera de l’économie, le chef de
la diplomatie espagnole, Josep
Borrell, haut représentant pour
la politique étrangère, ou l’actuel
vicepremier ministre belge, Di
dier Reynders, chargé de la jus
tice), peu de personnalités fortes
y figurent.
L’impulsion devra sans doute
venir des deux vrais poids lourds
de cette équipe : la libérale da
noise Margrethe Vestager et le
socialiste néerlandais Frans Tim
mermans, anciens rivaux de
Mme von der Leyen pour la prési
dence. Tous deux ont obtenu le
titre de viceprésident exécutif,
ce qui signifie qu’ils sont respon
sables d’un vaste portefeuille et
qu’ils ont la main sur les direc
tions générales.
« TIMMERMANS EST TRÈS AMER »
Margrethe Vestager se voit con
fier l’Europe du numérique – ce
qui inclut son ancien portefeuille
de la concurrence et la supervi
sion des secteurs du marché inté
rieur, de l’innovation, des trans
ports ou de la justice –, quand
Frans Timmermans a pour mis
sion de façonner un green deal
(« pacte vert ») – avec la tutelle sur
la politique climatique, l’énergie,
l’agriculture. « La cohabitation de
von der Leyen avec ces deuxlà ne
sera pas simple. Timmermans est
très amer. Vestager a l’air d’être
meilleure joueuse, mais au fond, je
ne sais pas », commente un com
missaire sortant.
Un troisième viceprésident
exécutif a été nommé : le Letton
Valdis Dombrovskis, chargé de
l’économie et de l’emploi. Ce
membre du PPE assurera ainsi un
équilibre entre les trois grands
courants politiques proeuro
péens, désormais coalisés pour
défendre les priorités de la future
Commission. M. Dombrovskis
doit aussi son poste à la faible re
présentation de l’Est dans les pos
tes à responsabilité au sein des
instances européennes.
Mardi, la présidente a beau
coup parlé des « équilibres » : en
tre l’est et l’ouest de l’Union, en
tre le Nord et le Sud, entre les
genres (l’objectif de la parité est
presque atteint avec 14 hommes
et 13 femmes), entre les grandes
forces politiques.
Outre les viceprésidents exécu
tifs, le nouveau collège bruxellois
comprend cinq viceprésidents
dotés d’une mission spécifique,
et avec des moyens bien plus li
mités. M. Borrell, censé incarner
« une Europe plus forte dans le
monde », la libérale tchèque Vera
Jourova (valeurs et transparence),
le socialiste slovaque Maros Sef
covic (relations interinstitution
nelles, y compris avec les Parle
ments nationaux), la conserva
trice croate Dubravka Suica (dé
mocratie et démographie) et le
libéralconservateur grec Marga
ritis Schina (protection de notre
mode de vie européen).
EXPRESSION « INQUIÉTANTE »
M. Schinas, viceprésident qui a
pour mission de « protéger notre
mode de vie européen », selon sa
feuille de route, sera chargé de
l’éducation, de la culture et du
sport, et supervisera aussi les
questions migratoires, par
ailleurs confiées à la Suédoise
Ylva Johansson, aux affaires inté
rieures. L’intitulé de son porte
feuille l’exposera sans doute à
bien des questions lors de sa pro
chaine audition par les eurodé
putés. « C’est inquiétant de voir
une telle expression associée à la
migration et à la protection des
frontières », remarquait, sur
Twitter, l’Allemande Ska Keller,
coprésidente du groupe parle
mentaire des Verts.
Même si elle plaide pour l’ac
cueil des demandeurs d’asile
dans le cadre d’une politique « or
donnée », Mme von der Leyen sem
ble aussi donner des gages aux
pays de l’Est, hostiles à la solida
rité entre les pays membres de
l’Union. Elle affirme, en parallèle,
vouloir soulager les pays du Sud
et réformer les accords de Dublin,
qui délèguent la responsabilité de
l’examen d’une demande d’asile
au premier pays d’accueil. Ce dé
bat est enlisé depuis des années.
Mme von der Leyen a tenu à en
voyer un autre signal à l’Italie,
après le départ du gouverne
ment de Matteo Salvini et de l’ex
trême droite, et la constitution
d’un cabinet attaché aux valeurs
européennes : en nommant Pa
olo Gentiloni à l’économie, elle
manifeste son intention d’avoir
une approche coopérative à
l’égard d’un pays dont l’endette
ment est préoccupant.
La loyauté de l’Italien à la cause
européenne plus qu’à son pays
d’origine sera sans doute testée.
Comme celle de l’Irlandais Phil
Hogan, qui se voit confier le com
merce et devra donc, à ce titre,
négocier un futur accord de li
breéchange avec les Britanni
ques, après le Brexit. Ou encore
du Hongrois Laszlo Trocsanyi,
qui est, lui, nommé au « voisi
nage et à l’élargissement », ce qui,
compte tenu de la position de
Budapest sur ces thématiques,
peut surprendre. « Les commis
saires sont d’abord européens »,
réplique Mme von der Leyen.
La France, quant à elle, peut se
féliciter du « gros » portefeuille
qui échoit à Sylvie Goulard, mal
gré les enquêtes de la justice
française et de l’Office européen
de lutte antifraude (OLAF) sur
l’affaire des emplois fictifs d’as
sistants des eurodéputés Mo
Dem. L’éphémère ministre des
armées d’Emmanuel Macron ré
cupère le marché intérieur, qui
inclut également la politique in
dustrielle, le marché unique nu
mérique, ainsi que l’industrie de
la défense et de l’espace.
virginie malingre
et jeanpierre stroobants
MARGARITIS SCHINA
AURA POUR MISSION DE
« PROTÉGER NOTRE MODE
DE VIE EUROPÉEN ».
L’INTITULÉ DE SON
PORTEFEUILLE L’EXPOSERA
À BIEN DES QUESTIONS
La présidente de
la Commission
européenne, Ursula
von der Leyen,
le 10 septembre,
à Bruxelles.
KENZO TRIBOUILLARD/AFP
Le Parlement européen va passer au crible la future Commission
Les élus, en particulier écologistes, pourraient contester la nomination de prétendants, avant leur entrée en fonctions le 1er novembre
bruxelles bureau européen
D
ésormais connus et pour
vus d’un portefeuille, les
futurs commissaires
européens vont devoir se soumet
tre à l’épreuve ardue des auditions
au Parlement. Elles auront lieu en
tre le 30 septembre et le 8 octobre.
Il s’agira pour les prétendants, de
vant les membres des commis
sions parlementaires concernées
- et parfois les représentants de
plusieurs commissions, pour cer
tains portefeuilles –, de convain
cre, durant un examen de trois à
quatre heures, de leur bonne com
préhension des dossiers qui leur
seront confiés, de leur connais
sance des processus décisionnels
de l’Union et de prouver leur maî
trise des langues indispensables à
l’exercice de leur mandat. Ou
d’une langue, en tout cas, l’anglais,
car plusieurs membres de la Com
mission sortante ont démontré
leur méconnaissance presque to
tale du français, deuxième langue
officielle de travail.
Les députés adresseront ensuite
une lettre d’évaluation globale des
candidats aux présidents des com
missions, avant une réunion – le
17 octobre au plus tard – de la con
férence des présidents, qui re
groupe les chefs des groupes poli
tiques. Une procédure nouvelle,
visant à instaurer un contrôle poli
tique plus strict, « une ceinture de
sécurité », comme le dit un haut
fonctionnaire de l’Assemblée : en
cas de mise en cause d’un com
missaire appartenant à tel parti,
une négociation – voire un mar
chandage – avec les représentants
des autres grands courants de l’As
semblée pourra ainsi avoir lieu.
En 2014 déjà, un compromis
entre le Parti populaire européen
(conservateur), largement domi
nant à l’époque, et le groupe social
démocrate (S&D) avait permis à
deux candidats contestés, l’Espa
gnol Miguel Arias Canete (action
climatique) et le Français Pierre
Moscovici (affaires économiques
et financières) d’être finalement
retenus. Un troisième futur com
missaire, le conservateur britanni
que Jonathan Hill, avait, lui, dû se
soumettre à un nouvel oral avant
d’accéder à la fonction de commis
saire à la stabilité et aux services fi
nanciers – qu’il a abandonnée
en 2016 (après le référendum en
faveur du Brexit).
« Cette fois, les choses ont changé
et les équilibres politiques aussi.
Tout le monde a quelque chose à
perdre, ce qui limite le risque de
guéguerre », note un cadre du PPE.
L’Union sera, en effet, dirigée de
fait par une coalition à trois (con
servateurs, sociauxdémocrates et
libéraux), ce qui obligera à faire
des compromis. Les Verts, qua
trième courant, pourraient jouer
les « snipers » au Parlement : ils
sont très mécontents d’avoir été
quasiment écartés de la future
Commission alors qu’ils espé
raient y décrocher plusieurs por
tefeuilles. On n’y retrouvera fina
lement (à l’environnement) qu’un
Lituanien, Virginijus Sinkevicius,
28 ans, issu d’un parti paysan que
le Parti vert européen ne recon
naît pas comme un de ses mem
bres, même s’il est hébergé par le
groupe écologiste à Strasbourg.
Possible conflit d’intérêts
On peut prévoir des auditions as
sez rudes pour d’autres préten
dants : le Hongrois Laszlo Trocsa
nyi (élargissement), exministre de
la justice désigné par le gouverne
ment de l’« illibéral » Viktor Orban,
mis en cause pour entraves à l’Etat
de droit, ou Janusz Wojciechowski
(agriculture), proposé par le gou
vernement ultraconservateur po
lonais et ciblé par une enquête de
l’Office de lutte antifraude (OLAF)
pour des « irrégularités présumées
concernant le remboursement de
frais de voyage » d’eurodéputé. « Ils
posent sans doute problème, mais
devraient passer, sauf à disqualifier
tout candidat désigné par ces gou
vernements », résume une source.
En 2014, le Parlement avait ob
tenu que le portefeuille de Tibor
Navracsics, futur commissaire
pour l’éducation, la culture et la
jeunesse, soit amputé de la ci
toyenneté.
La candidate estonienne Kadri
Simson (énergie) devra sans doute
se soumettre à une audition préa
lable – à huis clos – pour un possi
ble conflit d’intérêts. Et il est pro
bable que Rovana Plumb (trans
port), proposée par le gouverne
ment socialiste roumain, lui aussi
mis en cause par Bruxelles, aura
fort à faire pour convaincre.
Le Parlement devra, lors d’un
vote, les 22 ou 23 octobre, approu
ver l’ensemble du futur collège.
Avant cela, il aura averti la prési
dente de la Commission, Ursula
von der Leyen, de son verdict : po
sitif, négatif, ou « peut mieux
faire », cette dernière option pou
vant entraîner une deuxième
audition. En 2014, les eurodéputés
avaient recalé une candidate slo
vène, Alenka Bratusek, expre
mière ministre, qui s’était autodé
signée après un échec électoral.
Sylvie Goulard, candidate dési
gnée par Paris, sera, elle, soumise à
un feu nourri à propos de la rému
nération qu’elle a perçue du think
tank Berggruen et de l’affaire des
assistants parlementaires du Mo
Dem. L’exeurodéputée a rem
boursé au Parlement 45 000 euros
pour clore l’affaire de son ancien
assistant, employé plusieurs mois
par François Bayrou, mais payé
par l’Assemblée. Elle reste soumise
aux résultats des investigations de
la justice française et de l’OLAF.
j.p. s.
L A C O M M I S S I O N E U R O P É E N N E